Il est quelque peu hagard et désorienté ce jeune Européen qui arrive à Buenos Aires pour rencontrer le maestro et tenter de devenir son élève. Le voici planté devant le Gran café Tortoni, en plein cœur de la ville. Or c’est ici, dans ce lieu emblématique, que sommeillent les plus belles histoires de la ville, prêtes à faire chavirer un tanguero vers plus d’expérience et de maturité.
Pour l’accompagner dans son parcours initiatique se présente à lui une belle danseuse pas encore prête à raccrocher son éventail. La Mina travaille comme serveuse au Gran Café. Elle prend avec plaisir le jeune éphèbe sous son aile, auprès de qui elle se plaît à déployer des trésors de séduction.
Avec Rodolfo, qui fut un partenaire de tango aussi envié que talentueux, ils vont lui proposer de se familiariser avec les héros et les fantômes de la danse argentine. La maîtrise du tango est à ce prix. La technique est une chose. Vibrer d’amours blessés en est une autre. Il faut pour cela se laisser envahir par la beauté d’une poésie, se laisser emporter par la dramaturgie d’une scène théâtrale. Voila qui ne peut que forger l’esprit d’un tanguero en devenir.
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C’est ainsi que nous sommes témoins, comme le jeune garçon, de nombre d’anecdotes racontées pas les habitués du Tortoni. Nous découvrons, par exemple, le destin heureux puis malheureux de l’acteur Oscar Vasquez, croisant celui de l’écrivain Jorge Luis Borges. Et nous nous amusons aussi de la patience de ce chanteur à la voix endurante venu se mesurer au très populaire mais discret Carlos Gardel.
Sous la plume avisée de Philippe Charlot (Le cimetière des innocents), ce nouvel opus de la collection Grand Angle éditée chez Bamboo, s’avère donc instructif et plaisant. Ne manquez pas les toutes dernières pages, dont la teneur est pour le moins savoureuse.
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L’histoire est par ailleurs magnifiée par le dessin de Winoc (Le Postello), avec une description tantôt réaliste, tantôt fuyante. Certaines illustrations ressemblent à des aquarelles, incarnant le mouvement et la confusion des sens. D’autres sont simplement découpées comme un storyboard, pour mieux donner à voir les pas de danse.
L’ouvrage compte aussi de belles doubles pages qui s’affranchissent des traditionnelles cases de BD, symbolisant l’exubérance de la vie argentine, chaude et virevoltante. À l’image de « l’expression verticale d’un désir horizontal »… qu’est le tango.