[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ans l’univers sucré mais pas toujours édulcoré des strass et des paillettes, il est des personnages qui ne laissent jamais indifférents. On les aime ou on les déteste souvent pour des raisons irrationnelles, où la passion prend souvent le pas sur la raison. Cet état de fait provient souvent de leur omniprésence tant médiatique qu’artistique. L’efficience de leurs interventions dans les médias, ou dans le déballage de leur vie privée, étant souvent inversément proportionnelle à l’efficacité qu’ils mettent en œuvre dans leurs carrières respectives.
A chaque période sa tête de turc.
Aujourd’hui, Jack White semble incarner l’homme à abattre, victime d’un procès dont il est certes, parfois, un acteur consentant, mais tout aussi la victime d’une machine qui broie quiconque ayant un succès considérable. Etape par étape, essayons de comprendre toute la mécanique mise en place par ce stakhanoviste du rock de tout juste 40 ans – il est né le 09 juillet 1975 – natif de Detroit.
Fausse fratrie
The White Stripes, le duo par qui la notoriété est arrivée, c’est déjà l’histoire d’un « malentendu » bien entretenu par les deux protagonistes. En s’affichant, ou en tous cas en faisant planer le doute sur le fait qu’ils étaient frère et sœur alors qu’ils furent en réalité mari et femme entre 1996 et 2000, soit le laps de temps qu’il fallut pour sortir The White Stripes (99) et De Stijl (00) sur le marché américain, ils jouèrent à fond sur le côté mystérieux de leur relation, ce qui aura eu comme effet d’intriguer le petit monde de la musique « alternative ». Le bluff durera encore quelques temps, le temps de percer sur le vieux continent grâce à White Blood Cells et aussi, surtout, grâce à Elephant, dont le premier single issus de ce quatrième effort, Seven Nation Army, a cartonné à un tel point qu’aujourd’hui, il n’est plus vu qu’au travers des supporters de foot du monde entier ânonnant d’une seul voix le riff de guitare avec force logorrhée diarrhéique. Une incongruité dans le grand barnum Rock’n’Rollesque qui ne s’embarrasse d’habitude pas d’attitudes sportives ou extra-sportives de cet acabit.
Il faut rendre à César ce qui appartient à César, le tour de force de Jack White avec The White Stripes aura été de réactiver une scène rock moribonde, de groupes binaires qu’on n’avait plus entendus depuis les Cramps, à peu de choses près, entrainant dans son sillage une multitude de groupes en « The », dont ne subsistent aujourd’hui que les Black Keys, auparavant prometteurs, avant qu’ils ne changent de trajectoires et ne deviennent plus qu’un insipide groupe FM de plus au fur et à mesure que le temps aura passé, et dont l’histoire commune avec Jack White ne s’arrêtera pas avec une quelconque ressemblance musicale, comme on le verra par ailleurs.
L’aventure White Stripes prendra fin en 2011 après six albums studios, les deux derniers étant assez dispensables, renvoyant Meg White dans un relatif anonymat artistique – tout au plus savons-nous qu’elle fut remariée avec le fils de Fred « Sonic » Smith et Patti Smith entre 2005 et 2013 -, alors que son leader multipliera les activités de groupes et d’homme d’affaire via son label Third Man Records et la plateforme de streaming de milliardaires. Tidal, donc.
De White Stripes, la majorité des leaders d’opinions qui sévissent dans le monde de la musique ne retiennent en général que les trois premiers albums comme étant la pierre angulaire de leur relativement courte carrière, ce qui peut tout de même paraître très réducteur vis-à-vis d’un groupe qui aura joué un rôle de facilitateur entre une musique, qui n’avait déjà plus à cette époque rien de subversive, et le grand public en manque de guitares fuzz dans une décennie embrigadée par d’immondes artistes R’n’B. Ce qui en soi n’était déjà pas si mal et qui mérite certainement mieux que le dédain méprisable dont le groupe semble faire l’objet aujourd’hui.
Supergroupes
Parallèlement aux White Stripes, Jack White formera, avec Brendan Benson notamment, The Raconteurs au mitan des années 2000. Groupe avec lequel il distribuera le bâton à ses détracteurs pour se faire molester, le groupe n’étant rien de plus qu’une réunion de musiciens relativement connus d’un certain milieu et ne proposant qu’une relecture d’un Rock daté seventies lourdaud dont White semble assez friand. Rien de bien génial, mais rien de véritablement honteux non plus. On gardera de l’aventure – deux albums : Broken Boy Soldiers et Consolers Of The Lonely – quelques titres qui, sans crier gare, ont eu une certaine efficacité, tels Steady As She Goes chanté par White sur le premier, et quelques titres aux arrangements un peu plus subtils signés par Benson sur le second. Pas de quoi fouetter un chat. En hiatus depuis 2010, plus aucun projet commun n’a l’air d’actualité. On ne s’en formalisera pas.
Autre lubie, The Dead Weather, chose Zeppelinienne informe formée avec l’aide d’Alison Mosshart des Kills et de Dean Fertita (QOTSA) entre-autres. Sur ce projet, Jack White a attrapé le syndrome Dave Grohl… à l’envers, passant de la guitare à la batterie, laissant le soin à Dean Fertita et Alison Mosshart de nous infliger les plans mille fois rabâchés du duo Plant/Page, avec du gros son et sans aucune originalité. Pénible. Trois albums parus à ce jour, curieusement assez bien accueillis par la presse spécialisée et par les blogueurs de tous poils.
Du rouge contre du bleu
Quand sort en 2012 Blunderbuss, son premier album solo, à moins de faire partie d’un fan club transi et aveuglé par une certaine bigoterie à l’endroit de ce bon vieux Jack, il fallait vraiment avoir envie de plonger dedans, surtout que beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts et qu’une énième mutation psychédélique plus ou moins excitante s’était faite jour, sans parler d’une scène garage bien vivace. La roue tourne toujours. Les vieux détracteurs de Jack White n’ont d’ailleurs probablement pas écouté ce disque, pourtant pas si mauvais qu’on aurait pu le croire. Bien entendu, la fraîcheur des débuts a disparu, l’urgence aussi. L’album est d’ailleurs par moment assez ampoulé. Mais il comporte aussi son lot de réussites. Tout comme Lazaretto, sorti deux ans plus tard.
Mais l’essentiel est ailleurs. Son label, Third Man Records, créé en 2001, depuis 2009 implantée à Nashville, et auquel il donne une impulsion soudaine : imaginez un entrepôt réaffecté en studio d’enregistrement, salle de concert, un studio et un labo photo, une boutique ainsi qu’une ancienne camionnette de vente de crème glacée reconditionnée en boutique de vinyle ambulante. Un rêve de gosse somme toute. L’entreprise TMR a permis le retour de Wanda Jackson, l’enregistrement live suivi du pressage en vinyle d’artistes tels Parquet Courts, Black Lips, White Denim ou Drive By Truckers pour les plus contemporains, ainsi que Jerry Lee Lewis pour les plus anciens.
Entre autres faits d’armes, on doit aussi à Third Man Records l’enregistrement, dans une antique cabine d’enregistrement et gravée sur vinyle acétate, une des dernières curiosités en date de Neil Young, A Letter Home. Inécoutable. Comme quoi, les démons antagonistes de Jack White font perpétuellement surface.
La pomme de discorde
Dans la vie publique, quand il ne pense pas musique, il aurait une certaine propension à la bagarre, verbale ou physique. Plusieurs en ont fait les frais, alimentant le fait qu’il soit une tête de lard.
Ainsi, lors d’une interview pour le magazine américain Rolling Stones, il déclara, au sujet de Meg White, qu’elle est une sorte d’ermite, assez recluse, ne parlant presque jamais, et ne l’encourageant jamais lorsqu’il touchait au but lorsqu’il écrivait les chansons du duo.
En 2003, il avait frappé Jason Stollsteimer, chanteur-guitariste des Von Bondies. Celui-ci s’était épanché assez vertement dans la presse concernant la production de leur premier album sorti en 2001, effectuée par Jack White, et qu’il considérait comme mauvaise. Résultat : décollement de la rétine pour Stollsteimer et 500 dollars d’amende pour White.
La dernière frasque en date, quoique nébuleuse et probablement alcoolisée, nous vient de Patrick Carney, batteur des Black Keys, groupe que White tient en profonde aversion. Ce dernier aurait menacé Carney dans un bar de New-York pour Dieu sait quelles raisons. Carney et White se sont affrontés sur Twitter via diverses punchline telles que : « Jack White n’est rien d’autre que la personnification du T-Shirt Zero à la con de Billy Corgan« , ou encore « Personne n’a voulu se battre avec toi. Personne ne t’a touché. On t’a posé une question à laquelle tu as été incapable de répondre, donc tu as tourné les talons et tu es parti. Donc arrête de pleurnicher sur internet et parle face à face comme un être humain. Fin de l’histoire. » Ambiance…
Concernant sa vie amoureuse, le couple qu’il formait avec sa deuxième épouse, Karen Elson, mannequin roux de chez Elite, dont il tenta d’ailleurs de lancer la carrière musicale, presque aussitôt étouffée dans l’oeuf, implosa en plein vol en 2011, après 6 années de mariage et la venue au monde de deux enfants.
So what ?
Indéniablement, le Jack White peut faire sourire, ou pleurer, ou provoquer moult agacements face à tant d’omniprésence et d’hyperactivité. Cependant, réduire le personnage au bouffon du roi serait terriblement injuste, de par son implication, le legs musical qu’il laissera derrière lui, ses talents de musicien accompli. Et puis, un type qui déterre Wanda Jackson de l’oubli dans lequel elle était plongée ne peut pas être foncièrement mauvais. Sans doute au départ se rêvait-il en Robert Johnson. Il se trouve plutôt être Jimmy Page. Ce n’est déjà pas si mal, après-tout.