Nous connaissons parfaitement les écueils des hommages à destination de celles et ceux qui nous inspirent fortement. À ce titre, l’exercice pourrait être scabreux car dépourvu de recul suffisant. En la matière, entre le simple copier-coller sans apport d’un quelconque intérêt ou la piètre tentative de révision d’un chef d’œuvre, les exemples foireux sont malheureusement trop récurrents. Pour autant, il existe des experts doués en matière de sublimation de reprises musicales.
En 2008, Anja Plaschg était amenée à tenir le rôle de la « femme fatale » Nico pour les besoins d’une pièce de théâtre. De cette expérience germa l’envie de s’approprier les noirceurs du magnétique Janitor of Lunacy (le titre figure sur le tout premier EP de la chanteuse).
C’est sans nul doute de ce point de départ que le projet intime Soap&Skin trouva les fondations d’un parcours discographique où se mêlent brillances affectives et profondeurs extrêmes. Après un premier album posant les bases d’une équation où l’omniprésence pianistique et l’interprétation à fleur de peau trouvèrent leur équilibre, l’émouvante interprète autrichienne enfonça un peu plus l’idée d’un climat sobre bien qu’écorché à vif.
Narrow, attachant recueil sorti en 2012 hébergeait ainsi en son sein une personnification épatante du tube Voyage Voyage entonné initialement (en 1986) par Desireless. Notons avec un peu d’humilité écornée que c’est à travers l’une des rubriques de notre webzine que la vedette des 80’s allait découvrir avec intérêt la réappropriation du fameux hit. En guise de clin d’œil, une relecture de la relecture est insérée au sein de l’album dont je vais essayer de vous vendre les mérites. Bref, en 2024 l’escapade se poursuit en territoires pas forcément inconnus.
Continuons avant tout le cheminement chronologique. En 2018, Soap&Skin achevait le développement de son troisième long format avec un « cover » symbolique du grand classique What a Wonderful World. Vous avez donc capté que cette propension à exposer les œuvres d’autres anime depuis bien longtemps Anja Plaschg, autant sur disque que sur scène.
Preuve en est lors d’une révérence rendue à l’idole David Bowie (en compagnie notamment d’Anna Calvi et Laetitia Sadier). À ce titre, je ne vous cache pas mon immense plaisir de retrouver une mouture osée et élogieuse de Girl Loves Me, tirée de l’ultime chef d’œuvre de celui parti vers les étoiles. La confrontation à la matière aurait pu être bigrement casse-gueule. L’escalade de ce sommet ne souffre à vrai dire d’aucune lacune… Une démonstration révérencieuse et transfigurée !
Ce n’est donc pas une surprise de retrouver Soap&Skin avec un nouveau recueil consacré exclusivement à l’appropriation de compositions déjà mises en lumière par des artistes d’horizons et époques disparates.
En cette fin de millésime 2024, l’artiste nous convie à la découverte de Torso où les airs se voient affublés d’une approche singulière, personnifiée et souvent intrigante. Au fil des pistes, nous retrouvons une exposition nouvelle des créations originelles de Sufjan Stevens, Cat Power, Shirley Bassey, Tom Waits, The Velvet Underground, The Doors… Un projet qui globalement résonne avec une pertinence déconcertante.
Pour Anja Plaschg la démarche s’articule et se justifie par le besoin viscéral de prendre une certaine distance avec l’écriture. Les titres sélectionnés se parent alors d’une forme de récréation masquée. Le résultat demeure en tous les cas dans la lignée des précédences et l’incarnation nouvelle mérite non seulement l’écoute pourvue de curiosités interpellantes, mais force surtout le respect lorsqu’on finit par oublier la genèse des choses.
Il est en effet difficile à travers Torso de ne pas succomber à un charme souvent âpre en bouche mais résolument perspicace quant à ses mises en exergue de toute beauté.
crédit / photo illustration: Katarina Šoškić
Bandeau : capture du clip Girl Love Me réalisé par Ioan Gavriel & Anja Plaschg
Play It Again Sam / Pias – 22 novembre 2024