[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#333399″]L'[/mks_dropcap]avantage des collections de poche, outre qu’elles permettent au plus grand nombre d’accéder à la littérature, est qu’elles font découvrir ou redécouvrir des œuvres qu’on a oubliées en route, même si on en connaît bien l’auteur. C’est le cas en particulier de La Petite Vermillon des éditions de la Table Ronde, qui viennent de ressortir un roman signé Jean Rolin et publié chez Lattès en 1989.
Il faut dire que Jean Rolin est un auteur prolifique, et que La Frontière Belge fait partie de ces textes absurdes qui laissent derrière eux une sensation d’incertitude. Une fois la lecture terminée, on se retournerait presque, discrètement, pour voir si l’auteur ne nous aurait pas joué un de ses tours et ne serait pas caché, non loin de là, pour surprendre notre réaction et s’étouffer de rire en nous voyant mi-déconfit, mi-médusé.
En 130 pages, y compris l’exergue signé Choderlos de Laclos, Rolin, pour peu qu’on se laisse faire, nous entortille autour de son petit doigt et nous présente une galerie de personnages farfelus, voire inquiétants, pris dans un tourbillon d’histoires et de situations qui précipite le lecteur dans un tour de montagnes russes. L’exercice est salutaire en ce qu’il nous secoue, nous sort de notre léthargie et de nos habitudes. La spécialité de l’auteur… Raconter La Frontière Belge, c’est à peu près aussi pertinent que de résumer À La Recherche du Temps Perdu. Et pourtant, il va bien falloir essayer!
Dès le premier paragraphe, on apprend que la dénommée Lilas s’est fait boulotter par des renards dans les bois de Carrouges. Le narrateur est bien conscient qu’il est en train de raconter là quelque chose de difficile à croire. On confirme. Et pourtant, il va falloir faire avec, et ce n’est pas fini.
Le deuxième personnage, celui qu’on appelle le Père, n’est probablement le Père de personne. Et pourtant, c’est chez lui qu’habitent les autres personnages, Rainette et Guitoune, deux filles âgées à elles deux de trente-trois ans, la première en ayant trois de moins que la seconde. Débrouillez-vous avec ça.
Le narrateur est un jeune homme dont on sait que son travail, de temps à autre, l’oblige à passer quelques jours hors de la maison, mais toujours dans le Nord, à Dunkerque, à l’hôtel Bristol ou à La Corvette. En quoi consiste ce travail ? Aucune importance. Et Lilas, la dévorée, que faisait-elle dans la vie ? Qu’est-ce que ça peut nous faire ?
Rolin fait tout pour décrire cette drôle de famille en restant toujours un pas de côté, là où on ne l’attend pas. Nous n’aurons pas, ou peu, ces informations qui habituellement nous permettent de situer les personnages. Il faudra avoir un peu d’imagination, faire un pas de côté nous aussi.
Prenez Guitoune, par exemple. Son truc à elle, ce sont les petits animaux à fourrure, les taupes en particulier, dont elle fait un usage sensuel assez surprenant. Lilas était la maîtresse du quincaillier. Rainette, elle, fait la serveuse au bistrot du coin pour la saison. Et c’est la préférée du narrateur : La première fois que j’ai vu Rainette, elle m’a fait l’effet d’une petite laitue à peine éclose.
Le Père ressasse son passé : À quand remonte le Père, voilà ce qu’il est difficile d’établir. Mais le Père est ancien, c’est indéniable. Un passé dans la marine, c’est sûr. Une femme, Émilienne, paix à son âme. De toute façon, il la soupçonnait de le tromper avec le facteur. Et tout ce petit monde occupe une maison où règne un foutoir sans nom… Bien sûr, il va se passer quelque chose, et c’est le narrateur qui va prendre les rênes de l’histoire, devenir le héros d’une échappée improbable, aussi surprenante que grandiose… Enfin, enfin, franchir la frontière belge…
Pas un conte, pas une fable, il n’y a pas de morale sauf celle que le lecteur voudra peut-être inventer : La Frontière Belge est tout simplement un moment de littérature comme on en lit peu, à la fois exigeant et généreux avec son lecteur, extravagant, drôle et impudique.
Le plaisir à l’état – plus ou moins – pur.