[dropcap]T[/dropcap]rois ans après Electric Trim, Lee Ranaldo revient avec un nouvel album, Names Of North End Women, chez Mute/[PIAS], aux côtés de Raül Refree musicien et producteur espagnol de talent, une rencontre au sommet entre les deux hommes, et l’occasion d’expérimenter de nouvelles sonorités. Un projet déroutant au premier abord, qui semble loin de ce que Lee Ranaldo explore habituellement.
Il semble inutile de vous présenter Lee Ranaldo, 40 ans de carrière, essentiellement au sein de Sonic Youth, guitariste exceptionnel, et c’est peu de le dire, aux influences, somme toute classiques, allant de Hendrix, John McLaughlin ou encore Joni Mitchell (pour les accordages alternatifs), adepte de la guitare préparée, un jeu hors du commun… mais aussi une profonde admiration pour Steve Reich, période 70’s, ce qui n’est pas anodin de noter dans le contexte actuel.
Et que dire de Raül Refree, guitariste et producteur génial, qui a déjà produit les deux derniers albums de Ranaldo, mais aussi un expérimentateur hors pair d’un flamenco contemporain, bidouilleur éclairé, redonnant un souffle nouveau à la scène espagnole, un artiste confirmé dont l’album La Otra Mitad, étale le champ des possibles, à la limite de la musique concrète… pas anodin, certainement pas !
[dropcap]A[/dropcap]insi, ce qui devait se présenter comme un nouvel album de Lee Ranaldo est devenu le projet de deux hommes mus par une même envie d’explorer les limites sonores avec comme point de départ des influences communes, une admiration mutuelle et une amitié grandissante depuis leur première rencontre en 2014. Un processus de création totalement inédit dans les deux camps, l’album s’est entièrement construit à deux voix, une mise en abyme de leurs influences communes.
Leurs points de référence, dit Ranaldo, étaient davantage dans le paysage de la musique électronique ou contemporaine : Ryuchi Sakamoto, Arthur Russell, Conlon Nancarrow ou Steve Reich. Nous savions que nous ne faisions pas un disque «rock» – nous l’avons abordé comme si nous faisions de la musique expérimentale. Pendant trente ans de Sonic Youth et mes deux premiers disques solo, je travaillais dans le même format : deux guitares, basse et batterie. L’idée de Raül était : Traitons tes chansons différemment – différents rythmes, différentes textures, différentes instrumentations.
[dropcap]À[/dropcap] la sortie du single éponyme, Names Of North End Women, en novembre dernier, la première écoute est totalement déconcertante, à mille lieux de ce que l’on attendait de Ranaldo… et une question nous taraude immédiatement, où se trouvent les guitares ?
En effet, les guitares s’effacent pour laisser place aux percussions, marimba, vibraphone, ainsi qu’aux samples, pour une approche expérimentale de la musique, polyrythmique… à la manière d’un Steve Reich, sur l’album Drumming de 1974. Une déambulation en plein cœur du quartier North End de Winnipeg, dans la province de Manitoba (Canada), dans lequel chaque rue porte le prénom d’une femme, sans aucune autre indication sur leur origine, vécu, conférant un certain mystère aux lieux, ouvrant la portes de tous les possibles, libérant l’imagination de Ranaldo.
Et un clip étrange, montage d’un film avant-gardiste autrichien de Peter Tscherkassky, Outer Space de 1999, utilisant lui-même les images du film d’horreur de Sidney J. Furie, L’Emprise (The Entity), une expérience hallucinatoire.
[dropcap]L[/dropcap]e virage expérimental se confirme avec le second single, Light Years Out : Ranaldo et Refree continuent de nous embarquer dans un monde totalement barré, avec la chanson qu’ils considèrent comme la plus étrange de l’album.
L’expérimentation se fait plus évidente, surtout quand on sait que la base sonore est une vieille cassette de Ranaldo jetant des chaises contre un mur : un enregistrement créé il y a près de vingt ans pour un projet avec un groupe de noise japonais. Autant vous dire qu’avec Refree, ils se sont bien amusés à exhumer toutes ces vieilles cassettes et à les retravailler à l’aide d’une machine à cassette modifiée par Ranaldo à l’époque. Un procédé de collages sonores qui en mêlant technologie analogique et numérique, crée une forme de rencontre entre le passé et le présent.
Un morceau construit aussi sur la voix de Ranaldo : collage de poèmes, morceaux de dialogues, de textes de l’auteur Jonathan Lethem, avec qui il a déjà collaboré dans le passé… parfois la parole est tronquée, de manière à élaborer une forme inintelligible de langage où les sons se mélangent, créant un état d’urgence, de malaise. De plus le clip vidéo qui accompagne le morceau flirte encore une fois vers l’expérimental, Matt Schlanger, un ancien camarade de classe de Ranaldo, s’amuse à traiter le visage de l’artiste à la sauce collage analogique.
[dropcap]S[/dropcap]ur ce troisième single, Words Out Of The Haze, Ranaldo et Refree nous emmènent sur des sentiers beaucoup plus aériens, hors du brouillard. Les textures sont plus douces en touches sonores délicates, et la voix de Ranaldo explore un chant, plus proche du talk-over, motif récurrent qui s’étire sur le reste de l’album : Listening to your talk/Words out of the haze/Tearing me apart.
Un titre sur lequel il explore la complexité des relations interpersonnelles, la difficulté de communiquer avec les autres qui influencent nos ressentis, nos actions. La tonalité du morceau lorgne plus sur l’univers psychédélique, les synthés, les infrabasses qui rythment l’ensemble, et la guitare… oui la guitare, rare mais parfois perceptible, loin des envolés dantesques noisy, en un arpège céleste, d’où l’impression de flotter au dessus du monde.
Pour accompagner le tout, le clip reprend des images de 1938 d’Oscar Fischinger, An Optical Poem, un travail d’animation inédit pour l’époque, entre abstraction et images mentales. Une volonté visuelle qui démontre le désir pour Ranaldo et Refree de mêler images et sons, pour donner peut-être plus de force à l’expérimentation.
Pour le reste, je vous invite à découvrir ce nouvel album, Names Of North End Women, au plus vite ! Car à ce stade, il me semble difficile de vous exposer en quelques lignes toute la richesse et la singularité que recèlent cette collaboration entre Lee Ranaldo et Raül Refree, tant les deux hommes ont poussé loin l’expérimentation, laissant libre court à toutes leurs envies sonores, sans aucune entrave. Un projet qui peut décontenancer à la première écoute, mais qui témoigne du fait qu’à 64 ans, Ranaldo en a encore sous le coude et reste plein de surprises, et ça c’est plutôt une bonne nouvelle, alors à vos casques !
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Names Of North End Women – Lee Ranaldo & Raül Refree
Mute / [PIAS]– 21 février 2020
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Image bandeau : Lee Ranaldo & Raül Refree par Ari Marcopoulos.