[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ff0000″]C[/mks_dropcap]onçue comme un spectacle musical ET littéraire, Beauté Par Tous, la carte blanche offerte à La Maison Tellier par La Maison de la Poésie de Paris est l’occasion de revenir sur quelques morceaux de la discographie d’un groupe unique dans le paysage artistique français. Une discographie où il y a autant à écouter qu’à lire. Une œuvre où le travail d’écriture ne s’arrête pas aux partitions.
C’est dans un cadre très intimiste, la Maison de la Poésie – Scène Littéraire, 180 places, que La Maison Tellier a invité, le mardi 25 Avril, la comédienne Marina Hands pour une représentation unique d’une création commune, réunissant chansons et livres.
Et ce moment fut, je l’avoue, à ma totale surprise, un véritable moment de grâce.
En effet, le projet de ce Beauté Par Tous imaginé par le groupe pouvait effrayer. Peu habitué aux lectures publiques, la crainte d’une représentation pompeuse et soporifique me hantait. Une minute après le début du spectacle mes peurs s’étaient enfuies et, tout entier subjugué par la voix et le talent de la comédienne, je fus happé, comme tout le public je crois, dans le flot des mots puis des notes.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ff0000″]A[/mks_dropcap]utour du choix de quelques extraits de livres piochés dans une bibliothèque qu’on imagine idéale, le groupe et la comédienne ont conçu un spectacle où littérature et musique se mêlent et se répondent, pour créer une sorte de version en réalité augmentée de l’une comme de l’autre.
La conception et la parfaite réussite de ce spectacle, qui fut bien plus qu’un concert, sont venus sublimer le travail des normands, qu’une écoute trop hâtive risquerait de classer injustement dans une folk dépressive et par trop entendue. Ce qui serait une malheureuse méprise. Pour qui aime les mots autant que la musique, le travail de La Maison Tellier est une mine inépuisable de plaisir.
La passion pour les paroles et les livres est un élément bien identifié dans l’ADN de La Maison Tellier. Le choix même de leur nom a été dicté par cet amour de la littérature. La Maison Tellier est une nouvelle réaliste de Guy de Maupassant qui aborde un thème très cher à cet auteur, les prostituées. Et c’est par des extraits de cette nouvelle que la soirée a commencée.
Marina s’avance lentement, s’appuie sur le côté de la scène, quelques feuillets en main, elle observe le public de son regard perçant puis entame la lecture. Quelques lignes plus tard le groupe entre en scène, s’installe, joue quelques notes qui accompagnent la voix de la comédienne.
Occupant la scène de toute la force de sa présence, la comédienne rend parfaitement l’atmosphère de la nouvelle. Et c’est dans cette ambiance de maison close qu’à la fin de la lecture les spectateurs apprécient pleinement l’écoute de La Chambre Rose par les cinq garçons. Ce titre du LP éponyme de 2010, est directement inspiré par la nouvelle de Maupassant. Il oscille comme l’œuvre dont il est issu entre légèreté, humour et gravité.
La comédienne restée sur scène pendant le premier titre dans une posture discrète mais habitée, révèle son talent dans la lecture suivante. Il s’agit du bain de mer de Rieux et Tarrou dans La Peste de Albert Camus. Cette parenthèse hors du temps où les deux hommes profitent d’un moment d’apaisement dans la mer. C’est aussi un moment unique de complicité sensuelle entre les deux hommes. Un instant de plaisir éphémère qui contraste avec l’inquiétante réalité de l’épidémie qui semble ne jamais devoir finir. Et le groupe de répondre à cet extrait par son titre La Peste de 2010, un titre apparaissant sur l’album L’Art De La Fugue, avec son refrain lourd de sens.
D’autres extraits suivent, le chanteur et la comédienne unissant parfois leur voix, le premier en chantant, la seconde en écho susurrant les mêmes mots. C’est le cas, par exemple, pour la magnifique Exposition Universelle issue de l’album Beauté Pour Tous de 2013. Marina commence à lire les paroles, et Helmut poursuit à partir du refrain. Ce titre qui émeut aux frissons sur disque, offre une mélodie mélancolique et des paroles subjuguantes. Avec cette interprétation à deux voix, et deux registres, il prend une ampleur nouvelle. Un moment de poésie hors du temps.
Je citerai encore Prison D’Eden et La Fortune, L’Honneur, Les Femmes – Loup Blanc, deux autres titres de Beauté Pour Tous, le premier précédé par un extrait du Jardin des Supplices de Octave Mirbeau, et le second par un passage du Jour Avant Le Lendemain de Jørn Riel. Encore deux moments merveilleux portés par le talent sans conteste de Marina Hands.
À la diction parfaite et l’interprétation fervente de la comédienne s’ajoute une présence inspirée magnifiant les textes et la musique. Déambulant parfois parmi les musiciens, s’asseyant ici ou là, s’effaçant en observant la scène en simple spectatrice, mais également participante active dans quelques mouvements de danse comme Sur Un Volcan, titre précédé par un fragment de La Faim Du Tigre de René Barjavel, Marina habille et habite la scène.
La littérature et la musique étant parfois, souvent, toujours, porteuses de messages, les chansons de La Maison Tellier ne font pas exception, et parmi tous ceux qui sont passés pendant cette soirée, deux d’entre eux ont sans doute eu dans le cœur de chacun un écho particulier.
Le premier, terminant cet extrait de la préface de Poésies, de Michel Houellebecq, lu d’une voix entre exaltation et désespoir :
N’ayez pas peur du bonheur il n’existe pas !
Et le second message prenant la forme d’une chanson, Un Bon Français, autre chanson de Beauté Pour Tous, inspirée, peut être, par cette chronique judiciaire écrite par Jean-Yves Le Naour, Le Corbeau, Histoire Vraie d’une Folle Rumeur, rapportant l’Affaire du Corbeau de Tulle, qui fit grand bruit au début du siècle précédent. De 1917 à 1922, un anonymographe baptisé Œil de Tigre a inondé Tulle de cent dix lettres anonymes, semant la méfiance, la calomnie et la mort sur son passage. Et Helmut d’enchaîner :
Les bruits sourds, qui nous parviennent de l’appartement du troisième, empêchent l’immeuble de dormir. On m’a chargé de vous écrire. Ces gens-là sont différents. Je ne reconnais pas leur accent. Que va devenir notre France ? Si l’on ne peut pas dire ce que l’on pense ? J’entends déjà sur la plaine le vol noir de jais. Toujours les corbeaux reviennent. Signé, un bon français.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ff0000″]I[/mks_dropcap]l restera de cette soirée des impressions. Celles de la puissance des mots, de la beauté de l’interprétation de la comédienne, du bonheur d’entendre des titres bien connus d’un groupe qu’on aime mais avec un autre éclairage.
Il restera également beaucoup d’émotions fortes. La quiétude éphémère et la peur tenace des nageurs de Camus. L’émerveillement épouvanté et incrédule de Mirbeau découvrant le bagne de Canton. La sensation inédite offerte par Riel d’avoir combattu avec un loup. L’excitation angoissée de l’homme approchant la galante de Maupassant.
Il restera surtout le plaisir infini d’entendre l’union des mots et des notes, du chant et de la lecture, de cinq musiciens et d’une comédienne, du talent et de la grâce, un moment unique et privilégié.
Alors merci pour ce moment, Marina, Raoul/Sébastien, Helmut/Yannick, Léopold/Frédéric, Alphonse/Morgan, Alexandre/Yacinthe. Merci.
Discographie de La Maison Tellier
2006/La Maison Tellier – 2007/Second Souffle – 2010/L’Art De La Fugue
2013/Beauté Pour Tous – 2014/Beauté Partout (En Concert) – 2016/Avalanche
Voici la liste exhaustive des textes lus et ensuite la playlist spotify des titres joués lors de la représentation du 25 Avril :
Guy de Maupassant, La Maison Tellier
Michel Houellebecq, Préface à Poésies
Jean-Yves Le Naour, Le Corbeau, Histoire Vraie d’une Folle Rumeur
Albert Camus, La Peste
Charles Williams, La Mare aux Diam’s
Octave Mirbeau, Le Jardin des Supplices
Jørn Riel, Le Jour avant le Lendemain
René Barjavel, La Faim du Tigre
Le dernier LP de La Maison Tellier, Avalanche, est sorti le 29 Janvier 2016 chez At(h)ome.