[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#942B24″]N[/mks_dropcap]ous sommes à l’époque de la bataille d’Acosta Nu, en pleine guerre de la Triple Alliance, qui voit s’opposer les troupes paraguayennes du maréchal Lopez à celles du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay, entre 1864 et 1870. Au cours de cet épisode sanglant, 20 000 soldats vont massacrer… 3 500 enfants que l’homme fort du Paraguay a décidé d’envoyer au front. Son idée folle était de se battre jusqu’au bout, pour l’honneur et pour la patrie, quelles que soient les pertes humaines.
Guarani, les enfants soldats du Paraguay explore cette ahurissante bataille. La BD met aussi en scène un photographe français qui découvre la guerre en spectateur complaisant, avant que sa conscience n’ait finalement raison de son cynisme.
Pierre Duprat débarque en Amérique du Sud à l’hiver 1868. À peine arrivé, il est extrait de la cohorte des gringos qui s’apprêtaient à aller cultiver un lopin de terre en Argentine avant d’être finalement enrôlés de force pour aller grossir les rangs de la Triple Alliance. Mission du Français ? Trouver de jeunes Amérindiennes nues de la tribu guarani, les photographier sous couvert de travail ethnographique et vendre ses clichés à prix d’or à un public parisien avide d’exotisme et d’érotisme colonial.
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Pour se rendre sur les traces des « jeunes beautés », Duprat est accompagné de Javier Lopez, photographe, et de son assistant Esteban Garcia, dont l’admiration pour le fou sanguinaire qu’est le maréchal Lopez n’a d’égale que sa passion pour le Paraguay. Quand le trio se met en route, il s’enfonce dans les affres de la guerre et n’est pas au bout de ses surprises. Le fleuve le plus large du monde – juste un grand désert d’eau boueuse – et puis la jungle, la malaria et la fièvre jaune, les viols, les exécutions sommaires et les massacres vont rythmer leur vie.
Ce qui est presque fascinant, c’est de voir combien Duprat se situe en dehors de toute compassion. Ce n’est pas sa guerre et sa quête n’est pas celle de ceux qu’il voit se trucider. Alors il s’interroge bien une fois ou deux mais il ne réagit que très peu face aux gorges tranchées, aux ordres de ne laisser aucun survivant. Les couleurs sombres et maronnasses de la bande-dessinée accompagnent efficacement le dessin de Gabriel Ippoliti, qui laisse comme une impression de spectacle figé dont nous serions, avec Duprat, les témoins impuissants et passifs.
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Quant au récit de Diego Agrimbau – à qui l’on doit déjà une vingtaine d’albums – il nous conduit petit à petit vers les sommets de la barbarie : regrouper des milliers d’enfants issus de différentes tribus indiennes, pour les faire se battre jusqu’à la mort, inéluctable. Ainsi donc, comme il est précisé dans un texte introductif à la bande-dessinée, on estime qu’une fois la guerre terminée, environ 90 % de la population masculine en âge de procréer a été décimée !
Dans un sursaut de conscience, Pierre Duprat sauvera son honneur. Et sera tenté de témoigner, bien que ses rares images d’enfants en uniforme et de cadavres brûlés aient été détruites, pour ne pas ternir la gloire des soldats vainqueurs…
Guarani, les enfants soldats du Paraguay est un ouvrage de belle facture et un témoignage poignant sur une bataille de l’Histoire de l’Amérique. Une fois encore, les éditions Steinkis ont produit un ouvrage engagé et de qualité, qui donne évidemment à réfléchir, notamment sur la place des minorités et la stupidité de la guerre.