« Il faut que le sage porte le fou sur ses épaules. »
(Proverbe espagnol)
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[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]P[/mks_dropcap]our une grande partie du public, le nom de Kid Loco est systématiquement associé à une grandiose histoire d’amour : lorsque paraît, à l’automne 1997, le magnifique A Grand Love Story, la musique moderne se trouve à un carrefour entre plusieurs tendances fortes, qui allaient toutes s’inscrire durablement dans les codes contemporains après avoir bouillonné dans l’ombre pendant plusieurs années. Ce premier véritable album, publié à la suite d’un EP rugueux et direct, conciliait ainsi, dans un même geste artistique, la gourmandise de samples évocateurs, caractéristiques du trip-hop alors encore en vogue, et la science précise et habitée d’un groove feutré et entêtant, qui allait être un temps associée au courant plus ouvertement électronique et remuant de la French Touch.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]M[/mks_dropcap]ais derrière ce mystérieux pseudonyme (Kid Loco, « l’enfant fou », tout un programme) se cachait en réalité un certain Jean-Yves Prieur, qui s’avérait être, déjà à l’époque, tout sauf un débutant. En effet, ce producteur français aguerri avait déjà fait ses premières armes au milieu des années 80, lorsqu’il cofonda, à l’âge de 20 ans à peine, le mythique label Bondage Records, qui allait devenir le repère d’un nombre impressionnant de groupes tous plus originaux les uns que les autres.
De la fureur engagée de Bérurier Noir à la loufoquerie énergique de Ludwig Von 88, en passant par le rockabilly possédé des Washington Dead Cats ou le rhythm ‘n’ blues sauvage des Satellites, la structure posera, en une poignée d’années, les bases de qu’on désignerait bientôt comme étant le rock alternatif français, dessinant les contours d’une nouvelle scène s’affranchissant totalement des rituels typiques de l’industrie du disque d’alors.
[mks_pullquote align= »left » width= »280″ size= »18″ bg_color= »#ffffff; » txt_color= »#993366″]Une dimension sulfureuse évoquant tout autant la consommation décomplexée de drogues douces qu’une tension sensuelle portée à son point d’incandescence extatique. [/mks_pullquote]
L’évolution musicale décrite par Jean-Yves Prieur au cours de la décennie suivante pourrait surprendre celles et ceux que toute forme d’éclectisme artistique rend suspicieux. Il paraît pourtant important de relever que la musique de Kid Loco, loin d’être un simple pas de côté opportuniste ou une reconversion carriériste, s’inscrit dans la logique d’une vie placée sous le signe d’une passion invincible et inspirée. En cette fin de millénaire aussi flippante qu’excitante, ce qui distingue cet iconoclaste revendiqué de tous les acteurs débutants de cette scène électronique française, alors en pleine ébullition, tient en une dimension sulfureuse aussi suggérée qu’envoûtante, évoquant tout autant la consommation décomplexée de drogues douces qu’une tension sensuelle portée à son point d’incandescence extatique.
Pour prendre toute la mesure de la spécificité de l’art pointilleux et personnel du bonhomme, on pourra toujours se replonger dans la fascinante compilation Jesus Life For Children Under 12 Inches, qui rassemblait, en 1999, une douzaine de remixes édifiants, amoureusement concoctés pour des univers aussi divers que la rêverie bouleversante de Talvin Singh, la brit pop malicieuse de Pulp, la litanie ténébreuse de Kat Onoma ou les mélodies vaporeuses des Pastels, toutes abreuvées à la même source magique qui irriguait déjà à merveille A Grand Love Story.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]P[/mks_dropcap]our asseoir sa renommée montante de maître des ambiances moites et des textures nacrées, Kid Loco aurait pu s’astreindre à cette recette miracle durant de longues années encore. Mais n’étant pas du genre à céder à la facilité comme aux sirènes d’une mode qu’il savait éphémère, Jean-Yves Prieur prendra tout son monde à revers en 2001, avec le nettement plus rock Kill Your Darlings, distillant dans son cocktail retors une forte dose de noirceur, en descendance directe de celle qui constituait l’essence même du Velvet Underground.
Après ce coup d’éclat gonflé et admirable, le producteur se fendra d’une belle bande originale pour le film The Graffiti Artist de James Bolton, avant qu’il ne semble prendre une certaine distance avec les sorties sous son alias le plus reconnu.
On le retrouvera néanmoins en grande forme en 2008, avec la parution du très mystique Party Animals & Disco Biscuits, qui associait un album original fiévreux et mélodique à un puissant disque de relectures club des mêmes titres, comme pour dévoiler à parts égales les deux facettes complémentaires d’un état d’esprit ouvertement syncrétique et sincère.
Malheureusement, cet opus magnétique passera quasiment inaperçu, tout comme son successeur, l’explicite et excellent Confessions Of A Belladonna Eater, qui transcendait en 2011 toutes les qualités de ses prédécesseurs dans une démarche confinant à la pop la plus baroque, tout en creusant plus profondément encore leur sillon spécifique, entre rythmiques hypnotiques et électricité charmeuse.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]D[/mks_dropcap]epuis lors, on avait peu de nouvelles du Kid de Belleville, hormis la signature qu’il laissa sur quelques compilations lui donnant l’occasion de laisser libre cours à ses sélections érudites (notamment la plantureuse Tribute : The Finest Cover Songs Vol. 1 en 2016).
C’est pourquoi la parution, en septembre dernier, d’un cinquième long format studio avait des airs de retrouvailles émues et alléchantes : en douze plages aussi immédiates qu’addictives, The Rare Birds propose, derrière une production ample et puissante, de nouvelles variations défricheuses à un art confirmé des ambiances cinématiques et prenantes.
[mks_pullquote align= »right » width= »300″ size= »18″ bg_color= »#ffffff; » txt_color= »#993366″] »The Rare Birds » propose, derrière une production ample et puissante, de nouvelles variations défricheuses à un art confirmé des ambiances cinématiques et prenantes.[/mks_pullquote]
Laissant la part belle à ses nombreux invités, du solaire Tim Keegan qui habite avec grâce la progression de Soft Landing On Grass à la tétanisante Olga Kouklaki qui drague le sublime Unfair Game dans des limbes fantasmagoriques, Jean-Yves Prieur s’applique à mettre en scène, comme jamais, les reliefs accidentés et entraînants qui lardent ses compositions vénéneuses et addictives.
Ainsi, la trame sonore implacable de The Boat Song explose en un final tendu à la limite du garage rock le plus psychédélique, le saxophone vrillé d’Ismael Ndir souffle les braises free jazz du redoutable Yes Please, No Lord! et un gimmick martial et obsédant vient investir les murs de Bob’s Ur Unkle, croisant le fer avec un arrangement de cordes épiques et poignantes. Et si l’on cherche dans le disque quoi que ce soit qui puisse nous convaincre que le temps n’a aucune emprise sur la pertinence de la musique de Kid Loco, le facétieux Motherspliff Connection vient nous mettre une énorme soufflette, concassant dans ses paradis artificiels toutes nos angoisses les plus récalcitrantes.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]À[/mks_dropcap]l’issue de l’écoute d’un tel disque, dense et vivace, dont la kaléidoscopique ligne narrative démarre sur un opéra futuriste mené par la voix éclatante de Claude Rochard (l’ouverture Claire) et s’achève par une complainte aussi aveuglante qu’un coup de foudre (le conclusif The Bond, que le timbre d’Olga Kouklaki domine de son aura pénétrante), j’ai eu envie de rencontrer Jean-Yves Prieur pour en savoir plus sur ses méthodes de travail, et tenter de percer les secrets de sa longévité et de son endurance persistante.
Il m’est vite apparu comme une évidence que malgré ses trente-cinq années d’activité (voire d’activisme) au service de la musique, son recul salutaire, à la fois débonnaire et pragmatique, n’entrave d’aucune manière son enthousiasme viscéral.
Et lorsqu’il revient avec générosité sur son parcours conséquent, ce n’est que pour mieux nous inviter à envisager la recherche de nouvelles pistes alternatives. Alors qu’il pourrait se targuer d’avoir vécu mille vies et en tirer une fierté compréhensible, Jean-Yves Prieur ne semble vouloir savourer que l’instant présent, les yeux rivés sur l’avenir avec autant de flegme soucieux que d’optimisme exemplaire.
[mks_dropcap style= »rounded » size= »30″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366; »]INTERVIEW[/mks_dropcap]
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Huit ans se sont écoulés depuis la parution de votre précédent long format studio. Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de réaliser The Rare Birds ?
Jean-Yves Prieur : Depuis quelques années maintenant, je travaille énormément avec des plugins (modules informatiques d’extension, pouvant notamment générer un instrument virtuel ou un effet audio, ndlr) alors qu’auparavant je travaillais davantage avec de vrais instruments : guitare, basse ou claviers. Pour mémoire, mon premier album n’était constitué que de samples, et lorsque j’ai commencé à tourner et à me produire en live, je me suis dit que ce serait une vraie galère de recréer sur scène ce que je faisais en studio. C’est à partir de là que je me suis tourné vers ces fameux plugins pour différents projets, notamment pour mon travail de library music (banque de sons que peuvent utiliser, sous licence, divers acteurs audiovisuels pour illustrer leurs propres productions, ndlr), puisqu’au fil du temps, j’ai été amené à bosser pour des boîtes comme KPM ou Tele Music (entreprises spécialisées dans la création d’illustrations musicales ou sonores, ndlr). Dans ce cadre-là, les projets étaient souvent définis par des thèmes : par exemple, lorsque j’ai dû travailler sur une musique « orientale », j’ai été chercher des plugins pouvant générer des sons de ce type, comme du oud ou des choses comme ça. Bon, j’avoue que je me suis penché sur la question avec pas mal de retard, vu il y a des gens qui font ça depuis des années déjà (rires).
C’est donc en bidouillant avec ces outils que j’ai été amené à composer des musiques que j’ai gardées pour moi. Au bout d’un moment, j’ai commencé à trouver que ces titres formaient un ensemble cohérent et je me suis dit que ce serait marrant d’en faire un album. Et voilà (sourire).
Cet album est probablement le plus éclectique de votre discographie. Aviez-vous envie de montrer l’éventail le plus large possible de vos influences ?
JYP : Là encore, c’est lié à cette histoire de plugins : j’avais accès à plein de sons différents, que j’ai utilisés pour obtenir exactement ce que je voulais, tout en les intégrant à une base qui reste quand même très électronique derrière tout ça. Je pense que ça reste cohérent au niveau du son global, mais je trouve que c’est bien aussi d’avoir des variations comme ça sur un même disque. Je trouve cela plutôt agréable, du moment que ça ait du sens au final. Car si ça n’en a pas, c’est vraiment dommageable.
Je pensais notamment à un titre comme The Boat Song, avec sa seconde partie entre krautrock et garage, ou à Yes Please, No Lord! et ses élans qui tendent vers le jazz électrique. En entendant ça, je me suis dit que vous vous étiez encore plus « lâché » que d’habitude.
JYP : Oui, il est vrai que je me suis pas mal amusé (sourire). Au départ, j’étais tout seul dans mon studio avec mes instruments et mes plugins, et j’ai ensuite fait venir des gens pour faire des voix ou jouer d’autres instruments. Par exemple, pour Yes Please, No Lord! et tous les titres sur lesquels il y a du saxophone, j’ai fait jouer Ismael (Ndir, ndlr) et en trois prises c’était bouclé. Beaucoup de prises de clavier ont été réalisées dans les conditions du live elles aussi, avec des gens qui n’étaient là que pour une journée. J’ai donc pas mal mélangé ce côté direct avec une dimension plus électronique.
Par rapport à vos disques précédents, j’ai le sentiment que cet aspect un peu « jam session » qu’on retrouve sur certains morceaux est inédit pour vous.
JYP : Oui, tout à fait. C’était plus carré auparavant. Mais comme je travaille avec des samplers, ce n’est pas un batteur qui joue les beats, qui sont constitués de choses que je prends à droite ou à gauche. Il y a donc toujours un côté répétitif par rapport à ce que donnerait un vrai groupe, mais pour cet album-ci j’ai effectivement vu les choses un peu différemment. En réalité, c’est surtout une question de maîtrise technique.
Pouvez-vous nous parler des invités qui figurent sur l’album, comme Claude Rochard, Olga Kouklaki et Chris Anderson ?
JYP : J’avais fait un remix pour le dernier album d’Olga, avec Guillaume Méténier qui joue aussi des claviers sur mon disque d’ailleurs, et avec lequel j’ai un projet qui s’appelle Tele Music All Stars. À un moment, j’avais douze titres instrumentaux et j’ai décidé d’incorporer des voix pour certains d’entre eux. J’ai donc pensé aux gens avec qui j’avais déjà travaillé et avec qui ça pourrait être facile de le faire. Quant à Claude Rochard, c’est mon voisin (rires). J’avais appris récemment qu’il chantait à l’Opéra, et pour le morceau sur lequel on le retrouve, je n’avais pas besoin de paroles mais je voulais arranger le titre en incluant une voix de ce type, donc je lui ai demandé de chanter dessus plutôt que d’utiliser un plugin de plus.
[mks_pullquote align= »left » width= »280″ size= »18″ bg_color= »#993366; » txt_color= »#ffffff »]« Je suis parfaitement conscient que même si certains de mes morceaux sont plus rapides que d’autres, la couleur globale de ce que je fais reste downtempo. »[/mks_pullquote]
Et Chris Anderson, je le connais depuis des années puisque j’avais produit son groupe, Departure Lounge, sur lequel Tim Keegan chante, d’ailleurs, tandis que Chris joue des claviers. Sadie est sa femme, avec qui il a monté un duo, La Mômo, qui ne sort pas de disques mais pour lequel j’avais déjà mixé un single il y a plus de vingt ans. Il y a aussi Erik Jansson, qui joue maintenant avec Jay-Jay Johanson, et qui avait tourné avec moi à l’époque de mon deuxième album : à chaque fois qu’il passe à Paris, il vient au studio et pose des impros sur les morceaux sur lesquels je travaille à ce moment-là. Ensuite je me débrouille avec ce qu’il a fait, même si ça peut parfois prendre cinq ans (rires). Ce sont tous des gens que je connaissais avant, et avec qui j’ai gardé contact.
D’autres contributeurs avaient déjà collaboré avec vous par le passé, comme Tim Keegan, Julie B. Bonnie ou DJ Seep. C’est important d’avoir une bande avec soi quand on fait de la musique ?
JYP : Pour Julie, c’est très simple : c’est la seule personne que je connaisse qui joue du violon (sourire). Pour l’album précédent, j’avais besoin d’un violoncelle et c’est elle qui m’a amené la personne qu’on entend en jouer sur le disque. Je collabore avec DJ Seep depuis mon deuxième album, et il est présent dès que je me produis en live. J’ai d’ailleurs d’autres projets avec lui, sous d’autres identités. Ce sont des gens qui sont disponibles et avec lesquels il est simple de travailler. En outre, je connais la plupart d’entre eux depuis plus de vingt ans, ils sont devenus des amis, et comme j’aime bien la façon dont ils jouent, je ne vois pas pourquoi je me priverai de faire appel à eux (sourire). Donc dès que j’ai besoin d’un son particulier, je pense avant tout à eux.
Chacun de vos albums développe un univers particulier, qu’il soit trip-hop, rock, groove ou pop. Pourtant vous êtes souvent identifié comme un artiste essentiellement downtempo. Est-ce une étiquette qui vous dérange ?
JYP : Honnêtement, je m’en fiche, ce n’est pas mon problème (sourire). Quand j’ai fait mon deuxième album (le plus rock Kill Your Darlings en 2001, ndlr), beaucoup de gens m’ont dit que je m’étais tiré une balle dans le pied et que je n’aurais jamais dû faire quelque chose d’aussi différent du premier. J’ai peut-être été un peu trop loin sur ce disque-là, il y a des moments où ça pèche au niveau de la production et où je pense que j’aurais pu mieux faire les choses, mais je l’aime bien quand même. Je dois avouer qu’au moment où j’ai décidé de le faire, je l’ai fait très rapidement parce que j’étais très occupé par d’autres activités à cette époque-là, j’avais beaucoup de DJ sets et de remixes à faire. De toutes façons, je suis parfaitement conscient que même si certains de mes morceaux sont plus rapides que d’autres, la couleur globale de ce que je fais reste downtempo.
Puisqu’on évoque Kill Your Darlings, est-ce que ça vous a fait plaisir que votre titre Here Come The Munchies, qui est extrait de ce disque parfois mal compris, ait été très récemment utilisé dans la bande-son de la série Vernon Subutex ?
JYP : Je savais qu’il en avait déjà été fait mention dans les livres originaux de Virginie Despentes, vu que ma femme et mes filles les ont tous lus (sourire). C’était bien pour moi de vivre ça. Ce deuxième album avait quand même été bien accueilli à l’époque, même s’il se démarquait de ce que j’avais fait auparavant sur A Grand Love Story, qui avait vraiment bien marché. Ce n’était pas la même chose, ce n’était pas le même moment. La plupart des groupes ou artistes qui ont du succès avec un premier album se contentent de refaire la même chose sur le deuxième. Mais je ne voulais pas faire ça. Je me sentais déjà limité par l’utilisation des samples sur le premier album, du coup je me suis interdit de m’en servir par la suite. Ou alors si je l’ai fait, c’était dans une autre logique.
Il faut dire qu’au départ, Kid Loco était un projet très underground. Le premier maxi que j’ai fait sous ce nom (The Blues Project en 1996, ndlr), je ne sais pas combien on en a vendu, mais c’était très confidentiel…
Je me souviens qu’en entendant ce maxi à sa sortie, j’étais surpris d’entendre quelqu’un sampler des groupes de rock indé dur comme Fugazi, ce qui ne se faisait pas du tout à l’époque…
JYP (me coupant doucement) : Oui, il y avait beaucoup de sonorités rock, j’ai même samplé Sonic Youth sur ce disque ! (sourire) Après ça on a sorti des 25 cm tirés à mille exemplaires, donc ce n’était pas non plus des grosses ventes.
Avant cela, vous avez été l’un des acteurs majeurs de la scène musicale dès les années 80 en tant que cofondateur du label Bondage. Pensez-vous que l’état d’esprit de cette époque pourrait encore être d’actualité ?
[mks_pullquote align= »right » width= »300″ size= »18″ bg_color= »#993366; » txt_color= »#ffffff »]« Le trait d’union entre ces années de rock indépendant et la façon dont j’ai fait mon premier album, c’est l’idée de faire les choses soi-même, à la maison. »[/mks_pullquote]
JYP : Ah ça je n’en sais rien, je ne suis pas du tout au fait de la scène musicale actuelle. Mais je pense qu’en ce qui me concerne, le trait d’union entre ces années de rock indépendant et la façon dont j’ai fait mon premier album, par exemple, c’est l’idée de faire les choses soi-même, à la maison. On retrouve d’ailleurs cette manière de travailler dans des univers comme le hip-hop ou même le trip-hop, c’est vraiment du « do it yourself ». Depuis l’époque du rock alternatif, je n’ai pas changé de fonctionnement.
Quand on produisait des disques avec Bondage, on se donnait une semaine d’enregistrement pour faire un album entier. Je me rappelle que l’album des Satellites sur lequel j’ai travaillé (Du Grouve Et Des Souris, réalisé en août 1987, ndlr) a été enregistré en sept jours, puis on a ensuite pris sept jours de plus pour le mixer, ce qui était quand même très rapide vu qu’il y avait seize titres et beaucoup de musiciens dessus, dont une section de cuivres. Et c’était la même chose avec les Washington Dead Cats. Des années plus tard, j’ai fait le maxi Blues Project sur un lecteur de cassettes (rires). Le premier album de Kid Loco, je l’ai fait avec un sampler et un magnéto huit pistes. Quand j’ai l’occasion d’aller dans un vrai studio, j’y vais, mais je ne l’ai jamais fait pour Kid Loco.
Au sein de la scène électronique française, vous semblez vouloir vous maintenir hors de toute famille particulière, notamment celle qu’on a affublée du terme de French Touch. C’est un choix délibéré de votre part ?
JYP : C’est surtout une vérité évidente pour moi : je ne viens pas de ces milieux-là. La preuve : quelques années avant, j’étais encore un punk (rires). Mais j’ai quand même eu d’autres projets entre ces deux périodes, notamment le premier que j’ai monté et qui s’appelait Mega Reefer Scratch. Des années plus tard, quand j’ai rencontré DJ Cam (figure emblématique du trip hop français des années 90, ndlr), il m’a dit qu’il adorait ce groupe-là et s’était demandé comment j’avais fait pour réaliser certains samples qu’il n’avait pas réussi à faire de son côté. Quand j’ai monté Catch My Soul, des gens comme Ludovic Navarre (alias St Germain) et Shazz ont fait un remix de l’un des titres. Mais même si j’ai établi des connexions avec certaines personnes, on ne vient du même milieu et on n’a pas le même passif. Je me sens plus proche de quelqu’un comme Mirwais (ancien membre de Taxi Girl et producteur à succès pour Madonna, ndlr), dans le sens où nous avions déjà fait quelque chose avant toute cette mouvance. Le label Yellow Productions, sur lequel j’étais signé aux débuts de Kid Loco, était tenu par des gens qui étaient purement des DJs et n’avaient rien fait auparavant.
Bon, pour tout te dire, le côté French Touch, ça me casse un peu les couilles (rires). J’avoue que j’en ai profité, que j’en profite encore, et que c’est bien que ce soit arrivé aussi, mais je ne veux pas me limiter à ça. Quand je me produis en tant que DJ, les gens s’attendent à ce que je joue mon album, mais je n’ai pas envie qu’ils s’allongent pour dormir (rires). Quand je mixe, je joue de la house music ou des trucs latins pour faire danser les gens. Et quand je fais de la scène, je prends ma guitare et je fais du punk rock (rires). Même si ça s’appelle Kid Loco, je m’en fiche (sourire).
Par rapport aux années 80 et 90, où les genres étaient encore très cloisonnés, est-ce que d’une manière générale, les gens comprennent aujourd’hui cette évolution ?
JYP : C’est vrai que parfois, il y a encore des gens qui sont choqués. Je me rappelle qu’au moment de la tournée Kill Your Darlings, on s’était retrouvé dans un festival en Allemagne, qui s’appelait Electronic Beats ou quelque chose dans ce genre, et on s’est pointé sur scène en formation rock alors que tous les autres types passés avant nous étaient des nerds avec lunettes, crânes rasés, et Macintosh. Au moment où on jouait notre titre un peu slow I Want You, un mec dans le public a hurlé « electronic beats please !!! » Clairement, ils n’avaient pas aimé (rires). Mais ailleurs, d’autres gens avaient été agréablement surpris. Pareil pour les DJ sets : d’une façon globale, les gens comprennent ce que je fais.
D’une manière générale, comment voyez-vous l’évolution récente des pratiques musicales, en France comme à l’international ?
JYP : Honnêtement, je ne m’en rends vraiment pas compte. Je suis désormais un « vieux », avec un catalogue, une histoire et des relations derrière moi, qui me permettent de ne pas fonctionner par réseaux comme tout le monde le fait. Ça cartonne pour certains, ça ne marche pas pour d’autres, mais je ne sais pas si c’est plus ou moins difficile qu’avant. Cependant, j’ai quand même l’impression qu’aujourd’hui, on a des outils qui permettent aux gens de faire de la musique en dehors de tout circuit officiel. Il y a sur internet des démos de gamins de douze ans qui jouent aussi bien que Jimi Hendrix. Il n’y a même plus besoin d’avoir un professeur ! C’est quand même dingue, ça : je connais des gamins qui se sont enfermés chez eux pendant six mois et qui jouent dix fois mieux que moi, alors que j’ai quarante ans de guitare derrière moi. Par eux-mêmes, ils apprennent beaucoup de choses sans se référer au contexte historique qui y correspond : ils vont coller une guitare à la Hendrix sur un beat hip-hop, par exemple. Je pense qu’aujourd’hui, il n’y a pas de véritable mouvement musical comme ceux qu’on a eus auparavant, comme le folk, le rock’n’roll, le punk, le hip-hop ou la techno. Tout coexiste en même temps et quelque part, c’est ça que je trouve le plus difficile.
En plus, on ne réfléchit plus du tout en terme d’albums aujourd’hui. Même si pour ma part, je suis old school et j’ai conçu mon nouveau disque comme ça, je sais très bien qu’il se vendra très peu de CDs ou de vinyles par rapport au streaming généré, même si je ne sais pas combien de gens écouteront tout l’album et combien n’écouteront qu’un seul titre. Aujourd’hui, les gens écoutent avant tout une musique parce qu’elle est présente dans une playlist. Peut-être qu’il y a ensuite une démarche de recherche, je ne sais pas. Mais à titre personnel, je ne consomme pas la musique de cette façon-là. Bon, d’accord, je télécharge des trucs sur internet de façon malhonnête, que j’achète ensuite selon que je trouve ça bien ou pas. Il y a aussi beaucoup de choses introuvables ailleurs, tout simplement parce que les maisons de disques ne les ont plus ou ne les rééditent pas.
[mks_pullquote align= »left » width= »300″ size= »18″ bg_color= »#993366; » txt_color= »#ffffff »]« Il ne faut pas s’étonner que les gens aillent sur internet pour télécharger illégalement ce qui n’est pas disponible ailleurs. »[/mks_pullquote]
Il y a quelque temps, sur la demande d’un label anglais, j’ai fait une compilation de titres sortis chez EMI en France dans les années 60. L’idée était de sortir trois CDs pour un total de quatre-vingt dix morceaux. Je leur ai fait une liste de deux-cent-cinquante titres, et les mecs étaient ébahis de voir tout ce que j’avais déniché. Dans un premier temps, on m’avait donné les codes d’accès aux archives digitales d’EMI, dans lesquelles je n’ai rien trouvé. En revanche, j’ai découvert que plein de singles sortis chez eux avaient été encodés sur internet par des amateurs. Sur les deux-cent-cinquante titres que j’ai sélectionnés, les gens d’EMI n’avaient pas les contrats pour 45% d’entre eux. Sur les 55% restants, ils n’avaient pas les bandes master dans deux tiers des cas, et ne savaient pas où trouver celles correspondant au dernier tiers. Quand on voit ça, il ne faut pas s’étonner que les gens aillent sur internet pour télécharger illégalement ce qui n’est pas disponible ailleurs.
Pour ce qui concerne les albums dont je te parlais tout à l’heure, ceux que j’ai fait avec Mega Reefer Scratch et Catch My Soul, ils sont sortis sur des majors à l’époque et ne sont plus disponibles nulle part. À l’inverse, j’ai les droits pour tout ce que j’ai fait en tant que Kid Loco, et ces disques-là sont disponibles en digital et aussi dans tous les autres formats. Mais attention, je ne veux pas faire l’apologie du piratage : si je trouve quelque chose de bien sur internet, je vais ensuite l’acheter chez un disquaire.
Le terme d’oiseaux rares qui donne son titre à votre nouvel album fait-il justement référence à votre manière de concevoir les choses ou à celle dont vous construisez vos morceaux ?
JYP : C’est un peu tout ça à la fois. C’est en voyant un générique ou un sous-titre de film que j’ai réalisé que cette expression avait la même signification en français et en anglais. Je n’avais jamais pensé à ça. C’est en travaillant sur la pochette du disque, pour laquelle je voulais des couleurs un peu chaudes comme celles de mon premier album, que je me suis dit que ça serait un bon titre d’album. J’ai commencé à parler de ça à mon ami Rémi (Pépin, ndlr), qui réalise toutes mes pochettes, et nous sommes partis sur l’idée de reproduire des gravures d’oiseaux, comme celles que l’on trouve dans les encyclopédies. Il a ensuite récupéré sur internet des photos qu’on a utilisées.
On pourrait aussi qualifier d’oiseaux rares tous les gens avec qui j’ai travaillé, qui sont à la fois des amis et des collaborateurs précieux. Ça pourrait aussi me désigner moi-même, avec mon pseudonyme d’enfant-fou qui est surtout un clin d’œil (sourire). Mais je sais que je ne me prends pas vraiment au sérieux : Kid Loco, c’est à la fois moi et quelqu’un d’autre. Sinon j’aurais gardé mon nom de Jean-Yves Prieur, ce qui aurait peut-être été plus compliqué pour vendre des disques au Japon (rires). Ce nom de Kid Loco, un Japonais comme un Anglais peuvent le prononcer sans problème. Alors que mon véritable patronyme (il imite l’accent anglais), « John-Yves Prieurrr », c’est une autre histoire, oublie tout de suite (fou rire).
Le rythme de parution de vos albums semble fonctionner par paire. Faut-il s’attendre à voir venir assez rapidement le successeur de The Rare Birds ?
JYP : Il faut que j’y pense, selon la manière dont ça va se passer par la suite. Ça dépend aussi des autres boulots que je peux avoir à l’extérieur. À certains moments, j’ai reçu énormément de demandes pour faire des remixes, ou j’avais d’autres projets à réaliser, qui m’ont permis ou non de faire des albums. Il m’arrive aussi de pas être très pressé, et puis il se passe quand même d’autres choses dans la vie, il n’y a pas que la musique (sourire). J’avoue que je n’ai pas d’autres projets dans l’immédiat, surtout que je me suis cassé la clavicule il y a quelques mois en me faisant renverser par un scooter, et je n’ai donc pas été en studio depuis un petit bout de temps. Et puis il y a la promo de cet album, les vacances, Noël, la rentrée scolaire… (sourire) Mais pourquoi ne pas refaire un disque assez vite, en effet. Il y a d’autres choses que je voudrais terminer avant, les voir aboutir, et ensuite je réfléchirai à ça.
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The Rare Birds de Kid Loco
sorti le 20 septembre 2019 via le label Wagram Music.
[mks_dropcap style= »rounded » size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Un grand merci à Fred Lombard pour Daydream Music.[/mks_dropcap]
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