A 12:45 j’envoie un message Facebook à mon ami Hugo : ce soir je vais voir Interpol j’ai prévu de pleurer une première fois au bout de ~36 minutes et une deuxième fois après la première chanson du rappel.
C’est qu’Hugo est habitué, depuis à peu près 5 ans, à mes éloges exagérés du groupe d’indie/post-punk américain et à recevoir (trop) régulièrement, par message Facebook , des liens Youtube vers leurs morceaux.
Aujourd’hui, les messages sont d’autant plus démesurés que c’est la première fois que je les vois en concert.
Je rejoins mon ami Trico et nous arrivons à l’Olympia pour les 3 dernières chansons du set de HEALTH. Le groupe joue un electro-pop relativement plat et sans surprise que je trouve bien éloigné du côté plus expérimental de leurs albums. Avec horreur, je finis par mettre le doigt sur le nom du chanteur que m’évoque la voix du frontman de HEALTH : James Blunt.
Je remarque étonné, quand les lumières se rallument, que ce que je prenais pour une boîte à rythme est en réalité l’oeuvre d’un vrai batteur sur scène, avec une vraie batterie. Il porte des gants de batterie. C’est le détail en trop pour Trico qui, rendu soudain incontinent par l’ennui, traverse sans peine la foule apathique pour un aller-retour aux toilettes.
Il revient à temps pour voir s’éteindre les lumières de la salle qui laissent briller doucement l’élégante pochette d’El Pintor qui sert de backdrop. En attendant que le concert commence, je change les lettres de place dans ma tête pour former le mot ‘Interpol’.
Le groupe monte sur scène sur leur chanson d’ouverture traditionnelle, Say Hello To The Angels. Les instruments se détachent précisément les uns des autres, et la voix de Paul Banks, paradoxe de nasalité et de profondeur, se pose par-dessus sans peine. Le groupe enchaîne sur des titres du dernier album, Anywhere et My Blue Supreme, qui sonnent bien mieux en live qu’en studio.
Quand commence la ligne de basse d’Evil, le public s’anime et suit, dans un Anglais approximatif, le chant de Banks. Sans trop comprendre comment, grâce au légendaire jeu de coudes agressif et socialement discutable de Trico, je me retrouve dans les premiers rangs pour l’intro de Take You On A Cruise, qui sera un des grands moments du concert, tout en majesté froide.
Le bassiste, qui remplace Carlos D depuis maintenant plusieurs années, a beaucoup de cheveux, et aucun charisme, ce qui en fait l’exact opposé de son prédécesseur. Il joue sans mal les lignes de basses complexes et sinueuses de Dengler. Le reste du groupe est d’ailleurs relativement statique mais très précis, Banks se chargeant d’avoir du charisme pour le reste des membres dont les costumes sont plus ou moins bien taillés. Parfois il sourit entre les chansons et dit ‘merci’ et on peut sentir les heures d’exercice passées à bien prononcer le ‘r’ à la française (ce que l’on est en droit d’attendre de la part d’un chanteur dont, comme le précise Wikipédia, l’écrivain préféré est Céline).
En entendant les premières notes de The New, que, fébrile, il espérait sans trop y croire, Trico s’écrie ‘OUI. OUI. AH OUI OUI.’, déclaration que je m’empresse d’approuver. Une voisine demande ‘c’est votre chanson préférée ?’ mais Trico est trop occupé à faire du yogourt émotionnel pour lui répondre.
Lorsque Banks chante ‘listen to me now, turn on the bright lights’ pendant NYC, entre deux frissons je me dis que, vraiment, payer quelqu’un pour mettre des lumières fuchsia pendant un concert d’Interpol, c’est immoral.
Je suis content que soient présents dans la setlist Breaker 1, mon morceau préféré du dernier album, et Rest My Chemistry, seul représentant du sous-estimé Our Love To Admire.
Le public se lance dans un ersatz de pogo pour Slow Hands, dans lequel me pousse, dans un élan de joyeuse camaraderie l’incorrigible Trico, et qui se prolonge jusqu’à la fin de Not Even Jail avant d’être calmé par la séquence atmosphérique qui sert d’intro à PDA.
Quand le morceau commence, je perds mon ami de vue parmi les gens qui dansent et qui chantent, un sourire un peu béat sur le visage. Je n’ai pas pleuré au bout de ~36 minutes, et je ne pleurerai pas non plus à la fin d’All The Rage Back Home qui sert de première chanson de rappel, mais la véritable acmé sentimentaliste du concert arrivera finalement avec la magnifique outro de PDA.
Quelqu’un dans le public, soucieux d’apparaître au vu de toute la salle et du groupe, comme le plus gros fanboy de l’Olympia crie ‘PRECIPITATE’ mais c’est Lights, le meilleur morceau de l’album éponyme, que joue le groupe en second morceau du rappel. C’est glacé, et grandiose. Le concert se termine aussi traditionnellement qu’il avait commencé avec le long, intime et complexe Stella Was A Diver And She Was Always Down.
Rentré chez moi, dans un de ces élans d’enthousiasme hyperbolique dont Hugo me sait coutumier, je lui envoie par Facebook une salve de messages :
Interpol > un falafel de l’as du falafel
Interpol > Le Septième Sceau
Interpol > Histoire de l’Oeil
Interpol > The Dream Songs de Berryman
Interpol > tout
(Je tiens à publiquement m’excuser auprès de Zara Home pour avoir pissé sur leur vitrine après le concert. La queue pour les toilettes de l’Olympia était bien trop longue, et, comme l’écrivait Burroughs, ‘Wouldn’t you ?’)
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Pour ma part je n’ai pas eu du tout les mêmes impressions. Très déçu par la voix de Banks comme aux précédents concerts. Très déçu par le jeu des guitaristes. Heureusement le batteur et le bassiste sauvent la mise. Le clavier chante mille fois mieux que Banks (!!!) Le final de Turning the bright lights carrément saccagé. Quelques titres assez réussis néanmoins mais ça ne suffit pas pour moi. Je n’irai plus les voir en concert.
De toute manière les garçons ne pleurent pas (c’est même Robert qui le dit)