Anita Conti ne s’en est jamais laissé compter. Voyageuse, relieuse d’art, photographe, écrivaine et journaliste, elle fut la première femme océanographe française. Toute sa vie, elle témoigna d’une volonté hors-norme pour s’affranchir de l’autorité masculine et dénoncer la surpêche industrielle. Catel Muller et Jean-Louis Boquet lui consacrent une formidable BD : Anita Conti (Casterman).
Son parcours est aussi riche et virevoltant que sa vie de femme fut libre et engagée. La bande-dessinée lui rend hommage, en même temps qu’elle sait parfaitement nous happer, par son rythme, sa sobriété graphique et ses choix de mise en scène, pour mieux nous raconter une vie incroyable et foisonnante.
Illustrées et travaillées sur la base de recherches documentaires, mais aussi de rencontres avec Anita Conti elle-même, au milieu des années 90, pas moins de 368 pages en bichromie nous sont livrées, enrichies d’une chronologie, d’une bibliographie, d’une filmographie et d’une notice biographique. Celle-ci se lit comme un roman, tant la manière de partager avec nous l’histoire de celles et ceux qui ont croisé Anita Conti se révèle vive et instructive.
Il est vrai que tous ces personnages, souvent publics, sont nombreux à avoir échangé ou ferraillé avec elle : de la chimiste Marie Curie au poète Jean Cocteau, du ministre Gaston Deferre à l’emblématique marin et technicien de la mer que fut Jacques-Yves Cousteau, du légendaire plongeur Albert Falco à celui qui s’engagea à ses côtés et partagea la dernière partie de sa vie, son fils adoptif Laurent Girault-Conti, dont l’admiration et le respect pour la dame de la mer sont ici décrits avec soin et attention.
L’ouvrage commence par nous plonger dans les racines familiales d’Anita Conti, en 1899 à Ermont, en France. Nous suivons ensuite son histoire personnelle, marquée entre autres par une rupture restée inexpliquée avec la figure paternelle, mais aussi par un mariage avec un homme dont elle se séparera ensuite sans jamais divorcer.
Son histoire « professionnelle » quant à elle, s’affranchit des conditions de vie qui régissent une époque où, par exemple, le droit de vote n’existe pas pour les femmes. Elle embarque sur des bateaux de pêche, se mouille littéralement au contact de la mer, part de longs mois en expédition, en revient avec des informations qui contribuent à fonder l’océanographie moderne.
Dénonçant les chalutiers comme des « racleurs d’océan », Anita Conti tente de promouvoir des solutions alternatives. Elle n’est jamais à court d’idées. Elle invente l’aquaculture et propose que soit dégusté le poisson-sabre en lieu et place de la morue, victime de la surpêche.
Bref, cette BD est absolument captivante. Elle offre aussi de ne pas rendre vains le travail et les convictions d’Anita Conti, une pionnière en la matière, néanmoins décédée dans le presque oubli, à l’âge de 98 ans. C’était en 1997, le jour de Noël, un soir de tempête.
Anita Conti de José-Louis Bocquet et Catel Muller
Casterman, septembre 2024