[dropcap]J[/dropcap]ournaliste et romancière, Judith Perrignon a publié une quinzaine de romans depuis 2005, du polar au roman historique, avec un souffle rarement pris en défaut, comme en témoigne par exemple Victor Hugo vient de mourir paru à l’Iconoclaste en 2015. Toujours là où on ne l’attend pas, elle propose avec ce nouveau roman une brève histoire de Detroit, des années 30 à nos jours, un portrait social et musical de cette ville à laquelle tout semblait promis et dont la municipalité dut demander la mise en faillite en 2013. À travers le destin de quelques habitant(e)s de longue date, elle revient sur les raisons probables de cette débâcle et le racisme quasi institutionnel qui y mena.
Ce qu’on ne refait pas en ville, des promoteurs le construisent à quelques miles, en laissant entendre que là-bas au moins les Blancs seront tranquilles. Ce sont eux, les entreprises, les planificateurs, les politiciens qui ont donné le signal. Les gens ne seraient pas partis d’eux-mêmes, effrayés par quelques jours d’émeutes. Ils savent que l’histoire, le gouvernement et l’armée sont de leur côté. La fuite, c’est pour les Noirs. »Judith Perrignon
Avant d’être associée à sa musique, Detroit fut, entre 1900 et 1930, connue sous le nom de « Motor City », capitale de l’industrie automobile, dont la population augmenta en flèche durant ces années. Là où nous dansions démarre en 1935, lorsqu’Eleanor Roosevelt, femme du président des États-Unis, arrive à Detroit pour présenter un ambitieux projet de rénovation urbaine à l’attention de la population noire de la ville : le Brewster Project est né, dont l’objectif est de remplacer les taudis de la ville par un ensemble de logements « durables et confortables à très bas prix ». Ce programme fait bien évidemment grincer quelques dents, en particulier chez les notables de la ville.
2013 : le Brewster Project est en cours de démolition, plus personne n’y vit et on vient d’y signaler la présence d’un cadavre, une fois de plus. Que s’est-il passé pour en arriver là ? Où doit-on chercher les responsables de cet échec retentissant ? Quand la situation a-t-elle commencé à se dégrader ? Ce sont quelques-unes des questions que se pose Sarah, jeune femme flic qui va enquêter sur le meurtre.
« Urban renewal. Negro removal. »
Croisant les époques et les voix, Judith Perrignon évoque ces années bouillonnantes au cours desquelles, tandis que se développaient les différentes tranches du Brewster Project, on y vit naître des talents et des carrières musicales qui porteraient haut et fort la voix de la ville dans le monde entier. En 1959, Berry Gordy crée sa maison de disques, la Motown (contraction de Motor Town), dont le succès fut tel que le surnom initial de Detroit fut changé en Hitsville U.S.A.. Mais d’autres projets sont à l’œuvre dont celui de cette autoroute censée faciliter les trajets des habitants et la liaison avec les états environnants. Elle se fera donc, au détriment du centre-ville dont une partie de la population va devoir déménager, et signera le début de la fin pour la ville, qui ne cessera par la suite de s’appauvrir et de se vider de ses habitants. Le phénomène continue de s’amplifier au cours des années 60 jusqu’aux violentes émeutes de 1967, connues comme les plus sanglantes de l’histoire des États-Unis.
A travers les voix de ses protagonistes, Judith Perrignon remet en perspective l’histoire de la ville et la façon dont sa trajectoire fut brisée, à coup de mauvaises décisions et de renonciations, délaissant finalement son centre-ville à la population afro-américaine la plus pauvre pendant que la violence et l’apparition de la drogue achevaient de faire fuir celles et ceux qui en avaient les moyens. Histoire d’un échec, Là où nous dansions est aussi celle d’un rêve, dont l’incroyable bande-son rassemble Diana Ross et les Supremes, Stevie Wonder, Martha and the Vandellas ou Marvin Gaye. C’est peut-être ici que l’on trouvera la meilleure illustration de l’expression « danser sur un volcan ». Rarement musique aussi entraînante aura accompagné destin plus sombre. Il semblerait ces dernières années que la ville parvienne à se relever doucement mais à quel prix ?
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Là où nous dansions de Judith Perrignon
Éditions Rivages, Janvier 2021
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