[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]eu médiatisée jusqu’à aujourd’hui malgré une longue carrière, Jane Weaver aura enfin rencontré un succès mérité en 2017 avec Modern Kosmology. Son kraufolk a volontairement gagné en clarté, lui permettant au passage de mettre en avant ses talents de productrice. Nous l’avons rencontrée pour une interview bilan dans laquelle elle revient sur cette année folle, sa passion pour Kate Bush, Rhianna et Hawkwind.
Te souviens-tu de tes premiers émois musicaux ? Quels sont les artistes t’ayant marquée à l’époque que tu admires toujours ?
J’ai une vision très claire d’un passage des Bay City Rollers à la télévision quand j’étais toute petite. C’était un groupe écossais manufacturé qui jouait du glam rock. Le véritable choc est venu un peu plus tard, à l’âge de 5 ans quand j’ai vu Kate Bush à Top of The Pops. J’étais tellement impressionnée qu’à Noël mon père m’avait offert une cassette de son album du moment, The Kick Inside. Je suis toujours aussi fan.
As-tu assisté à l’un de ses concerts en 2014 ?
Oui. J’ai pleuré cinq fois. C’était trop d’un coup pour moi. Elle ne s’était pas produite sur scène depuis 1979. J’avais pourtant promis à une amie de bien me tenir (rire).
Ton début de carrière que ce soit dans un groupe avec Kill Laura, puis en solo, a été rempli d’obstacles. Pourtant tu es encore là aujourd’hui. Qu’est ce qui t’as poussé à continuer ?
J’ai toujours voulu être musicienne. J’entends des chansons dans ma tête en permanence. Faire de la musique est compulsif. Nous gagnions de l’argent avec Kill Laura. Notre album a été enregistré avec un budget confortable, mais il n’a jamais été sorti à cause d’un changement de personnel. Même scénario pour le deuxième album. Je me suis lancée en solo par la suite. Rob Gretton m’a signée sur son label, Rob Records. Un album a été enregistré mais n’est jamais sorti car Rob est décédé. J’ai pris ces accidents, aussi tragiques qu’ils soient, comme des étapes de la vie. Il faut savoir encaisser et continuer.
Jusqu’à aujourd’hui tu as eu l’habitude de tout gérer seule. Tu as créé ton label, produit tes disques. Être signée en direct sur Fire Records a t-il été un soulagement pour toi ? As-tu pu plus te concentrer sur l’artistique ?
J’ai voulu que la pression redescende. Gérer sa carrière de A à Z est stressant. Sortir un disque demande beaucoup de temps et d’argent. Je suis bien placée pour le savoir, mon mari dirige plusieurs labels indépendants. Je me sens soulagée et beaucoup plus soutenue. Je peux aujourd’hui tourner dans toute l’Europe. J’ai pu me concentrer sur ce que j’aime le plus, passer du temps en studio.
N’as-tu pas eu peur de perdre une partie de ta liberté ?
Si, mais j’ai été très claire. L’équipe de Fire Records s’est montrée fantastique. Ils n’ont entendu aucun morceau avant que je sois prête à leur faire écouter. Je ne voulais pas qu’ils interfèrent dans mon travail en donnant leur opinion. Ils m’ont laissé une grande liberté.
Justement, tu parles souvent de tes maquettes de manière pas très flatteuse. Y a t-il une part d’insécurité qui t’anime ?
Je trouve malgré tout un certain charme à certaines de mes maquettes. On y trouve une naïveté et une spontanéité qui n’engage que moi. Je garde toujours un élément des démos dans mes chansons. Elles en constituent le squelette. Je le fais pour garder une part d’humanité. On y trouve même des accidents qui t’éloignent de la perfection, et c’est tant mieux. L’idée de sortir un disque qui tombe dans la facilité me fait peur.
Modern Kosmology avait un son plus garage à l’origine. Pourquoi avoir changé de cap en cours de route ?
J’écoutais beaucoup trop de Ty Segall et de Yoko Ono à l’époque. Mon idée était de réunir tout le monde dans une pièce pour jouer en mode intense. Je n’ai presque rien gardé de ces sessions. J’ai changé d’avis en cours de route. Je n’ai jamais compris les artistes passant deux semaines en studio qui publient le fruit de leurs sessions. Je les admire pour leur concentration et leur confiance en eux. Je fonctionne différemment. J’ai besoin de temps, d’explorer plusieurs directions. Je laisse mes morceaux reposer. Après quelques jours, je les écoute dans la voiture ou dans la cuisine pour me faire une opinion.
Il t’a fallu un an et demi au total entre la première maquette et la fin de l’enregistrement. Il doit également y avoir une part de perfectionnisme en toi !
J’ai du mal à m’arrêter lorsque je travaille sur un morceau. C’est lié en partie à mon perfectionnisme. Je cherche avant tout à ce que mon travail sonne bien, pas qu’il sonne parfait. C’est pour cette raison que j’apporte de nombreuses modifications en cours de route. Je fonctionne surtout au feeling.
Modern Kosmology marque une étape supplémentaire en termes de production. Il y a moins d’effets sur ta voix par exemple. Qu’as tu voulu changer par rapport à l’album précédent ?
J’adore le space rock, des groupes comme Hawkwind, les voix qui sortent de l’ordinaire, les effets. Pourtant, j’ai voulu apporter une clarté qui manquait à mes albums précédents. La transition paraîtra sans doute subtile à certains, mais pour moi c’est un pas en avant.
L’album a beau sonner contemporain, à son écoute, il paraît inconcevable que tu n’ais pas utilisé de matériel vintage. Est-ce le cas ?
Je suis une passionnée de sons analogiques. Ils t’apportent de la personnalité. A l’heure où la majorité des artistes enregistre en numérique, il est important pour moi de faire vivre un son à l’ancienne. Je ne suis pas hermétique, j’utilise du matériel moderne car ma musique doit évoluer. Mes enfants m’exposent à de la pop musique moderne. J’y trouve des productions intéressantes. Indirectement, écouter des artistes comme Rihanna m’apporte des idées pour mes morceaux. De manière plus générale, le fait d’habiter à quelques kilomètres de Manchester, à la campagne, ne me pousse pas à chercher la nouveauté. Je me sens un peu à l’écart de tout ce que peut t’apporter la vie en ville.
Ton univers sonore est si particulier que l’on a l’impression que tu te coupes du monde pendant le process d’écriture et d’enregistrement? Est-ce le cas ?
D’habitude oui, mais pas pour Modern Kosmology. C’était un accident. J’ai du aller à Liverpool pour renouveler mon passeport. J’en ai profité pour me rendre à une exposition d’art féministe avant-gardiste à la Tate. Quand je suis rentrée à la maison, j’ai fait un peu de recherche sur certains artistes exposés. Je suis tombée sur le travail d’Hilma af Klint, une peintre et mystique suédoise. Son histoire et son art m’ont bouleversée. Ma vision de l’album a évolué. Certains textes s’inspirent de mes recherches. C’est la raison pour laquelle j’ai abandonné l’expérience garage dont nous parlions précédemment. Quand je compose, je n’écoute que quelques artistes. Jean-Claude Vannier ou David Axlerod. Uniquement dans une optique de travail. Je ne souhaite pas me laisser influencer par quoi que ce soit de moderne.
En parlant de Jean-Claude Vannier, on sent particulièrement l’influence de son travail sur le morceau titre de ton disque, Modern Kosmology.
J’en suis consciente (rire). Mon mari est un collectionneur d’albums. Etant passionné de Gainsbourg, il a creusé l’univers de ses collaborateurs. La musique de Jean-Claude Vannier est souvent sur la sono à la maison. Je suis admiratif de sa carrière. Ses bandes originales de films sont exceptionnelles. Il a commencé à enregistrer si jeune ! C’est un autodidacte. Pour moi il résume le son français que je cherche à capturer en permanence.
Ta musique est à la fois expérimentale et très accessible. Penses-tu que c’est en partie ce qui fait que Modern Kosmology rencontre autant de succès ?
J’ai une grande sensibilité pop, mais je suis exposée au quotidien aux goûts de mon mari. Il joue beaucoup de jazz expérimental, de musique concrète et d’autres styles très intenses, pas facilement approchables. Surtout quand il commence à passer ce genre de disques au petit déjeuner (rire). Modern Kosmology reflète mon quotidien musical en quelques sortes.
L’année 2017 s’est plutôt bien terminée pour toi. Ton album a été acclamé par la critique, tu te retrouves en bonne position dans les classements de fin d’année. Comment as-tu vécu la chose ?
Je n’ai pas eu le temps de réaliser car j’ai été occupée en permanence. J’ai déjà des concerts de planifiés cette année jusqu’à la période des festivals. J’ai donc encore l’impression de ne pas avoir abandonné ce disque. Ce qui est positif car Modern Kosmology m’aura accaparé sur une longue période. Si je suis honnête, ne pas être en studio me manque.
Quels disques t’ont marquée en 2017 ?
Je n’ai pas vraiment eu le temps d’écouter des nouveautés. A part dans le van pendant les tournées. Les derniers Thee Oh Sees et This Is The Kit me viennent à l’esprit. Je me suis laissée surprendre par l’album de Fleet Foxes, un groupe que je n’aurais jamais pensé aimer. C’est trop folk pour moi. Quelques titres m’ont émue. C’est sans doute parce leur disque s’inscrit en réaction à la musique intense que j’écoute habituellement (rire).
Merci à Alice Gros