[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#707070″]A[/mks_dropcap]près nous avoir emmenés dans 14 Juillet, au cœur de la foule des révolutionnaires, à l’assaut de la Bastille, Éric Vuillard nous fait vivre dans son dernier récit le naufrage idéologique de l’Europe. L’ordre du jour nous raconte comment les Nazis ont opéré un grand coup de bluff pour s’imposer si facilement et déclencher l’une des guerres les plus meurtrières de notre Histoire.
Les premières pages nous plongent au cœur d’une réunion avec les grands industriels de l’Allemagne. Éric Vuillard décrit ce petit monde acceptant calmement le fléau nazi et surtout l’alimentant économiquement. Ces industriels dont l’écrivain rappelle que certains vont continuer à s’enrichir et devenir encore aujourd’hui les grandes puissances du pays.
Mais ce récit, retraçant une partie de l’ascension du nazisme au cœur de l’Europe, ne se concentre pas seulement sur cette réunion. Il va aussi prendre pour exemple majeur l’annexion de l’Autriche, avec le personnage pathétique de Schuschnigg, chancelier de l’Autriche du 25 juillet 1934 au 11 mars 1938. On ne peut s’empêcher de voir ce personnage de manière caricaturale, un être couard, ne luttant que de manière maladroite et égotique contre Hitler.
Les descriptions d’Éric Vuillard sont la particularité de son œuvre. Que ce soit dans son dernier livre ou le précédent, on y lit l’Histoire à hauteur d’Homme. Déjà dans 14 Juillet, nous avions des descriptions truculentes de personnages ayant eu plus ou moins d’importance dans les événements.
Au-delà des descriptions individuelles, Vuillard est aussi habile à décrire une foule. Quand il décrit la foule autrichienne attendant les soldats nazis, on comprend à quel point l’Annexion fut relativement simple. La foule, plutôt qu’être révoltée (comme dans 14 Juillet), est séduite voire hypnotisée par les idées Nazies.
Quand on finit ce livre, on constate que la facilité du régime nazi à s’imposer fut un énorme coup d’esbroufe. Éric Vuillard l’écrit (p118) :
« Et ce qui étonne dans cette guerre, c’est la réussite inouïe du culot, dont on doit retenir une chose : le monde cède au bluff. Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s’il ne cède jamais à l’exigence de justice, s’il ne plie jamais devant le peuple qui s’insurge, plie devant le bluff .»
Et ensuite l’écrivain nous décrit une scène du procès de Nuremberg, une scène glaçante, d’autant plus qu’on a pris conscience de la tromperie. Cette scène où Goering et Ribbentrop (ambassadeur allemand en Angleterre) se mettent à rire. Même vaincus, les deux hommes rient face au tribunal qui les juge. La lecture finie, on réalise alors que ce qu’il nous reste de plus important pour ne pas retomber dans la même boucle d’horreur est encore la lucidité. L’homme lucide ne peut pas se faire avoir par un coup de bluff, non ? Faudrait-il d’abord savoir comment le rester ? Lire, peut-être.
L’ordre du jour, Éric Vuillard publié aux éditions Actes Sud.