[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″O][/mks_dropcap]n n’y croyait plus mais The Married Monk, le meilleur groupe de rock français revient avec Headgearalienpoo, un disque aventureux, complexe et inventif.
The Married Monk, c’est la géométrie variable autour d’un personnage aussi étrange qu’attachant, Christian Quermalet. On ne comprend pas vraiment comment ce groupe adulé d’une grosse poignée de chanceux n’ait jamais vraiment rencontré l’aval d’un plus large public. Il serait ridicule d’essayer d’en comprendre la cause ou de tenter d’exposer les raisons de ce secret bien trop gardé pour soi.
On utilise à toutes les sauces le terme de culte au point de le galvauder et de lui faire perdre tout son sens. Chaque semaine voit sortir son nouveau groupe culte, son roman culte… Qu’est-ce qu’un groupe culte ? Peut-être un artiste rare à la carrière impeccable, à l’intégrité assumée. Peter Milton-Walsh est de ceux-là, Kurt Wagner également. Christian Quermalet assurément.
On avait davantage de ses nouvelles pour des participations ou des productions de disques. On se souvient de son apport à Ithaque, dernier album de Silvain Vanot ou cette mise en valeur de la torpeur de Gu’s Musics.
Chez Christian Quermalet et par extension dans The Married Monk, il y a toujours eu cette versatilité, cette thymie changeante qui fait que chacun des disques du groupe est une entité en soi. Pas à proprement parler une réaction somme toute classique contre l’inspiration d’avant mais plus la volonté de ne jamais s’ennuyer dans un confort aisé. Ce que certains appellent un peu pompeusement la prise de risque mais tout acte artistique n’est-il pas en soi une forme de mise en danger ?
Avec The Married Monk, ce qui prime de manière remarquable c’est assurément de se foutre allègrement des étiquettes. On le croyait un temps attiré par les méandres lo-fi d’une americana urbaine, on le retrouvait la fois tentant l’exercice casse-gueule de la reprise d’un Robert Wyatt. Christian Quermalet glissait entre nos doigts au rythme lancinant de sa voix traînante. Sans trop comprendre pourquoi, le groupe était entré dans une trop longue pause. 10 ans…Autant dire une éternité.
Chez The Married Monk , il y a toujours une volonté de se colleter à la dissonance sans pour autant abolir la clarté. Toujours accompagné du batteur Jean-Michel Pirès, également entendu chez Mendelson et plus récemment encore chez Bruit Noir mais aussi de Tom Rocton, Christian Quermalet fait de ce Headgearalienpoo comme la suite évidente des disques précédents et plus particulièrement The Belgian Kick avec quelques clins d’œil appuyés (Love Commander Strikes Again). Ce qui est surprenant dès la première écoute, c’est ce malaxage de matière, cette complexité des structures, ce caractère accidenté, un peu comme si Xiu Xiu rencontrait John Maus, comme si Marc Ribot s’emparait d’un clavier.
The Married Monk alterne aux formules savantes des temps plus immédiats. Car Headgearalienpoo est un disque hasardeux, il est aussi référencé et à l’instar de Matthieu Malon qui s’inspire du Pornography des Cure sur le superbe Désamour au point d’aller jusqu’à utiliser la même basse VI, The Married Monk rend également hommage à l’œuvre la plus incisive de Robert Smith. Il glisse un salut amical à son aîné sur 10.16 Saturday Night comme une réponse au Man Next Door de Massive Attack. On se surprend à entendre dans ce phrasé nonchalant des accents de Bill Pritchard.
Contrairement à Matthieu Malon qui souhaite faire un disque « à la manière de », The Married Monk transporte Siamese Twins sur des terres inconnues (poke à Ian Curtis), dans des tonalités pas si éloignées d’un Johnny Cash crépusculaire reprenant The Mercy Seat.
« Sing out loud
We all die
Laughing into the fire »
L’émotion n’est jamais aussi forte et aussi pathétique que quand elle s’affranchit du sens des mots. Il faut entendre ce désespoir rentré dans la voix de Christian Quermalet au bord du murmure. Souvent les reprises n’apportent rien à l’original car on est trop intimidé face à la création d’un autre. Ce serait oublier combien The Married Monk est fort dans cet exercice. Ils reprennent également Stephen Tunney alias Dogbowl (Bus). Dans l’original, c’était la voix presque de fausset qui provoquait une espèce d’inconfort bienvenu, avec The Married Monk, cela ressemble à un long travelling de l’intérieur d’un crâne. Il ne faudra pas se laisser piéger par ce classicisme en trompe l’œil des lignes mélodiques qui ne prennent jamais les plus courts chemins mais leur préfèrent les déviations (Love Commander Strikes Again et Mitte 1989).
Headgearalienpoo est un disque cyclothymique, à la fois incohérent et totalement intègre, ne voulant pas exceller dans une seule tonalité mais prendre à bras le corps l’idée qui passe et la laisser vivre malgré soi. Il faut une belle intelligence pour constituer une playlist qui conjugue décontenance et unité, ce qui permet de faire passer ces enchevêtrements tortueux avec une illusion de transparence.
On ne croyait plus à la renaissance de The Married Monk mais Headgearalienpoo risque fort de nous occuper bien longtemps et permet de rappeler toute l’inventivité d’arrangeur de Christian Quermalet. On espère juste ne pas avoir à attendre encore 10 ans pour voir la suite. Assurément l’un des immenses disques de 2018.
Retrouvez l’entretien que Christian Quermalet nous a accordé ici.
« Prendre à bras le corps l’idée qui passe et la laisser vivre malgré soi », très belle formulation pour un album effectivement aussi séduisant que déconcertant, aussi évident que déstabilisant, comme l’ont toujours été the Married Monk.
Merci Monsieur Bod pour cette chronique pertinente et passionnée, parfois aussi (légèrement) confuse que son objet est (absolument) insaisissable !