– Dominique A ?
– Ouais mais … non.
– Flavien Berger ???
– Ahhhhhhhh ouais mais … non.
– Temperance ???
– Euh … non
– Barbara Carlotti ????
– Ahhhhhhhhhh mais oui !
– Mais non.
– Chamfort ? Polnareff ? Hardy ? Luciani ?
– Non plus
– Bon alors qui ????
– …
– …
La porte s’ouvre, laissant entrer un chroniqueur d’Addict-Culture :
– Salut les gars, vous faites quoi au juste, là ?
– Ben on fait notre top 2018 et comme on voudrait faire preuve d’ouverture, on cherche à y mettre au moins un album français. On en a quelques uns sous le coude mais on a du mal à choisir.
– Eh, cherchez pas, il n’est pas encore sorti !!! Euhhh… on est quand là ? Début janvier ? Ah ben si, tiens, il est déjà sorti.
– Et c’est quoi ?
– Lost Empyrean de Dirge. Non seulement c’est pas chanté en français mais en plus c’est du métal. Donc c’est plus hurlé que chanté.
– Oh putain, tu fais chier Jism. Allez, dégage et laisse-nous entre gens de bon goût.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#1d1dc1″]C[/mks_dropcap]onneries mises à part, Dirge, c’est un des rares groupes français dans la catégorie sludge que j’ai à l’œil depuis quelques albums maintenant (les autres étant Year Of No Light ou Regarde Les Hommes Tomber). Ceci étant dit, et pour être tout à fait honnête, si je les avais à l’œil, j’ai toujours trouvé qu’il leur manquait un je-ne-sais-quoi pour définitivement remporter la mise et les placer réellement au-dessus de la mêlée.
De fait, si vous jetez une oreille à Elysian Magnetic Fields et Hyperion, vous sentez le potentiel, vous le touchez du doigt mais ne l’atteignez pas, parce que, s’ils sont assez réussis, ils restent trop appliqués, trop engoncés dans leur style pour atteindre le statut de grands disques qu’ils méritent.
Mais ça, comme disait l’autre, c’était avant.
Parce que Lost Empyrean change complètement la donne en étant le disque qu’on pouvait enfin attendre d’un grand groupe. Le socle reste toujours le même, à savoir le sludge, mais les Français prennent une hauteur inédite, n’hésitent pas à introduire un souffle, une majesté faite de mélancolie, de mélodies entêtantes et d’éther.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#1d1dc1″]L[/mks_dropcap]e changement opère d’entrée de jeu, dès l’introduction de Wingless Multitudes, impressionnante, pendant laquelle Dirge déploie un savoir-faire terrassant, mêlant lourdeur des riffs à la mélancolie des mélodies, un peu comme si les Cure ou les Sister Of Mercy avaient pris le commandement d’Isis. Ça étonne dans un premier temps puis on tombe très vite sous l’influence du savoir-faire de Dirge, l’alternance de chant hurlé, clair, cette atmosphère sombre, empruntée au doom, et cette montée finale finissent par emporter les quelques réticences que l’on pouvait avoir avant de commencer Lost Empyrean. Pour la suite, les Français ne vont pas en rester là, au contraire. Leur musique va évoluer dans des directions assez étonnantes et ce, dès Hosea 8:7. En effet, s’il commence dans la continuité de Wingless, plus loin le morceau s’enfonce dans les terres du shoegaze (les échos sur la voix) voire de la pop à la Ride, réussissant par la même occasion ce après quoi court toujours Alcest. Ensuite les Parisiens revisitent la cold wave des Cure notamment la période Pornography/Faith/ Seventeen Seconds (les fûts ainsi que les synthés sur Algid), puis, sur The Burden, c’est au Cosmosophy de Blut Aus Nord qu’ils s’attaquent. A vrai dire, on a le sentiment qu’à partir de The Burden, les Parisiens semblent avoir abandonné l’idée de faire plus lourd, plus fort pour chercher à viser juste, être à la fois pesant et mélodique, tendu tout en cherchant une certaine majesté. Et, de ce fait, la majesté, ils vont la trouver en puisant leur inspiration dans les guitares claires, les synthés du Cosmosophy. Néanmoins, si l’album était jusque là excellent, il manquait encore un petit rien pour le faire basculer dans la catégorie des grands disques. Ce petit rien, ce sera Lost Empyrean. En effet, avec son motif de guitare (d’une simplicité édifiante), ses arpèges et ses synthés, Lost Empyrean est tout simplement une des chansons les plus marquantes de cette année, alliant grâce et rage, d’une rare émotion (avouons-le : la mélancolie n’était pas l’affect qui, jusque là, prédominait dans ce disque), lyrique (sans pour autant être pompeux) et, au final, d’une puissance inattendue. Dès lors, après avoir atteint des cimes inédites, Lost Empyrean va rester perché tout en haut des cieux pour les deux derniers morceaux.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#1d1dc1″]B[/mks_dropcap]on, pas tout à fait, A Sea Of Light va d’abord commencer par redescendre, ralentir le rythme, au point de côtoyer le Funeral mais, une fois l’arrivée des voix claires, l’ascension va reprendre et amener le morceau vers un psychédélisme apaisé, à la limite du rock progressif. Idem pour Sarracenia qui reprendra le même schéma pour un résultat à la fois similaire et totalement différent : on retrouve cette lourdeur, proche du Funeral, pour débuter, mais les Parisiens, à l’inverse, ne vont pas chercher l’apaisement, ils le trouveront juste par hasard. Parce que tout au long de Sarracenia, c’est la tension qui primera, cette tension née des giclées de rage s’opposant à une certaine forme de légèreté, ce chaos contenu par le groupe qui ne demande qu’à se libérer, qu’à vous exploser à la gueule. L’équilibre obtenu est d’une infime précarité, pouvant basculer à chaque instant et le talent de Dirge sur Lost Empyrean est finalement de parvenir à le dompter et à y trouver une forme de majesté.
Bref, si jusque là Dirge avait en main tous les ingrédients pour obtenir un grand disque, sur Lost Empyrean, les Parisiens ont enfin trouvé la recette et nous livrent un des meilleurs albums de cette fin d’année tous styles confondus. C’est violent, impressionnant et d’une beauté inédite.
Sorti le 14 décembre dernier chez Debemur Morti ainsi que chez tous les disquaires équipés d’altimètre de France et de Navarre.