[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e garçon est aussi espiègle au jeu du cache-cache patronymique qu’affuté dans le verbe. Lui, c’est Archy Marshall du haut de ses frêles 23 ans dont le plumage pourrait inspirer chez le béotien un manque de carrure. Perdu dans un costard trop grand, regard de sale gosse qui ose ouvrir sa grande gueule. Le londonien aux cheveux de feu ouvre le bec et c’est une claque que l’on prend dans la poire. Une voix qui vient des profondeurs et qui charrie sur son passage un paquet de tourments.
Il avait brûlé les planches de son charisme évident à l’occasion d’un premier grand format intitulé 6 Feat Beneath The Moon. Album sorti en 2013 et encensé d’une critique scotchée par une audace hors des codes. Le môme se pointe avec l’assurance d’un blues-man qui aurait avalé trop de substances, nourri autant par des sonorités rocailleuses que par ses propres palpitations intérieures. Un disque incendiaire craché par le témoin acerbe d’une époque qui sent le soufre.
King Krule après quatre années de disette (du moins sous ce pseudo) revient aux affaires avec The Ooz, brûlot personnel aux perspectives écorchées. Ce qui a changé, c’est radicalement une empreinte sonore indomptable. Des effets éhontés sur le fil de la dissonance. Néanmoins, la symbolique de la dislocation au travers de riffs agonisants suscite une certaine attraction. C’est ce qui est troublant à la première écoute de l’œuvre. Le fait d’être ligoté par une trame qui trouve son refuge dans les arrangements complexes mêlant au jazz pleurnicheur, quelques textures psycho-toxiques lénifiantes ou, à l’inverse, gavés d’enchevêtrements bigrement échauffés.
Les adeptes du phénomène ne seront pas déboussolés avec Biscuit Town, le ciment parfait entre les combustions préalables et ce qui va suivre au sein de garnitures abstruses. Il ne faudrait pas tirer de conclusions hâtives sur les intentions du chanteur meurtri en sa chair et son esprit. Plongé dans des souffrances anesthésiantes, le ressenti auditif aura des difficultés à rompre ses attaches. Pourtant, les fignolages méritent une attention méticuleuse. L’obole exigée pour ne pas exploser en plein vol. Le billet vital afin de découvrir quelques titres rageurs comme Dum Surfer, taillé dans une masse ultra dense. Sorte de freak-rock poussiéreux qui dégage autant de mordant qu’un pitbull enragé.
Idem avec Vidual et sa rythmique ensorcelante que l’on imagine extirpée d’une déflagration qu’il vaudrait mieux esquiver à certaines heures de la nuit. Pas mieux avec les convulsions d’Emergency Blimp qui fusent avec l’entrain et la gouaille de circonstance. J’ajoute à cette liste les battements d’Half Man Half Shark que l’on sent trempés d’une métamorphose animale fulminante.
Le reste sera moins de cet acabit. Bien plus dans une impression de purgatoire marquant la transition entre deux royaumes. Les éléments s’y déforment, se confrontent, meurent puis renaissent dans des énigmatiques envolées tranquilles mais pas forcément très zen. Mention spéciale pour Lonely Blue, effort perdu dans une fiole éthylique bourrée de chagrin. King Krule s’enfonce dans une overdose de spleen sur les accords mélodiques de Czech One, une berceuse au goût amer, magnifiée par un saxophone confident de ses déboires.
Il y aura sans doute un trop plein (19 plages tout de même sur les tablettes) et à ce titre, je pressens une forte division. Malgré plusieurs appréhensions de l’obscur manifeste, je risque de rester constamment partagé entre la fascination pour cette nouvelle sensation pigmentée de psychédélisme sombre et une certaine frilosité confrontée à cette subversion des sens. La preuve d’un très grand disque.
The Ooz sorti chez XL Recordings est disponible auprès de votre dealer habituel depuis le 13 Octobre.
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