[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ba1414″]P[/mks_dropcap]arrain du punk ? C’est ce que dit le sous-titre de cette biographie, la première en français qui soit consacrée à Ian Dury, icône anglaise et personnalité contrastée. En effet, les deux biographies parues en anglais n’ont pas été traduites, et on saura gré à Jeff Jacq, déjà auteur de plusieurs essais biographiques, notamment sur le groupe Bijou et sur Olivier Caudron, ainsi que de récits et de pièces de théâtre, de rappeler au public francophone l’existence chaotique et l’influence déterminante de ce personnage tout en ombres et en lumière, à la fois irrésistible et détestable.
Ian Dury naît à Harrow, dans le Middlesex, en 1942, en pleine guerre. L’une de ses particularités est sa propension à arranger la réalité pour la plier à ses désirs : longtemps, il mentira sur sa date et son lieu de naissance, Dieu sait pourquoi… Une mère issue de la bonne bourgeoisie, un père né de l’autre côté de la barrière, dans la classe ouvrière : un mariage qui, pour l’époque, n’est pas ordinaire, surtout dans une Angleterre où les classes sociales sont particulièrement imperméables. D’ailleurs l’union ne durera pas longtemps : dès 1944, le couple est séparé, et le jeune Ian est élevé par sa mère et ses deux tantes. Une enfance dans un cocon féminin, et un intérêt très précoce pour les livres et le dessin.
À l’âge de sept ans, Ian s’embarque avec son meilleur ami Barry et la mère de celui-ci pour une journée au bord de la mer, plus précisément à Southend. Au programme, une séance de piscine. C’est là que Ian contractera la polyomyélite qui manque lui coûter la vie et qui lui laissera des séquelles terribles, le côté gauche paralysé, le bras atrophié, et des difficultés considérables pour se déplacer.
Il ne faut pas être grand clerc pour tirer les mêmes conclusions que l’auteur quant au caractère irritable et violent de son héros… Un handicap pareil, rien de tel pour provoquer des complexes insurmontables, sauf à se montrer plus fort qu’eux, c’est-à-dire à apprendre à se défendre, voire à attaquer face au mépris et aux sarcasmes des imbéciles.
Jeff Jacq déroule ainsi, de façon assez classique et chronologique, album par album, EP par EP, l’existence de ce drôle de bonhomme, qui fut le premier à porter une épingle à nourrice à l’oreille, et qui se considérait non pas comme le parrain du punk, mais comme son fondateur, même si musicalement ses influences le différenciaient considérablement des stars plus médiatiques comme Sex Pistols ou Clash.
Ian Dury n’oubliera jamais ses premières amours pour la littérature : dans son tout premier texte, on retrouve au passage une citation de William Burroughs, ainsi que des influences des poètes de la Beat Generation… Il accordait donc à ses paroles, qui toutes constituent de petites histoires cocasses, cyniques, cruelles, voire un brin surréalistes, une importance particulière. Il mettra un certain temps à devenir musicien professionnel, puisque c’est en 1971 qu’il montera sur scène pour la première fois avec son groupe Kilburn and the High Roads.
Mais le monsieur est un brin caractériel : il veut être le chef ou rien… Résultat, le groupe se disloque, se reforme, les uns partent en claquant la porte, les autres n’ont plus qu’à obéir. C’est le journaliste Nick Kent qui mettra le feu aux poudres avec un article paru en 1972 dans le New Musical Express : « Dury est tout simplement la figure la plus charismatique que j’aie jamais vue sur une petite scène britannique. »
Voilà, c’est dit.
Le groupe tourne avec les Who, fait de plus en plus de concerts, les musiciens vont et viennent au gré des humeurs de leur leader, dont la vie privée est de plus en plus chaotique. En août 1977 sort le single où figurent Sex & Drugs & Rock & Roll et Razzle in My Pocket. Curieusement, alors que Sex & Drugs… demeure sans doute le titre le plus connu de Ian Dury, il ne remporte pas un succès immédiat, même si le NME le sacre « single de la semaine ». Côté communication, la BBC donne un coup de pouce en l’interdisant de diffusion pour incitation à la débauche de la jeunesse anglaise.
En septembre 1977, sort l’album New Boots & Panties, dont le premier titre, Wake Up and Make Love with Me, reste dans toutes les mémoires, avec son intro diabolique.
Ian Dury s’affirme, sa grande force c’est un « groove » unique en son genre, et son approche de la chanson courte, de la petite histoire incisive, basée sur la vie quotidienne, riche en allusions à la culture populaire anglaise et n’hésitant pas à utiliser des expressions, voire des accents savoureux. Dans cet album, il rend aussi un bel hommage à son idole de toujours, Gene Vincent.
En 1978, victoire : Ian Dury est, enfin, une célébrité. Il commence à faire des tournées internationales. On se rappelle, notamment, son concert à Paris en décembre 1978, au théâtre Mogador plein à craquer, son entrée sur scène, canne enrubannée à la main, et sa façon de prendre possession des lieux et du public en un tournemain, dandy gouailleur, provocateur et populaire…
https://youtu.be/2TBSqS4yMrM
Sex and drugs and rock and roll live
Sweet Gene Vincent, avec Wilko Johnson à la guitare
Au gré des amours tourmentées de Ian Dury, de ses crises existentielles, de ses frustrations et de ses choix musicaux, l’auteur nous amène jusqu’à la date fatidique du 27 mars 2000. Ian Dury succombe à un cancer et s’éteint à son domicile londonien. Le lendemain, le chanteur Arno jouait dans une salle de la banlieue parisienne et lui rendait un hommage aussi ému qu’émouvant.
Outre les aspects biographiques documentés, l’un des mérites de ce livre est qu’il rend compte de la scène musicale anglaise des années 70 à 90, et rappelle certains mouvements un peu oubliés, comme le « pub rock » dans lequel s’inscrivit à un moment Ian Dury, à son corps défendant. Du même coup, le rock jouant dans la société anglaise le rôle que l’on sait, on se retrouve immergé dans l’Angleterre de l’époque, et on suit à travers les courants musicaux qui se succèdent l’évolution d’un pays en pleine mutation, pour le meilleur et pour le pire…
On regrettera l’absence totale de photographies, et on aurait ardemment souhaité que l’éditeur du livre rende davantage justice à son auteur, et bien sûr, à Ian Dury en se montrant un peu plus attentif. Le texte aurait gagné à un travail plus approfondi : élimination des répétitions – nombreuses – , vigilance sur certaines formulations hasardeuses qui ne sauraient passer pour des figures de style et sur certaines traductions discutables. Bref, un peu plus de travail et on n’aurait plus grand chose à reprocher à cette biographie utile, honnête et bienveillante d’une figure inoubliable du rock anglais.