Attention, le nouveau Gipi exige une lecture attentive ! La BD s’appelle sobrement Stacy (Futuropolis). Un nom qui va raisonner tout au long des 256 pages de cet ouvrage en noir et blanc, à la narration complexe et totalement halluciné.
Il faut y revenir plusieurs fois, assurément. Tant les niveaux de lecture sont nombreux, jusqu’à s’entremêler avec des pages de scénarios. Et tant le personnage principal, double de l’auteur, sera indissociable, un temps donné, du démon qui l’habite et le suit partout, au sens propre comme au sens figuré.
Gianni fait partie d’une équipe de showrunners, mobilisés autour de l’écriture des aventures de Lady Sara, « l’héroïne métisse progressiste » ! Un jour, il donne une interview où le journaliste lui demande de raconter son dernier rêve. Et voici Gianni répondant naïvement et bêtement à cette « question de merde ». Il se confie. Il se lâche. Il digresse sur la nécessité de reconnaître le mal en chacun de nous. Puis il se met à parler de son rêve et de Stacy, une femme qu’il a droguée, avant de la charger dans une camionnette blanche et de l’installer dans une espèce de sous-sol. Et d’ajouter, comme si ça ne suffisait pas : « Stacy est bonne ». Une vraie connerie que cette expression !
C’est ainsi que naît la cata des trois mots, relayée par les réseaux sociaux, amplifiée par leur pouvoir de nuisance mondiale, instrumentalisée par une société qui considère que les mots, mêmes rêvés et impardonnables, définissent la réalité. De quoi embarquer Gianni dans une spirale infernale qui provoquera sa mise au ban, le dégoût (de lui-même) et nombre de traumatismes.
L’ouvrage de Gipi joue sur ces peurs, ces ambivalences, fait se croiser plusieurs personnages, dont la puérilité est à vrai dire tout aussi dramatique et risible que la cata des trois mots. De ce point de vue, la séquence sur le choix des bons émojis censés accompagner un message de condoléances, ou bien encore celle sur la doublure d’un perroquet, sont à mourir de rire. Un effet tragi-comique salutaire qui rompt avec le cauchemar vécu par Gianni.
À travers Stacy, l’auteur en dit long aussi sur lui-même. En effet, il se trouve que Gipi a été pris dans un engrenage médiatique et une descente aux enfers après avoir publié un gag sur les réseaux sociaux. Il y tournait en dérision un slogan féministe. Mal lui en a pris. Oui ce n’était pas très fin. Mais pour autant, il n’avait tué personne.
« Virage existentiel » dans l’œuvre de Gipi, sa bande-dessinée témoigne de ce besoin de plaire, inhérent à tout personnage public, et des limites d’une exposition médiatique jamais avare de faux bons mots et de coups tordus.