[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n décembre dernier, je suis allée voir The Dogs day are over de Jan Martens, jeune chorégraphe de l’aube, dont la carrière a commencé il y a quelques dizaines d’années seulement. Ce spectacle est une chorégraphie inspirée par une citation du photographe Philippe Halsman et portée par 8 danseurs en tenue de sport qui vont exécuter une performance physique des plus originales devant leur public
Lumière éclatante, pleins feux sur les danseurs et le public. La visibilité est réciproque et c’est troublant. Troublant parce qu’on voit tout, on scrute chaque détail et on se concentre sans relâche. C’est notre effort physique à nous, en tant que public. Chacun de leurs gestes, de leurs sauts et chacune des gouttes de transpiration qui apparaît est un sujet d’observation. Une empathie totale naît sur la longueur, leur épuisement faisant écho, comme si nous étions nous-mêmes en train de sauter sur scène et de nous fatiguer. Cette tension vigoureuse, ce saut incessant qui se renouvelle toujours quel que soit le moment ou le placement dans l’espace scénique nous met dans une position délicate. On ne peut détacher notre regard même si par moment nous avons juste l’impression de les regarder s’exténuer physiquement sans rien faire.
Et pourtant, leur énergie et cette volonté d’acier qui les poussent à sauter encore et encore en rythme et en harmonie s’apparentent à l’image du funambule en tension sur sa corde, ce personnage entre un après et un avant, qui garde l’équilibre malgré sa situation complexe. Cette tension semble évoquer la fragilité de l’existence avec laquelle danse tout homme. Cette vitesse inaltérable et ce tourment qui nous emprisonnent dans une boucle sans fin. Le mouvement permanent par lequel ils sont portés les dénude finalement de tout artifice sous nos yeux.
Les danseurs exécutent à la perfection le projet architectural pensé par Jan Martens, le chorégraphe. On sent que tout est calculé, affiné et que le travail fourni en amont a été un travail autant individuel – chacun doit trouver son équilibre selon ses propre ressources et connaître ses limites pour éviter que le corps ou le mental ne craquent – que collectif pour se caler les uns sur les autres, compter le rythme à l’unisson, sentir les vibrations et les mouvements de ses compagnons pour créer une identité rythmique, dansante et harmonieuse.
Jan Martens a débuté sa carrière il y a seulement quelques dizaines d’années, mais cette chorégraphie est déjà un haut lieu de réflexion, de beauté et d’humanité. Il réussit à intégrer plusieurs aspects dans un même spectacle ,là où l’on pourrait juste voir l’aspect performance, du fait de l’absence de musique par exemple. Pourtant, une certaine musicalité s’instaure grâce à la cohésion parfaite qu’il y a entre les danseurs, grâce à leur voix criant presque mélodieusement la rythmique à l’oral «One two one two one two two». De même, la répétition du geste, le saut, vient créer un effet comique alors que les danseurs sont en train d’étirer au maximum les capacités de leur organisme et de s’épuiser. Les souffles s’accélèrent, les bouches s’ouvrent, les corps suintent et révèlent la lumière et la vérité de chacun de ces esprits concentrés sur un objectif commun, un challenge à accomplir, un épuisement de soi qui permet finalement le dépassement de soi.
Jan Martens nous montre à sa manière comment apprendre à se connaître dans l’effort physique, se comprendre, mutuellement et personnellement. Il y a une sensation d’accomplissement à la fin de ce spectacle, malgré l’endurance éprouvante qui est supportée par les danseurs. Une véritable expérience à vivre, sur le plan intellectuel et émotionnel, sans hésitation.
♦ Avec ♦
Cherish Menzo, Nelle Hens, Kimmy Ligtvoet, Julien Josse, Laura Vanborm, Steven Michel, Piet Defrancq et Naomi Gibson et/ou Morgane Ribbens, Ilse Ghekiere, Victor Dumont, Connor Schumacher
Vu au Théâtre Universitaire de Nantes, le 13 Décembre 2016.
Le site de Jan Martens