[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ans le cadre de notre journée spéciale DOA, nous sommes ravis de vous proposer une interview que l’auteur a bien voulu nous accorder pour la sortie de son nouvel ouvrage : Pukhtu secundo.
Bonjour DOA et merci de nous accorder cette interview.
Votre « Pukhtu – Secundo » sort dans quelques jours. Dans quel état d’esprit êtes-vous par rapport à cette sortie ?
Soulagé, serein et anxieux à la fois.
Soulagé parce que le roman est enfin achevé et il clôt une longue aventure d’un peu plus de dix ans, commencée avec « Citoyens clandestins ». Il était temps.
Serein, parce que je propose aux lecteurs ce que je pouvais écrire de mieux à ce jour, dans le respect de mon idée initiale.
Anxieux, parce que j’aimerais voir ce conséquent travail lu et partagé de la façon la plus large possible.
Les deux tomes de « Pukhtu » semblent très documentés. D’où vient cette documentation ?
Vous êtes vous rendu sur place ?
Ils ne « semblent » pas, ils le sont. Mais si les sources sont nombreuses et diverses, écrites, orales, visuelles, vécues, l’essentiel n’est pas là. La documentation est au service d’un propos, d’un projet. Elle est comme les roues d’une voiture, indispensable pour avancer mais loin d’être suffisante.
Quel est votre lien avec vos personnages ? Y en a-t-il un d’ailleurs (tant vous les maltraitez) ? Pour moi, le personnage le plus fascinant, si on peut dire, de ces deux romans, est le Roi Lion. Quel rapport avez-vous entretenu avec lui (s’il y en a un) ?
Je suis en eux, ils sont en moi, de moi. Mes préférés ne sont pas forcément les plus évidents. Parmi ceux-ci se trouve le garçon à la fleur, une addition tardive et inattendue – il ne figurait pas dans mes documents préparatoires – à ma galerie de portraits. Et je n’ai pas l’impression de les « maltraiter ». Ils évoluent dans des mondes difficiles, des mondes dont on sait l’existence, dont on entrevoit le terrible fonctionnement, mais qu’au fond, on préfère chasser de son esprit pour retourner en terrasse boire un verre, même lorsqu’ils s’invitent de façon catastrophique dans notre quotidien. Des mondes qui brisent les gens, les familles, les peuples.
Avez-vous lu « Les cavaliers » de Kessel ?
Il y a une similitude avec votre personnage du Roi Lion dans sa droiture, sa soif de vengeance que je trouvais aussi chez Kessel.
« Les cavaliers » est une lecture de jeunesse, dans laquelle je me suis évidemment replongé lors de la préparation du roman puisqu’il y est question d’Afghanistan. Mais pas des mêmes Afghans, bien qu’ils partagent des qualités d’honneur et de courage avec mon Shere Khan. Néanmoins, pour être tout à fait honnête, mon texte a été plus influencé par la lecture ou relecture d’autres auteurs : Kipling, Conrad et Tolstoï notamment.
Il me semble que tous vos personnages aient un côté très noir, violent, en révolte et une face cachée, difficilement accessible (que vous dévoilez peu à peu) mais plus douce. Pouvez-vous nous dire quelques mots là dessus?
Mes personnages sont des gens « normaux ». Confrontés à des situations extrêmes, dangereuses, tristes, ils glissent ou s’effondrent, se redressent ou se révoltent. Ou tout cela à la fois. Mais ils n’en sortent pas indemnes. Personne ne sort indemne de ce genre d’épreuves, surtout dans la « vraie vie ». Et comme toute personne ne relevant pas de la psychiatrie, mes « héros » possèdent également des côtés plus lumineux. La méchanceté brute, la violence pure, on les rencontre rarement chez quelqu’un. Ainsi, les comportements des protagonistes de «Pukhtu», leurs sentiments, leurs allégeances, leurs ambitions, passent par différentes phases, des nuances. Ils ne sont ni blancs ni noirs, juste gris, humains. Du moins était-ce mon envie de départ.
Vous décrivez un monde d’hommes. Un monde dans lequel les femmes trouvent difficilement une place. Amel, peut-être une petite, en agissant finalement comme un homme, aussi durement qu’eux. Chloé, qui est perdue. Et puis les femmes des hommes de pouvoir qui subissent l’absence des hommes.
Je situe mon action dans un monde où la folie guerrière, la rage criminelle sont avant tout masculines et s’exercent contre, entre autres, des femmes. Où la violence, les inégalités professionnelles et administratives sont principalement le fait des hommes et affectent également beaucoup les femmes. Où la violence religieuse tue des hommes certes, mais viole aussi des femmes avant de les réduire en esclavage ou, a minima, de les contraindre à l’enfermement. Ca vous rappelle quelque chose ? Mon livre essaie d’être en prise avec le réel tel qu’il est, pas tel que nous le souhaiterions. Et je ne suis pas là pour prêcher la bonne parole, j’écris des romans.
Dans « Pukhtu », il y a beaucoup d’articles de presse. Sont-ils tous vrais et pourquoi les intégrer à votre récit?
99% d’entre eux relatent de véritables événements, mais ce ne sont pas de vrais extraits, tirés tels quels de journaux – du fait des restrictions imposées par le droit de citation notamment. Quelques-uns, glissés au milieu du reste, sont fictionnels. Je m’en sers pour plusieurs raisons. D’une part, datés, ils aident le lecteur à se repérer dans le temps. D’autre part, ils me servent à planter un décor, à rendre compte d’une situation générale qui évolue en parallèle de mon intrigue et qui, incluse dans mon récit, aurait risqué de l’alourdir. Enfin, ils viennent renforcer l’effet de réel, pour créer une sorte d’« hyper-réel ».
[mks_pullquote align= »right » width= »250″ size= »22″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] »Acquérir […] une totale maîtrise de son récit afin de pouvoir se lancer ensuite dans l’inconnu sans appréhension. » [/mks_pullquote]
Les deux tomes de « Pukhtu » sont assez complexes. Comment avez-vous écrit ces romans ?
Aviez-vous un plan général ou avez-vous fait progresser l’histoire petit à petit ?
Les deux, mon capitaine (sourire). Il est inconcevable de construire un récit tel que celui-ci sans un plan. Enfin, moi je n’en serais pas capable. Aux éléments de contexte, généraux, aux événements réels imposés par les décors, l’époque choisis, il faut intégrer assez précisément, dans l’ordre, après les avoir dégrossis, ceux qui sont spécifiques à chaque personnage, à son parcours, puis caler les arcs des protagonistes les uns par rapports aux autres et par rapport à la toile de fond. Toutes ces étapes imposent leurs contraintes propres et nécessitent des arbitrages nouveaux. Ces arbitrages font bouger l’ensemble et, à mesure que celui-ci se fait plus complexe, il devient nécessaire de faire des ajustements supplémentaires. Ensuite, il faut référencer précisément l’ensemble avec les résultats préalables des recherches documentaires, textuelles, audiovisuelles, iconographiques, cartographiques, techniques, afin de ne pas avoir à se replonger à l’aveugle dans son océan de données au moment où une information est requise pour illustrer le récit.
A ce stade, mise en scène et dramaturgie sont déjà en partie incluses, même si c’est au moment de l’écriture que celles-ci vont s’affiner et cristalliser. Ainsi, quand arrive la rédaction, on a des fondations solides. Plus elles sont solides, plus on a de liberté après pour façonner l’ouvrage selon les lignes suggérées par le plan mais aussi en se laissant guider par la magie de l’écriture et de l’immersion dans l’écriture, qui génère de nouvelles connexions, ellipses, figures et fait émerger, parfois, des thématiques inattendues. Par exemple, je l’ai mentionné précédemment, le garçon à la fleur. Il s’agit donc d’acquérir, à l’étape du plan, une totale maîtrise de son récit afin de pouvoir se lancer ensuite dans l’inconnu sans appréhension.
Est-ce que « Pukhtu secundo » clôt un cycle entamé avec « Citoyens clandestins », suivi par « Le serpent aux mille coupures » ?
Tout à fait, et il était temps pour moi de passer à autre chose.
Que prévoyez-vous pour le prochaine roman ?
Avez-vous déjà des idées ?
Plein. Je vais d’abord écrire un récit à deux voix qui explorera l’univers des sexualités extrêmes et abordera la question de la violence féminine et ensuite, beaucoup plus tard, j’ai besoin avant cela d’effectuer à nouveau un long travail de documentation et de construction, un roman sur un officier SS ayant existé.
La musique tient une place importante dans vos romans. Comment sélectionnez-vous les extraits que vous y faites figurer ?
Quels sont les groupes que vous écoutez le plus ?
La musique tient une place importante dans cette série de textes, même si elle est quasiment absente du « Serpent aux mille coupures », et ce n’est pas le fruit du hasard. Elle est d’abord apparue dans « Citoyens clandestins ». En elle-même, l’idée d’une illustration sonore dans un roman n’est pas originale, d’autres auteurs, américains principalement, l’ont eue avant moi. Et la seule illustration n’était pas le but poursuivi. Dans ce premier récit, la musique est liée à un personnage particulier, qui se met en condition écouteurs sur les oreilles. Petit à petit, son rituel finit également par mettre le lecteur en condition puisque celui-ci, inconsciemment, pige que chaque apparition du baladeur de ce protagoniste signale un déchaînement de violence prochain. La bande-son du livre n’est donc pas ma bande-son mais la sienne, et elle est autant le reflet de l’époque à laquelle se situe l’action que de sa psyché. L’inclusion de cette « playlist » a plu aux amateurs du roman. J’ai donc décidé d’en reprendre le principe lorsque j’ai commencé à réfléchir à la suite, « Pukhtu » surtout – le dispositif dramatique du « Serpent » s’y prêtait moins – en le faisant évoluer, mais en gardant comme contrainte de ne sélectionner que des titres contemporains du récit.
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »22″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] »Le temps est long et les jours s’enchaînent, misérables, lorsque l’on ne peut se “divertir”. » [/mks_pullquote]
J’ai lu dans une interview que vous avez commencé à écrire par ennui. Que pensez-vous de la théorie de Pascal sur le divertissement et l’interprétation qu’en a faite Giono dans Un roi sans divertissement ?
Je ne connais pas le texte de Giono, mais j’adhère tout à fait à la théorie pascalienne de l’évitement. Le temps est long et les jours s’enchaînent, misérables, lorsque l’on ne peut se “divertir”.
Plus généralement, quel lecteur êtes-vous ? Quel est votre dernier grand coup de cœur ?
Écrire de la fiction m’a rendu extrêmement difficile, regardant. Et je le regrette. Peu nombreux sont les récits, de genre ou non, dont je ne vois pas aujourd’hui les ficelles et les figures, les affects stylistiques ou les recettes, dès les premières pages, ou qui possèdent un souffle suffisamment puissant pour m’emporter. Je me suis donc replié sur des classiques ou des essais et documents. L’un des seuls romans qui m’ait transporté récemment est « Les noirs et les rouges » d’Alberto Garlini, un récit sur les années de plomb italiennes vues, et c’est inédit, à travers le prisme sans complaisance d’un « héros » fasciste.
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[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]ette interview au long cours clôt notre journée spéciale DOA.
Un dernier petit mot de ma part si vous permettez :
J’ai découvert l’existence de DOA lu Pukhtu primo en mai 2016 (avec donc beaucoup de retard). Sachant proche la sortie de Pukhtu secundo, j’ai souhaité me lancer dans la lecture de ses ouvrages précédents. Et, dans l’ordre,j’ai donc attaqué Citoyens clandestins en août. Réalisant alors que les personnages de Pukhtu naissaient dans ce livre. Puis j’ai voulu lire Le serpent aux mille coupures avec la surprise (au niveau d’un personnage) dont je parle dans la chronique.
En septembre, dans l’attente fébrile de Pukhtu secundo, je me suis replongé dans Pukhtu primo.
Une fois reçues les épreuves de Pukhtu secundo, je n’ai pu lâcher le livre. Je l’ai dévoré. Pris dans l’intrigue, dans l’envie de savoir ce que DOA allait faire de tous ces personnages avec lesquels je vivais depuis mai.
Je disais dans la chronique de Pukhtu primo que la suite serait, pour moi, le livre le plus attendu de l’année. Quel bonheur de n’avoir pas été déçu, quel bonheur de lire l’aboutissement de ce cycle !
Maintenant, je vais attendre avec impatience la suite dont DOA parle dans l’interview.
Il me reste à remercier en premier lieu l’auteur, bien sûr, pour ses réponses à mes questions ; l’attachée de presse de DOA, Christelle Mata, qui a tout fait pour que j’ai le temps de lire Pukhtu secundo, afin de proposer une chronique le jour de la sortie et qui m’a mis en contact avec DOA.
Je remercie aussi Lilie et Jennifer, pour leurs encouragements et l’aide au niveau de la mise en page.
Enfin, les lecteurs d’Addict-Culture dont j’espère qu’ils auront envie de découvrir l’univers de DOA.