Pour terminer ce séjour malouin, quoi de plus normal, après les divagations abièrées de mes acolytes, que de convoquer la crème de la crème d’Addict, à savoir votre humble serviteur, pour terminer le report de ce festival par ce qui se révélera être la meilleure journée de ces 25 ans. Après une fin de soirée virant au n’importe quoi (confère la photo ci-dessous), reprenons les rennes et changeons de cap pour remettre ce navire à la dérive dans le droit chemin.
On commencera donc ce compte-rendu d’une rare objectivité par le set de Jimmy Whispers : depuis deux jours, les groupes défilent parfois excellents, parfois anecdotiques. Pendant deux jours, je cherchais le grain de folie qui ferait décoller le festival vers les cieux. Quand Jimmy Whispers a posé ses bagages (très légers) sur la plage malouine et a commencé à faire le con sur la scène, je me suis dit que qu’on en tenait probablement un bon. Et de fait, Whispers et sa lo-fi plus lo-fi encore que du Sentridoh a tout bonnement été très grand. Le gars n’en a pas seulement un grain, c’est la cafetière complète qui semble hors service. Déjà va falloir commencer par lui expliquer le bon usage de la bière : elle permet de se désaltérer et non de se faire des shampoings ou de l’utiliser comme jet de douche sur les spectateurs présents. Lui expliquer aussi à quoi sert une scène : à bouger de long en large et y rester et non pas à y investir seulement le coin droit ou, mieux encore, essayer de s’échapper par l’arrière en montant sur les remparts. Lui expliquer encore que pour chanter dans le micro, le port du t-shirt sur la figure est une option qu’il peut oublier, que le fil du micro n’est pas prévu pour se pendre et enfin qu’avec des chansons lo-fi bricolées dans la cuisine du garage de mémé, le stage diving est également une option peu envisageable. Il n’empêche, malgré une folie bien présente, le gars est bourré d’humour, imprévisible, donne de sa personne (en gros il a terminé le concert le genou droit en sang) et possède une voix qui fait toute la différence et permet d’adhérer inconditionnellement à cette prestation de folie. Le seul à avoir eu des sueurs froides et qui a du remettre sa démission après le concert (et doit probablement finir ses vacances en psychiatrie), c’est le technicien micro qui a couru derrière Whispers pour rendre toutes ses conneries audibles. Bref, sans le savoir, Whispers , avec sa petite trentaine de minutes qu’a duré le show, a finalement donné le ton de la soirée à venir : barrée et grandiose.
Après la plage, direction le Fort dans lequel, pour le premier concert, The Districts fait le job, sans plus, permettant d’attendre tranquillement la première claque à venir.
« Un barbu, c’est un barbu, quatre barbus, c’est Father John Misty » aurait dit Blier s’il était encore de ce monde. D’emblée Josh Tillman prend possession des lieux, impose sa présence et fait un show extraordinaire. Je dois avouer que j’y allais un peu à reculons, les albums de Fleet Foxes ou de Father John Misty m’ont toujours au mieux laissé indifférent, au pire gonflé. Mais en concert, avouons le, Tillman et sa clique sont juste superbes. Tillman, tout de noir vêtu derrière ses lunettes de soleil, dispose d’une voix magnifique, d’une présence magnétique, d’un humour anthracite redoutable (« you want to know what’s my favorite color ? my favorite color is : pure despair »). Les musiciens, d’une sobriété contrastant avec leur leader, assurent le show et lui laissent tout le loisir de cabotiner à mort. Résultat, Tillman s’en donne à cœur joie. Il descend dans la fosse, harangue le public, d’un charisme hallucinant, chante divinement, semble possédé par sa musique qui, sur scène prend une toute autre dimension, épique et intime (magnifique Bored In The Usa soit dit en passant). Le show est d’un très haut niveau, laisse les spectateurs bouche bée et apparaît être, jusque là, le meilleur concert des trois jours.
C’est la tête dans les nuages qu’on se déplace pour voir Viet Cong. Autant le dire : la descente est raide, très raide. On passe d’un concert magnifique, de haut niveau, à une plongée dans les égouts. Viet Cong, c’est quatre gars échappés (de Women pour deux d’entre eux) de je ne sais quelle université Canadienne, au look anonyme donc (bien que le guitariste/claviériste, avec sa barbe, aurait très bien pu s’échapper de Father John Misty) qui viennent foutre leur bordel pendant 3/4 d’heures. Ce qu’il faut savoir c’est que c’est du bordel de très haut niveau également. Un rouleau compresseur d’une précision redoutable, avec une énergie et une joie communicatives. De plus, les canadiens ont à leur botte un batteur démentiel, véritable métronome humain capable de tenir le rythme sans défaillir pendant les quinze bonnes minutes qu’ont duré le dernier morceau, déluge sonique impressionnant. Bref, si la descente est raide, le concert lui est excellent.
Après deux excellents concerts, qu’en sera-t-il des Savages ? pour leur deuxième prestation à la Route Du Rock, les Anglaises ont foutu le feu au Fort. Non sans mal. Le début du set est très pro, carré, pas grand chose ne dépasse, manque ce grain de folie qui finira par arriver vers la fin du set quand Jenny Beth se dit que ce serait pas mal de se jeter dans la foule pour un slam de folie. Portée par le public pendant quelques mètres, le concert prend une toute autre tournure, s’enflamme pour ne plus retomber. Le set se termine par un Fucker dantesque et par les mots doux de Jenny Beth, en français dans le texte : « Vous êtes magnifiques ». « Évidemment« , avons-nous pensé en nous-même avec toute la rédaction d’Addict, à savoir moi et Beachboy (enfin surtout moi).
Ensuite, petite pause d’une vingtaine de minute histoire de :
– s’abreuver
– se sustenter
– se délester de quelque menue monnaie aux stands merchandising, disquaires et fanzines (moins nombreux que l’édition précédente il faut l’avouer)
Retour devant la grande scène pour la séquence nostalgie quadra avec Ride. Ce n’est rien de dire qu’après les critiques des concerts précédents, la formation Oxfordienne était attendue au tournant. Certains quadras se souvenaient également de concerts au début des 90’s où le groupe faisait preuve d’un hallucinant charisme de frigo débranché. Néanmoins, pour ceux présents à leur conférence de presse, il y avait de quoi y croire : Andy Bell assurait que le groupe avait eu plusieurs opportunités pour jouer ailleurs ce week-end mais qu’ils avaient choisi Saint Malo pour cette connexion qu’avait le festival avec le mouvement Shoegaze ( citant Slowdive et My Bloody Valentine, têtes d’affiche des précédentes éditions). Toujours est-il que le début du concert apporte son lot de sueurs froides quant à la capacité du groupe à assurer les concerts : cafouillages en début de Leave Them All Behind, voix approximative de Bell sur Dreams Burn Down, on flippe un peu pour la suite. Sauf que, rétrospectivement, il n’y a aucune raison de flipper. Le groupe passe en revue le meilleur de leur répertoire, à savoir les deux premiers albums plus les premiers EPs et le concert décolle très très vite. C’est très pro sur les premiers moments, le temps que le quatuor se mette en jambe, puis Seagull apporte son petit grain de folie et le concert passe à la vitesse supérieure. C’est donc à une enfilade de tubes à laquelle nous avons droit avec quelques moments superbes (pour Vapour Trail, je suis pas parvenu à compter les paquets de frissons qui m’ont parcouru l’échine. Idem pour Twisterella ,Time Of Her Time ou Chelsea Girl). Le groupe enchaîne les titres et on se dit que si Bell s’efface pas mal au profit de Gardener (et bien lui en prend par ailleurs), la section rythmique reste toujours aussi impressionnante (notamment Colbert). Bref, le quatuor d’Oxford, après un hiatus de près de deux décennies, a pris de l’assurance, envoyant valser tous leurs détracteurs, semble heureux de jouer dans l’enceinte du fort (pour preuve, le concert devant s’achever sur l’excellent et bruitiste Drive Blind, se conclura sur trois rappels) et le public le lui rend bien. Au final, très très beau concert balayant d’un revers de guitare les craintes qu’on pouvait avoir au début du set et confirmant que, malgré un certain habillage sonore noisy, Ride sait écrire des tubes intemporels.
Ensuite, petite pause encore histoire de :
– S’abreuver de nouveau
– Se sustenter
– Récupérer ses achats.
Retour de nouveau vers la grande scène pour, disons le clairement, le plus grand concert de cette édition. Avec sa casquette, son look passe-partout d’américain moyen façon Simpson, on aurait pas donné très cher de la peau de Dan Deacon. Si en plus, vous ajoutez un décorum minimaliste (et pour tout dire intrigant) composé d’un séquenceur et d’une batterie, l’envie de retourner chez soi, surtout après le concert de Ride, pouvait traverser l’esprit de plus d’une personne. C’était omettre la réputation de bête de scène du sieur. Et de fait, dès les premières secondes, ça part dans tous les sens. Un son énorme, un batteur sous ecstasy qui cogne vite, très vite, comme un sourd et complète les samples foutraques de Dan Deacon, s’improvisant chanteur en modulant sa voix façon hélium. Le public jubile, saute partout, se prend la première baffe en pleine face, puis une seconde, puis finit par rendre les armes et danser comme un seul homme. Deacon, entre deux morceaux, se permet des apartés d’une grande drôlerie, se prend pour un G.O du club méd ou Moïse, allez savoir, en tentant d’organiser une danse en séparant le public en deux et demandant à chaque partie d’imiter la gestuelle d’un des messies envoyé par Deacon au milieu de la foule rouge séparée. Bref, c’est autant le foutoir dans la foule que dans la musique de Deacon. Et encore, ça reste assez indescriptible. Parce que là, le lendemain, j’en suis toujours à me demander comment deux gus comme eux ont pu déployer autant d’énergie avec si peu de moyens et produire un concert où tous les autochtones que j’ai pu croiser, après leur prestation, avaient un sourire béat collé à leur face et des étoiles dans les yeux. De loin le concert le plus fou du festival et la cerise sur le gâteau d’une journée magique, clôturant dignement cette 25ème édition (car oui, j’ai lâché l’affaire au bout de trois morceaux pour The Juan MacLean, réfractaire à leur musique et arrivé au bout du rouleau, il faut l’avouer).
Bref, si en matière d’entrées le bilan de l’édition 2015 est un peu en deçà de celui de 2014 (24000 entrées au lieu des 26500 l’an dernier), musicalement parlant, l’édition aura été particulièrement riche en émotions (sans parler d’une Islandaise perdue en route) avec deux premiers jours alternant l’excellent et l’anecdotique et une troisième journée tout simplement dantesque. Rendez-vous l’an prochain pour une 26ème édition qu’on espère aussi riche en découvertes qu’en confirmations.
Retrouvez les compte-rendus de vendredi soir, samedi soir et la rencontre avec François Floret (programmateur historique de la Route du Rock).
Et hop une playlist des artistes présents lors de cette dernière soirée :
1 : Father John Misty album de l’année
2 : Viet Cong 2ième album de l’année
Tu vois que tu y viens ?