[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Q[/mks_dropcap]uatrième roman de Grégory Nicolas publié par les éditions Rue des Promenades, Des histoires pour cent ans ressemble beaucoup à un aboutissement, ou tout au moins à une étape capitale dans la carrière de son auteur. On se souvient de Mathilde est revenue (voir chronique ici), huis-clos resserré sur une famille malade. Ici, Grégory Nicolas a choisi de multiplier les personnages et les époques et s’est attelé à la difficile tâche de convier à son festin littéraire l’Histoire, la famille, l’amour et le caractère précieux de la transmission entre générations. Tout en conservant ce qui, on le sait, lui est cher : la Bretagne, le vin, le vélo.
Raconte-t-il l’histoire d’un pays, ou celle d’une famille ? Les deux, sans doute. Par le biais du quotidien. Un quotidien qu’il a choisi de situer en des périodes agitées : la Seconde Guerre mondiale, avec des réminiscences de celle qui l’a précédée, et une période plus proche de la nôtre, et fictive puisqu’agitée par une guerre civile provoquée par l’interdiction du vin. Rien de moins.
Le roman commence en Bretagne, avec le petit Pierre, dix ans, et son grand frère Julien. Nous sommes en 1939, le père ne part pas : il a déjà donné… et il est persuadé que ça va durer un an, cette affaire-là. Mais hélas, ça s’éternise, et Julien doit partir travailler en Allemagne… Sauf s’il se décide pour les FFI, la clandestinité, le danger.
Il y a Perrine, « la plus belle du village ». Vingt ans en octobre 1942, un passé terrible et un destin pire encore.
Il y a la fuite. Se cacher, trouver un lieu où s’arrêter, de nouvelles racines. Du côté de Lons-le-Saunier, ça pète de partout, et il y a ce Lebensborn, à l’orée de la forêt. Marcel, Marthe, Henri le bébé dans les bras, marchent, longtemps, vers l’ouest, mangent quand ils peuvent, dorment où ils peuvent. Rencontrent ceux qui vont les sauver, les accueillir, les aider à recommencer une vie qui tient debout, du côté du Mans.
Et puis la vie de tous ces gens-là, après la guerre. Les amours, le vélo, les enfants, les secrets de famille…
Changement de ton avec la deuxième partie, qui se déroule en 2005. Marc se réveille, mal en point après une cuite et une soirée passée à débattre avec ses amis sur l’interdiction du vin. Il faut se lever pourtant : c’est jour de pêche avec le grand-père Henri. Et puis Matthieu et ses courses cyclistes. Matthieu et son cancer. Matthieu et son grand-père Pierre. Petit à petit, Grégory Nicolas met en œuvre son plan, déploie sa toile, de grand-père en petit-fils, de grand-mère en petite-fille. Parce que l’histoire du monde est une affaire de famille, une affaire de transmission.
L’écriture haute en couleurs, le jeu stylistique très réussi entre la période passée et la période contemporaine témoignent à la fois d’un savoir-faire et d’un amour de la langue hors du commun. Comment résister à cette célébration de l’amour, à cette évocation émouvante de l’histoire d’un pays à travers ses chaos, ses liens indestructibles, ses racines profondes ? Lors d’une récente rencontre en librairie, Grégory Nicolas lançait : « J’emmerde les cyniques. » Des histoires pour cent ans est donc un pied-de-nez au cynisme, dénué de naïveté et de mièvrerie. Une fête de la vie.
Retrouvez l’interview de Grégory Nicolas.