[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]es deux derniers romans de James Kelman, Si tard, il était si tard et Mo a dit, parus chez Métailié ces dernières années, furent de formidables réussites. Livres poignants, beaux et avec un style unique, facilement reconnaissable.
De retour avec La route de Lafayette, James Kelman nous donne ici un nouveau tour de force. Tout en conservant sa marque de fabrique stylistique, il adoucit sa langue. Elle était parfois aride, difficile à lire. Ici, Kelman propose plus de dialogues, des descriptions aussi.
Si les monologues intérieurs (toujours formidables) restent présents, ils sont cette fois assumés par un adolescent. Murdo. Personnage absolument fabuleux. Tout en retenu, timidité et souffrance. En détermination également. Nous lisons tous les sentiments de ce jeune Murdo, ses doutes, ses incertitudes. Nous suivons le rythme de ses pensées, livré de manière brute. Basés sur des répétitions nombreuses, ces monologues cadrent parfaitement avec la vie de Murdo et peut-être, en général avec celles de la vie d’un adolescent en plein doute.
« Sois sociable.
Qu’est-ce que ça veut dire être « sociable » ? C’tait pas un crime de s’allonger. Les chambres, c’est fait pour ça, t’y vas pour te détendre et genre te réfugier. Parfois t’en avais besoin. De ne pas avoir à parler aux gens. De mettre de la musique. Lire ou ne rien faire. Rien du tout. Pourquoi est-ce qu’il faudrait forcément faire quelque chose ? Et si c’était rien. Qu’est-ce que ça faisait si c’était après-midi ? T’as besoin de ton espace à toi.
Murdo se moquait de savoir si papa viendrait avec lui. Il avait déjà dit que c’était idiot. S’il venait il venait et s’il ne venait pas il ne venait pas, c’était son problème. Mais lui, il irait. S’il en avait envie. Il irait s’il en avait envie. Et il en avait envie. Alors il irait. »
Si Murdo est le personnage principal, son père tient également une grande place. Tous les deux sont marqués par le deuil. D’abord la sœur de Murdo (qu’il évoque souvent en pensée pour s’encourager) et sa mère, toutes deux victimes du même cancer à quelques années d’intervalle.
Ces deuils marquent au fer rouge Murdo et son père. Ceux-ci ont du mal à communiquer. Dans ces dialogues de peu de mots, Kelman fait beaucoup passer. La peine, parfois l’admiration d’un père pour son fils, d’autres fois l’amour entre les deux.
Ces dialogues sont simples même parfois simplissimes. Ils sont le socle du roman. Émouvants au possible, ils sont aussi une source de frustration pour le lecteur qui voudrait voir Murdo et son père arriver à se parler mieux (la question de l’identification est au sommet ici). De ce souci de ne pas pouvoir se parler vraiment, va naître une incompréhension. Murdo aura un projet, un grand projet dont il n’osera pas parler à son père ni à la partie américaine de sa famille.
Car La route de Lafayette (Dirt road en anglais) se passe aux États-Unis. Des vacances pendant lesquelles Murdo, accordéoniste accompli, rencontre des musiciens qui l’invitent à venir jouer avec eux à un festival. Pour cela, Murdo va devoir prendre la route. Une longue route semée d’embuches, une route vers l’émancipation et vers la parole libérée entre un père et son fils.
Mais La route de Lafayette est aussi un formidable roman sur la musique. Un livre sur la façon dont la musique peut nous influencer, à la fois son écoute mais aussi sa pratique. Murdo vit et grandit à travers elle. Il s’ouvre aussi aux autres grâce à la musique et y transmet ses sentiments.
Kelman consacre de nombreux passages à cette passion de son personnage (on pense inévitablement au chef d’œuvre de Richard Powers Le temps où nous chantions).
Cela donne une saveur particulière à ce nouveau roman que nous ne pouvons que saluer, et encourager de nombreux lecteurs à se précipiter pour faire connaissance avec ces écossais si attachants.
La route de Lafayette de James Kelman traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller
paru aux éditions Métailié, janvier 2019