[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#333399″ txt_color= »#2031cc »]O[/mks_dropcap]ui … je sais.
Oui … il arrive.
Oui, oui, je le vois bien là, dans votre œil torve, l’écume qui borde vos lèvres retroussées, votre appétit féroce enfin retrouvé que vous vous posez l’unique question qui vaille la peine d’être posée en cette fin d’année : que vaut Hallucinogen, le nouvel album de Blut Aus Nord ? Je perçois bien votre inquiétude, celle qui étreignait votre petit cœur d’artichaut après la parution de Deus Salutis Meae il y a quasiment deux ans jour pour jour. Oui, comme vous, je la ressens encore cette pointe de déception, le fait que, pour la première fois de sa carrière, Vindsval ne parvenait plus à se renouveler. Le job était remarquablement fait mais … mais … Vindsval faisait du Blut Aus Nord, sans une trace d’originalité.
Perturbant donc.
D’autant plus que, ces derniers mois, suite à Yeruselem, projet basé sur l’aspect indus de sa musique, les déclarations faites par le Bas-Normand suscitaient elles aussi l’inquiétude : Deus Salutis Meae marquait la fin d’un cycle et Blut Aus Nord allait s’ouvrir à d’autres horizons, moins obscurs. Gloups. Pour autant, cette inquiétude s’est surtout teintée d’étonnement à la découverte du visuel de l’album, il y a quelques semaines. Contre-plongée sur un arbre dont les protubérances semblent être des champignons incrustés d’yeux, sous une magnifique voûte céleste, ne laissant quasiment aucun doute sur la direction prise par Vindsval : cosmique et psychédélique. Direction appuyée par le titre choisi, Hallucinogen.
Néanmoins, lorsque le premier extrait est paru, un doute s’est fait jour. Pas vraiment de traces de psychédélisme dans Nomos Nebuleam, plutôt une extension du Saturnian Poetry, un titre épique, mélodique, renvoyant à des groupes tels Emperor, avec un vrai batteur, insufflant une chaleur presque rassurante. Pourtant, rassuré, avant la parution d’Hallucinogen, on pouvait ne pas l’être tout à fait. Notamment face au plan marketing extrêmement bien rodé qui se mettait en place : découverte du visuel, du titre, du premier extrait, des diverses éditions limitées sous différents formats, chez différents distributeurs. Tout est tellement mis en place à la perfection qu’on n’a plus qu’une crainte : que la forme prenne le pas sur le fond.
Maintenant que l’album est paru, qu’en est-il ? Rassuré ?
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#333399″]P[/mks_dropcap]as vraiment. Parce qu’au fond, depuis Deus Salutis Meae, rien n’a vraiment changé, la situation en est restée au même point, à savoir que Blut Aus Nord fait du Blut Aus Nord sans originalité. Pourtant, à l’écoute, me direz-vous, Hallucinogen ne semble avoir aucun rapport avec Deus Salutis Meae. Dans l’atmosphère qui s’en dégage, aucunement, mais dans le fond, il s’agit peu ou prou de la même chose : le recyclage d’une œuvre et la difficulté à se renouveler. Car, si vous vous replongez dans la discographie de Vindsval, Dialogue With The Stars, Saturnian Poetry et Cosmosophy plus précisément, et que vous écoutez juste après Hallucinogen, vous serez assez stupéfaits par le nombre d’auto-citations dont il fait preuve : le solo sur Mahagma (ainsi que Sybelius) renvoie clairement à Dialogue, l’introduction d’Anthosmos est un résumé de Cosmosophy, idem pour le viaduc d’Haallucinahlia et la conclusion de Nomos Nebuleam qui évoque, quant à lui, Saturnian Poetry dans son abord épique, compact et accessible. Saturnian Poetry et le génial Clarissima Mundia, dont on entrevoit également l’ombre dans la fabuleuse montée d’Anthosmos ou le riff poignant en introduction de Mahagma.
Pour autant, cela en fait-il un mauvais album ? Non. Hallucinogen peut surprendre, décevoir même, mais ça n’entache en rien ses qualités mélodiques et le fait qu’il soit, malgré tout, très réussi. Parce que, soyons honnêtes, l’ensemble est de très haut niveau. Si Blut Aus Nord recycle, c’est en explorant sa veine lumineuse, délaissant les dissonances, le growl (enseveli la plupart du temps sous des amas de guitares et dont on entrevoit un vestige issu de Mort sur Nebeleste), les atmosphères poisseuses, malsaines, pour en privilégier d’autres, bien plus spirituelles. Et de spiritualité, il en est question partout, bien plus que de psychédélisme (représenté seulement par la guitare solo d’Haallucinahlia), au point même d’en faire le fil conducteur d’Hallucinogen. En effet, qu’elle soit anthracite ou tirant sur le gris, chaque chanson est habitée par sa propre foi, aidée en cela par des chœurs véritablement mystiques et passionnés, et surtout une écriture exceptionnelle. Parce que, si on savait Vindsval grand designer sonore (il suffit d’écouter Mort pour s’en convaincre), Hallucinogen le confirme dans un statut d’excellent songwriter, capable de vous tenir en haleine avec des riffs imparables ou de vous émouvoir avec des lignes mélodiques irréprochables (le grandiose Mahagma par exemple). Bien sur, cette spiritualité affichée va à l’encontre de ce qui fait la singularité de Blut Aus Nord, le groupe perd en perniciosité ce qu’il gagne en accessibilité et on peut être en droit de lui préférer la ligne obscure, plus mystérieuse et passionnante. Mais en y réfléchissant, Hallucinogen s’inscrit dans la droite ligne de la discographie du Bas-Normand.
Pour quelle raison ?
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#333399″]C[/mks_dropcap]omme je le disais pour Deus Salutis Meae, Blut Aus Nord abhorre la répétition, chaque disque puise à la fois dans le précédent pour s’orienter vers de nouveaux horizons. Pourtant ici, étonnamment, nous sommes dans la même configuration que pour Deus Salutis Meae : un disque introspectif, de par le fait qu’il puise dans sa propre mythologie, sans réelle originalité apparente. Vous remarquerez bien l’utilisation d’apparente. Parce que si, pour Hallucinogen et Deus Salutis Meae, les ressorts semblent être identiques, toute l’originalité de ce nouvel album est d’être un disque construit en miroir au précédent, son exact reflet inversé. Et ça, c’est carrément inédit chez Blut Aus Nord. L’un est court, dense, noir, dissonant,claustro, constitué de nombreux morceaux revisitant la période obscure du groupe, l’autre est à contrario long, épique, mélodieux, constitué de sept morceaux à l’aura mystique (d’ailleurs si on pousse la logique jusqu’au bout, chacun sait que sept est le chiffre sacré par excellence. Et là, nous le retrouvons partout : sept morceaux faisant en moyenne sept minutes pour une durée totale de quarante neuf minutes. Hasard, coïncidence ? Je ne crois pas) et tournés vers la lumière. L’un clôt un chapitre en s’alimentant dans son propre passé, l’autre l’ouvre de façon identique. Bref, en faisant exactement la même chose de façon complètement différente, Blut Aus Nord réussit l’exploit d’être encore plus pernicieux sous la lumière que dans l’obscurité.
A moins que … à moins que … si on pousse la logique jusque dans ses retranchements, Hallucinogen ne soit la vision qu’a Vindsval de son groupe sous substance psychoactive, soit une distorsion de sa réalité. Ce qui, quand on y songe, serait encore plus tordu. Parce qu’après ses déclarations sur le fait d’abandonner plus ou moins le Black Metal, il serait presque normal de se dire qu’une fois l’effet des champignons estompé, il reviendra vers des gouffres bien plus malaisants que ceux qu’il a pu visiter jusque là. Bref, vu comment il nous a promené, non sans humour, au travers de sa campagne de communication ces derniers mois, avec Hallucinogen, Vindsval pourrait bien nous avoir encore plus baladé pour, à l’arrivée, nous laisser quelque peu hallucinés et paumés (sensation d’autant plus prégnante que Cosma Procyiris, au lieu de clore véritablement l’album, laisse une ouverture vers d’autres horizons).
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#333399″]A[/mks_dropcap]lors, au final, après toutes ces digressions, déception ? Non lors de la première écoute, par ce qu’on ne retient d’abord que les harmonies et l’énergie, qui vous happent d’emblée. Oui ensuite parce qu’à la seconde écoute on ne repère plus que les citations aux autres albums. Puis trois fois non pour terminer parce qu’en fin de compte, sous son apparente simplicité, se révèle un album complexe, bien plus retors qu’il ne le laisse paraître et profondément Blut Aus Nordien. Après, comme pour Deus Salutis Meae, l’avenir est encore très incertain. En somme, vivement la prochaine étape, qu’on sache comment évoluera véritablement l’entité Blut Aus Nord.
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Hallucinogen de Blut Aus Nord
Sorti le 11 octobre chez Debemur Morti et dispo chez tous les disquaires tordus et incertains de France et de Navarre
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