[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]vant de débuter ma nouvelle chronique qui va, je n’en doute pas, vous passionner, j’aimerais vraiment écrire un préambule. Une sorte de mise au point. Je ne me souviens plus de l’âge que j’avais lorsque j’ai découvert la musique expérimentale.
D’ailleurs, entre-nous, qu’est-ce que la musique expérimentale ? Une foutue étiquette que l’on colle à toutes les musiques qui ne comportent pas de couplet/refrain ? Le post-rock ? Non… L’électro minimaliste ? Non…, La musette polonaise ? Non… Mais alors quoi ? Drone, bruitiste, le sérialisme, l’électro-acoustique, la musique contemporaine, bref, la musique expérimentale est aujourd’hui un terme utilisé à toutes les sauces et souvent par des gens qui pensent que le comble de l’expérimentation c’est…. Ah non, putain, j’ai dit, c’est fini, plus de nom. Car oui, j’ai changé. Je me suis intéressé aux musiques dites expérimentales très tôt. Vers l’âge de… je ne sais plus. Mais à l’âge de quatre ans, j’écoutais, et sans pose aucune, Kraftwerk, Tangerine Dream et Pink Floyd.
Evidemment, quelques années plus tard, je suis tombé sur des œuvres bien plus radicales, en musique électronique, mais aussi en musique tout court. Et encore aujourd’hui, j’entre chez mon disquaire favori en me disant que je vais y découvrir un, deux, trois disques que je ne connais pas mais qui vont m’emmener vers de nouveaux paysages, passionnants, qui vous bousculent, vous chavirent, vous bouleversent et vous posent parfois question et c’est ça, pour moi, la musique et l’amour de celle-ci. Comment imaginer une écoute tiède, « ouais, pas mal, je vais l’écouter des dizaines de fois dans ma vie »… Non, j’ai besoin de me dire « putain, la vache, c’est une merveille, une claque, un coup de poing dans la gueule ! ». Du bruit, du silence, de l’accord mineur ou atonal, peu importe.
Mais voilà, il y a les autres. Et les autres, c’est l’enfer, souvent, et ce n’est pas moi qui le dit. « Petit con snobinard, prétentieux, élitiste, avec ta musique de merde inaudible que je peux faire en faisant le même bruit que quand je fais la vaisselle ». De l’argument béton. Et puis voilà, on ne comprend pas, alors, c’est forcément de la merde, c’est ça ? Moi, je vois les choses un peu différemment. Prenons l’art abstrait en peinture. Pourquoi la peinture, parce que je n’y connais rien. Et bien l’art abstrait me parle. Je n’y comprends rien, mais ça me parle. Et cela semble parler à beaucoup de monde. Mais pourquoi est-ce que quelqu’un qui aime le cubisme serait forcément un snobinard prétentieux ? Après tout, un moyen d’expression, s’il est formaté et répond sans cesse aux normes dictées par la normalité reste-t-il un moyen d’expression ou bien un moyen de faire comme tout le monde et de dire : « Ah oui, La Joconde, qu’est-ce que c’est beau ! » Et si on préfère le cubisme à la Joconde, est-on un con pour autant ? Et puis, ne peut-on pas aimer et la Joconde et le cubisme ? Doit-on forcément choisir son camp ? Les Beatles ou Les Rolling Stones ? Je fatigue de ces étiquettes que l’on colle aux gens, je fatigue de ces jugements à l’emporte pièce. Je fatigue de cette condescendance permanente à l’égard de ceux qui n’aiment pas suivre le mouton de devant.
Une fois de plus, j’ai décidé de ne pas donner de nom, pour ne pas comparer, car comparer certains noms de la variété actuelle aux gens que je citerai dans mes futures chroniques serait un non-sens absolu. Pourtant, je voudrais en terminer avec ce préambule par un exemple affligeant. Un nivellement par le bas comme j’en ai rarement vu et entendu. Ce sera la seule fois que je citerai des noms. J’ai eu l’occasion de croiser un lien Youtube qui faisait ressortir un extrait des Grosses Têtes menées par l’omniprésent Ruquier et sa bande de chroniqueurs. C’est à l’occasion de la mort de Pierre Boulez que cette vidéo est réapparue. Christine Bravo et quelques autres se sont permis de taxer la musique de Boulez de « merdique ». Que l’on aime ou pas, la musique de Boulez, que l’on la comprenne ou pas, peu importe. Pour autant, je serais curieux de savoir ce qu’écoute Mme Bravo au quotidien. Bref, j’ai trouvé cet extrait d’une effroyable idiotie. Aucun argument, aucune analyse, une ribambelle de vannes totalement affligeantes sans fond, qui plus est dénuées du moindre sens de l’humour pour juger l’œuvre d’un homme qui a plus compté pour la musique et la culture française qu’ils ne le feront jamais à eux tous réunis.
A l’arrivée, la question n’est pas de savoir si l’on aime ou pas, telle ou telle musique, mais plutôt de se souvenir qu’une œuvre, quelle qu’elle soit, représente un travail, ce qui, au fond, demande un minimum de respect. Il en va de même pour ceux qui écoutent ces musiques dites « en marge ». Est-on un poseur parce qu’on aime la musique concrète, la musique contemporaine, électro-acoustique, le métal, le doom, le drone ? Doit-on taxer tous les gens qui vont aux expos d’art contemporain de connards prétentieux, suis-je un âne parce que j’aime Eraserhead de David Lynch ou 2001 de Stanley Kubrick ? Bref, je suis épuisé par tous ces gens aveuglés par leur connerie qui pensent que seule un la mineur est une belle note et que s’il n’y a pas de refrain dans une chanson, ce n’est pas vraiment de la musique… Pour finir, je dirais donc que la musique, c’est avant tout un art, qui cherche, qui avance, qui évolue et qui grâce, aussi, à des gens qui font de la musique expérimentale, d’autres musiques en sont arrivées là, aujourd’hui. Bref, si chacun voulait bien s’occuper de ses oreilles et lâcher un peu les miennes, ce serait bien urbain.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près ce préambule un brin professoral, je le reconnais (ce sera le seul, je vous le certifie), je me lance et pars de loin, de très loin pour évoquer Intersystems. Tout d’abord parce que nous partons pour le Canada.
Nous sommes en 1967, et les mouvements contestataires, à l’époque, ne manquent pas. John Mills-Cockell, Blake Parker, Michael Hayden, Dik Zande forment un quatuor qui, le temps de trois albums terribles vont toucher à tout… et en même temps. Autant vous le dire, ils relèguent de nombreuses formations actuelles qui utilisent le field recordings, le spoken word, le drone et les nappes électroniques à des kilomètres à la ronde. C’en est éblouissant. Etourdissant ? Musique concrète, Tape Music, Spoken Word, Expérimental, Electro-acoustique sont les mots qui reviennent à l’écoute de leur musique, de leur art. Sur Number One, notamment, le spoken word est au cœur du débat. En effet, dès le début du disque, une voix qui semble venir d’un film de Fritz Lang déclame un texte qui, pour le coup, je dois bien l’avouer, m’échappe en partie vue mes faibles capacités en anglais, ce qui, je n’en doute pas, me fait manquer l’essentiel. Sur fond de musique électronique, qui passe, repart, revient, s’électro-acoustique, résonne au loin, et entame une danse abstraite fantomatique.
La suite ne s’engage guère plus vers des cieux plus joyeux, puisque des sons électroniques déboulent de toutes parts, donnant une sensation étrange de musique aléatoire où les notes tombent un peu au hasard, mais les membres ne sont pas de simples appuyeurs de boutons. Chaque ambiance y est millimétrée, alors que le spoken word continue son voyage angoissant et obsessionnel. Peu à peu, les éléments électro-acoustiques s’entrechoquent jusqu’au zénith strident qui tient l’auditeur en éveil. Là encore, et toujours, il ne faut plus s’attendre aux repères, c’est un escalier sans rampe, un disque casse-gueule, mais qui ne vous prépare que partiellement à Peachy, le second volet de ce triple coffret.
C’est donc en 1967 toujours, que sort Peachy, le second album d’Intersystems, et dès les premières notes, il est évident que le propos, étrangement, se radicalise un peu plus et pourtant, c’est toujours plus beau. La musique électronique est au cœur des préoccupations de ce début avec une boucle oppressante qui semble mener la danse jusqu’à un climax qui n’arrive finalement pas. Le spoken-word, une fois de plus prend le pas sur le reste. La musique prend des allures de minimalisme extrême. S’ensuivent alors une musique électro-acoustique pure, comme assaillie de tous bords, entre un sonar, une barque qui prend l’eau et des collages improbables qui viennent ici mettre une zizanie salutaire et abstraite.
Ce deuxième album est sans doute le plus délicat à aborder car une fois de plus, il n’y a plus de forme, de structure, de repère, mais surtout, il y a une volonté évidente d’entraîner l’auditeur dans un voyage psychédélique extrême, pas celui des drogues façon Flower Power, non, un voyage aux confins de la folie psychédélique, celle qui se pose des question, celle qui vous pose des questions : êtes-vous prêt à un tel voyage ?
Ce deuxième album se place clairement du côté de la musique concrète, même s’il revient peu à peu au spoken word.
Free Psychedelic Poster Inside, le troisième et dernier volet, vous installe, vous pose dans votre fauteuil. Mais pas celui de votre salon, celui de votre cave, humide et inconfortable. Une poésie électronique finalement en mouvement perpétuel va s’installer, sans un Autechre qui fera pourtant son apparition plus de trois décennies avec des sons stridents à vous vriller la tête, et quelques interférences malvenues.
Bizarrement, le spoken-word qui portait une sorte de malaise lors des deux premiers opus s’avère ici salvateur, comme si tout à coup, on ne se sentait plus seul. Il faut dire que c’est l’électronique qui a pris la place, qui devient le maître de cérémonie. Mais tout cela n’est que du rêve, oui, on vous vend du rêve, on vous endort car l’inconfortable canapé se fait vite regretter. Les sons électroniques s’entrechoquent et s’enchaînent sans réelle continuité, comme un collage instantané. Les boucles ralentissent, accélèrent, et pas un instant de répit pour se poser et se demander enfin ce que l »on écoute-là. Car oui, la question est bien là, elle se pose en mur infranchissable lors des premières tentatives…. Qu’est-ce que j’écoute là ? Et puis peu à peu, on s’embarque.
La dernière partie s’avère sans doute la plus difficile à aborder. Les sons s’entrechoquent, mais au sens propre du terme car ils se font plus agressifs, vous rentrent dans le lard, vous laissent la lame à l’intérieur pour ne pas que ça pisse et repartent, pour poser un drone et vous laisser calancher à votre rythme. Le spoken-word, véritable fil rouge de ce coffret définitivement fantastique revient conclure le troisième et dernier opus, datant de 1968.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]es dates sont importantes car il faut toujours reposer les choses dans leur contexte pour se souvenir que si machin a sorti tel album « précurseur » n’oublions pas que bidule avait sorti autre chose bien avant mais qu’il avait déjà cinq ans de retard sur truc…. Bref, l’important, dans tout cela n’est pas de savoir dans quelle mesure ce disque est précurseur, mais s’il l’est à bien des égards. Juste se dire simplement que ces trois disques sont, dans le genre, absolument fantastiques, et que rien que pour la seconde face de Free Psychedelic Poster Inside, ce groupe mériterait de passer à la postérité.
Site du label Cortical Foundation