[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#DE4638″]A[/mks_dropcap]vec La guerre est une ruse, les éditions Agullo éditent pour la première fois dans leur catalogue un auteur français dans une rentrée littéraire. La maison nous avait habitués à découvrir des écrivains de différents continents avec autant de propositions d’ouvrir le champ des possibles dans la singularité de leurs univers respectifs, littérature de genre, polar, farce, anticipation, etc. Néanmoins avec La guerre est une ruse de Frédéric Paulin, nous ne sortons pas de la ligne directrice: abolir les frontières.
Avec ce roman, nous sommes plongés au début des années 1990 en Algérie, la période des années de plomb ou plus rien ne semble fonctionner, le pays succombant à une radicalisation orchestrée par le FIS et le GIA avec un pouvoir étatique corrompu, absent, incapable d’endiguer les violences meurtrières qui sévissent un peu partout. Le livre est construit comme un roman choral où les principaux protagonistes se succèdent pour faire avancer l’intrigue.
L’auteur restitue une époque avec un souci du détail qui nous permet avec le recul de comprendre une période et la complexité d’un pays à l’histoire contrastée. La violence prend sa source directement de la guerre d’Algérie qui au début ne portait pas ce nom – on parlait des « événements » pour euphémiser les responsabilités. Cette blessure difficile à cicatriser entre la France et son ancienne colonie est la cause de beaucoup de tourments, d’incompréhension, du sentiment d’abandon de ce pays qui croyait aux promesses et aux grands discours de l’Hexagone. Plusieurs dirigeants se sont succédé, faisant pourrir une situation de plus en plus compliquée. La France a sa part de culpabilité en laissant envenimer la situation, fermant les yeux sur l’incurie du régime, en étant complice parfois, le symbole de la vieille tradition de la France-Afrique. D’ailleurs elle laisse stationner des militaires, des agents secrets qui donnent le pouls de cette ingérence qui ne dit pas son nom comme au bon temps des colonies, il y a encore des intérêts stratégiques à préserver. La radicalisation prend sa source également pendant la Guerre Froide à la fin des années 70 avec les moudjahidines durant la guerre froide contre le régime soviétique en Afghanistan, au sortir de ce conflit, les armes vont continuer à circuler ainsi que des idéaux fondamentalistes et une relecture du Coran à la ligne dure.
La grande histoire, celle que nous connaissons de cette période, les attentats, les hommes au pouvoir, les faits historiques posent les balises de cette fiction avec des personnages ambivalents. Il y a Bellevue, Chokri, Tedj Benlazar un agent de la DGSE, et tant d’autres.
L’intrigue du roman commence durant l’année 1992 où après l’annulation des élections remportées par le Front Islamique du Salut, une poignée de généraux ont pris le pouvoir. L’état d’urgence est déclaré, les islamistes pourchassés ont pris les armes. Le pays sombre dans une violence sans précédent…
Commence alors un livre qui se lit comme un roman d’espionnage au suspense qui tient en haleine le lecteur. Le rythme est enlevé, les voix des personnages qui s’enchaînent, font progresser l’intrigue d’une manière addictive. Les personnages sont manipulés par la hiérarchie sans qu’ils comprennent la logique des ordres reçus, en haut il y a des directives et des intérêts qui les dépassent. Certains protagonistes vivent une double vie, sous une autre identité ils travaillent dans l’ombre, ils tirent les ficelles d’une situation complexe à dimensions variables en fonction de la politique du moment, des courants religieux, économiques exercés, la géopolitique comme une partie d’échecs interminable.
Il faut saluer le travail de recherche de Frédéric Paulin et son écriture qui vous emporte dans un maelstrom infernal que l’on ne parvient pas à lâcher.