[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#F18AA8″]L[/mks_dropcap]e nouvel album d’Hot Chip, A Bath Full Of Ecstasy, est leur plus pop à ce jour. Étrangement, en devenant plus pop, les Anglais ont réussi à mettre plus en avant leur côté expérimental. En neuf titres d’une efficacité redoutable, les Londoniens nous prouvent qu’un savoir faire old school peut s’avérer aussi pertinent et efficace que des productions rnb modernes. Les deux têtes pensantes du groupe, Joe Goddard et Alexis Taylor ont reçu Addict-Culture pour un long entretien. Ils échangent sur le talentueux Philippe Zdar, disparu hier, nous laissant sous le choc, de leur passion pour la rave culture de la fin des 80’s ou bien l’artiste Jeremy Deller.
Pour la première fois, le groupe n’a pas produit son album. Pourquoi s’être ouvert sur l’extérieur ?
Alexis Taylor : Nous avons beaucoup échangé sur nos attentes avant même de composer la moindre note. Le but était de trouver des idées pour nous pousser à produire quelque chose de différent. L’idée d’un producteur s’est imposée. Des gens de styles plutôt variés, certains comme Steve Albini étaient à l’opposé du nôtre. Tim Goldsworthy avec qui j’avais travaillé sur un album solo a été envisagé. Il nous fallait quelqu’un ouvert à la collaboration, pas juste au changement. L’expérience devait être plaisante pour tout le monde.
Joe Goddard : Steve Albini aurait été intéressant car sa méthode est bien spécifique. Sa philosophie est d’enregistrer un groupe le plus simplement possible. Il aurait fallu énormément répéter avant de travailler avec lui. Ce n’est pas dans notre habitude. Hot Chip est plutôt un groupe spontané, on aime quand ça va vite. Le résultat aurait été intéressant.
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »20″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#F18AA8″] « Hot Chip est plutôt un groupe spontané, on aime quand ça va vite. »
Joe Goddard[/mks_pullquote]
Alors pourquoi avoir porté votre choix sur le Français Philippe Zdar et l’Écossais Rodaidh McDonald ?
Joe : Travailler avec deux personnes n’était pas prévu. Nous avons commencé les sessions avec Rodaidh. Rapidement l’idée d’inscrire Philippe en complément de ces enregistrements nous est apparue intéressante. Ce sont deux producteurs différents, chacun avec un style bien prononcé. Rodaidh est doué pour écouter un titre, l’analyser et prendre des décisions au bon moment pour placer le refrain ou pour trouver la durée parfaite d’un couplet. Il sait aller à l’essentiel en respectant la structure et les arrangements d’un titre. Philippe est plus porté sur l’énergie et le feeling d’une chanson. Il veut qu’elle soit pleine de vie. Mélanger ces deux méthodes donne sa force à l’album. Philippe est également un mixeur réputé. Nous voulions qu’une seule personne s’investisse sur cet aspect pour apporter une continuité à l’album. Il a accepté ce job supplémentaire pour notre plus grande joie.
Les membres du groupe ont quasiment tous des projets extérieurs à Hot Chip. Vos albums étant plus espacés, vous faut-il du temps avant de redevenir un groupe ?
Joe : Il nous faut du temps. Surtout après trois ans d’inactivité en studio. Nos projets extérieurs sont différents de ce que l’on produit avec Hot Chip. Philippe Zdar a réussi à nous connecter rapidement les uns aux autres. Il nous a installé sept synthés dans son studio et nous a encouragés à jouer tous ensemble pour voir ce qu’il en ressortait. Ça nous a fait un bien fou. Nous nous sommes sentis libres. Le résultat a donné le titre Spell.
Parlez-vous de la direction à prendre avant de vous lancer dans un nouveau disque ?
Alexis : Pas plus que ça. On exploite généralement la direction qui ressort des maquettes. Notre process est plutôt organique. Pour A Bath Full Of Ecstasy, il y avait quelques beats hip hop. Le groove était plus relaxant. Nous avons également été influencés par le reggae et le dub. Tout ça s’entend très peu au final car nous avons tenu à apporter une cohérence pop à l’album. Nous avons eu tendance à nous éparpiller par le passé. Pour cette raison, nous n’avons retenu que neuf titres alors que nous n’avons jamais été aussi prolifiques. C’est inhabituel pour Hot Chip de sortir un disque aussi pop et rationnel. Nos intérêts musicaux du moment ont pris le dessus.
L’album sonne pop, mais également comme un melting-pot de la carrière d’Hot Chip.
Alexis : Je suis plutôt d’accord.
Joe : C’est presque inévitable. À chaque nouvel album, tu distilles ce que tu sais faire de mieux pour arriver à un résultat efficace. Nous avons particulièrement réussi notre coup avec A Bath Full Of Ecstasy.
Le morceau titre est peut-être le plus ouvertement pop et le plus dépouillé que vous ayez composé. Même s’il est teinté d’électronique et de référence rnb, il s’apparente surtout à une ballade.
Ce titre est-il un bon résumé des nouvelles directions que vous recherchiez ?
Alexis : Nous travaillions sur un autre titre appelé Jubilees. Un morceau à la fois hip hop et gospel. Le résultat était bon mais nous ne savions pas comment y apporter une touche finale. Nous avons invité un ami au studio pour qu’il nous donne un avis extérieur. Il imaginait bien le titre plus rapide. Augmenter le tempo a donné naissance à un morceau complètement différent. C’est devenu A Bath Full Of Ecstasy. Ce titre a contribué au changement de son que nous recherchions. Il a un côté très musique californienne des 70’s. Presque Fleetwood Mac. En y ajoutant une voix presque androgyne, des sonorités hip hop, on peut ressentir le plaisir que nous avons pris à expérimenter. Avec du recul je trouve qu’on arrive presque à sonner comme Ween, un groupe dont nous sommes hyper fans. C’est pop et étrange à la fois.
Hungry Child sonne très classique house. Est-ce un titre que vous avez travaillé avec Philippe Zdar, auteur de Pansoul, chef d’œuvre house sorti avec Motorbass en 1996 ?
Joe : Étrangement non. Son apport a été minimal sur ce titre. Il a ajouté du tambourin par exemple. J’étais surexcité à l’idée qu’il s’occupe du mixage. Il a une telle compréhension de la house music, de comment elle sonne. Le résultat est calibré pour les clubs.
Alexis : Nous avons ajouté du mellotron, un instrument plutôt inhabituel dans un titre de house. C’est uniquement parce que nous enregistrions aux studios Konk. Ray Davies des Kinks en est le propriétaire. On s’attendait à tomber sur une malle aux trésors niveau instruments. À notre grande surprise, seul un mellotron était disponible. Nous avons voulu l’essayer pour s’amuser.
C’est d’ailleurs le premier single de l’album. La vidéo qui l’accompagne est fabuleuse.
Joe : Notre maison de disques nous a donné une liste de huit réalisateurs possibles. J’ai échangé avec chacun d’entre eux sur leur vision de la vidéo. Je voulais qu’elle tourne autour de l’obsession romantique et du désir évoqués dans les paroles. Nous avons donné des points de référence comme la vidéo de Nothing Compares To You de Sinead O’Connor dirigée par John Maybury. Un classique des 80’s très efficace avec une tristesse bien mise en avant dans les images. Nous avons retenu l’idée de Saman Kesh qui a proposé l’histoire d’un couple dont l’obsession amoureuse s’apparente à une sentence de prison qui finit par les éloigner. J’ai aimé l’idée car elle faisait référence à un livre que j’ai dévoré, Musicophilia d’Oliver Sachs. Il a étudié le cerveau humain pendant des années. Le livre tourne autour des hallucinations créées par le cerveau après un accident. Par exemple, si une personne voit quelque chose de couleur rouge, elle entendra des violons dans sa tête pendant plusieurs heures.
La pochette et le design font clairement référence à la période rave de la fin des 80’s. Pourriez-vous nous dire pourquoi ?
Alexis : Le titre de l’album a dû faire penser à Jeremy Deller (l’artiste ayant réalisé la pochette ndlr) que nous faisions référence à la drogue ou aux raves. Ce sont des sujets qu’il a beaucoup abordés dans son art. Il a par exemple effectué un diagramme de l’histoire de l’acid house. Je ne pense pas qu’il ait directement fait référence à tout ça pour la pochette. On dirait plutôt une référence aux éditions de livres anglais du XVIIIe siècle.
Joe : Jeremy aime créer des comparaisons entre l’imagerie anglaise d’une autre époque et un style très moderne. Il y a un côté tribal, magie noire associé à la culture rave. Ça crée une connexion entre les célébrations religieuses anciennes et les gens qui se réunissent en secret dans un champ pour danser ensemble. L’idée était vraiment intéressante pour un groupe de musique électronique comme le nôtre.
Avez-vous regardé le documentaire de Jeremy Deller sur les fans de Depeche Mode, The Posters Came From The Walls ?
Alexis : Il nous en a prêté une copie. Quel dommage que le groupe empêche sa sortie. On l’a regardé dans notre bus de tournée. C’est fascinant. Tout est raconté par les fans. Il les suit dans des concerts, dans leurs maisons où ils parlent de leur collection de posters. C’est un superbe travail sur le fanatisme.
Étant trop jeunes, regrettez-vous de ne pas avoir connu la période rave ? Est-ce quelque chose que vous fantasmez ?
Joe : Oui, c’était un moment unique dans l’histoire musicale du Royaume-Uni. Je lis beaucoup sur ce sujet. Il y avait des influences de tous les styles. Le hardcore, la musique jamaïcaine etc. Ça a donné naissance à Madchester, la jungle, l’acid house ou la musique baléarique à Ibiza. Bien entendu l’ecstasy n’y était pas pour rien. Les clubs devaient être incroyables à cette époque. Une expérience folle. La culture rave créait un lien social entre des gens qui n’avaient rien en commun. Des amis plus âgés que moi me parlent souvent de leurs souvenirs de soirées. Les situations sont parfois hilarantes. Ils se faisaient virer des clubs au petit matin. Les policiers rôdaient toujours dans le coin pour essayer de coincer des dealers. Les clubers étaient encore tellement défoncés qu’ils dansaient au son des sirènes de police (rire).
[mks_pullquote align= »right » width= »250″ size= »20″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#F18AA8″] « La culture rave créait un lien social entre des gens qui n’avaient rien en commun. »
Joe Goddard[/mks_pullquote]
Joe, tu as affirmé être surtout intéressé par l’idée un peu cliché de la house music old school. Ne trouvez-vous pas parfois qu’il est difficile de trouver de l’intérêt aux nouveaux mouvements électro ?
Alexis : Nous nous produisons souvent en DJ Set. Ça nous force à écouter des nouveautés. Principalement des singles. Je n’arrive pas à trouver des albums contemporains qui me donnent envie de multiplier les écoutes. C’est triste car je suis très attaché à ce format. Du coup je me tourne vers de vieux classiques que je n’avais pas eu le temps d’écouter jusqu’à présent. Des albums reggae des 70’s, du Chet Baker.
Joe : Je n’ose imaginer à quel point il doit être difficile pour un nouvel artiste de percer. Les gens écoutent des playlists sur Spotify. Chaque semaine, on leur propose une centaine de nouveaux morceaux. Ils ont à peine le temps de s’attacher à un titre qu’il est déjà oublié la semaine suivante. Pour les vrais fans, la révolution numérique est fantastique. Je me souviens encore à quel point il était difficile de trouver certains albums quand j’étais gamin. Aujourd’hui n’importe qui peut écouter le Velvet Underground.
Crédit photos : Ronald Dick
Merci à Jennifer Gunther