La rumeur était juste : les derniers arrivés et les vieux. Plus quelques privilégiés comme le directeur de la rédaction des masculins sports.
Et moi, le bec dans l’eau, prise au piège de Method.
L’adjointe de la RH a dit : « Désolée Louise-Nathalie », et je me suis vue en petite souris, prisonnière d’une confortable boîte avec fromage à gogo et litière renouvelée chaque jour. Elle a ajouté sur le ton d’un secret complice : « En même temps, je ne me fais pas de souci pour toi. » C’était pour être gentille, je sais, mais j’ai eu envie de la torturer jusqu’à ce que ses yeux sortent de leur orbite dans des flots de sang.
Dixit une déléguée CGT, la direction aurait opté pour une politique qui « ne sanctionne pas », favorisant un mouvement interne : genre Louna, tu peux y croire, tu ne feras pas le tour du monde mais ça va bouger pour toi.
Dixit Béa, j’aurais dû abuser de mes relations avec Aurélie. C’est vrai, elle me l’a dit, répété, rabâché, mais merde, je ne vais pas réchauffer mes vieilles coucheries pour des histoires de taf.
Bien sûr, je pepstillerai, le moment venu, sans le sponsor de Method.
Résous-toi, le ciel ne t’aidera pas.
Carole s’en va.
C’est toujours ça.
(Rimes pauvres pour une pauvre vie.)
D’abord un pot à Method, pour le départ de certains – dont Nana. Difficile de le boycotter, et de toute façon, en dix minutes, et trois flûtes, je suis pétée. Ça se poursuivit en effectif réduit et beaucoup plus hardcore dans une sorte de rade clandestin (un appart sur le boulevard Saint-Michel) technoïde, puis dans un autre de filles, rue Keller. Je suis maintenant beurrée comme un petit Lu. Béa me vole mon portable car je menace d’appeler Rob pour l’insulter. Et : d’appeler mon père pour l’insulter. Nana fait tourner des traits. On va ainsi jusqu’au matin et quand je me réveille, je suis à moitié nue sur un canapé et y a quatre autres filles, dont Nana, qui roupillent autour de moi toutes plus ou moins à poil. Je ne me souviens de rien, je ne sais même pas où je suis.
L’option croissant-aspirine n’est pas comprise, je saute dans mes Marc, je me casse de là sans connaître la fin de l’histoire.
Lucky me, it’s saturday.
Béa ayant gardé mon portable, j’ai loupé le message du samedi matin de Maman. Devant un thé Mariage, Béa me raconte sa fin de soirée avec une petite nénette « toute douce et toute paumée », « exactement le truc à éviter ». Béa a récemment découvert les femmes. Sans conviction, il semblerait : elle a plutôt tendance à se laisser embarquer dans des histoires, « parce que c’est facile », mais ne les cherche pas vraiment. Pour moi, aussi, un échappatoire ?
Finalement, au Père tranquille, Maman me déballe dans les plus infimes recoins et comme s’il s’agissait du scoop de la saison, ses soupçons sur Mado, qu’elle croit (et elle a certainement raison) entretenue par son Milo. « Ses économies ne lui serviraient pas d’argent de poche avec le rythme de vie qu’ils ont. » Mado a une vie de jet-setteuse, aux dernières nouvelles (Maman en rajoute certainement mais le sens y est). Elle s’interrompt au milieu d’une phrase pour me demander : « Ton père, il n’est pas un peu étrange, en ce moment ? »
Et pour longtemps, tu peux me croire.
Elle a son petit air, non plus de Maman contrariée, mais de femme triste. Je la regarde ; un instant, je crois voir, le fond de son âme, là où naissent les racines de la tristesse. Elle se cache derrière la carte des cocktails, éponge ses yeux. Et c’est comme si elle m’apparaissait soudain, comme si je ne l’avais pas vue depuis des années. Je ne vois plus cet incontournable à qui je suis chevillée, mal gré, mais une femme, pour ainsi dire inconnue, ignorée, réfugiée derrière son quotidien. « Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose, tu comprends ? » C’est à peine si je reconnais sa voix, un vibrato d’émotions ravalées. Des larmes mouillent le coin de ses yeux, et je songe : cette femme, ma mère, je ne l’ai pour ainsi dire jamais vue pleurer ces trente-trois dernières années. Encore un de mes kleenex imprimés. Maman a déjà embrayé sur autre chose – un DVD type « Envoyé spécial », la saison de spectacles qui a démarré, que sais-je. Pas qu’elle n’y pense plus si j’en crois le pli entre ses yeux, mais quelque chose la tient droite, l’empêche de dégringoler. J’ai envie de lui dire : t’en fais pas Maman. Au lieu de quoi, je lui prends la main, et j’écoute, sincèrement, sa critique du dernier spectacle qu’elle a vu avec Pierre.
Je la trouve touchante. Je la trouve courageuse.
Deux adjectifs que je n’aurais pas cru pouvoir donner à ma mère.
Chic a rejoint aujourd’hui la confrérie des types qui sont meilleurs avant que pendant et/ou après. Enfin voila, c’est fait. Je sortais de la douche, peut-être que c’est ça qui l’a décidé, quand il a sonné. Il est rentré, il a roulé, on a fumé. Il avait envie de parler et il faisait bon, vautrés sur le tapis du salon dans le soleil couchant. Je venais de m’autoconsommer, je n’y pensais même pas. De sorte que j’ai sursauté quand le bout de ses doigts m’a caressé la nuque, les tentacules de mon octopussy, puis le galbe de mes seins nus sous la tunique. J’ai pensé : c’est maintenant qu’il se décide. J’ai dû faire un demi-effort de concentration pour me mettre dans le bain. C’est vrai, depuis le temps qu’on jouait à « je te veux, moi non plus » tous les deux, il n’aurait pas fallu que je loupe le coche.
J’ai fermé les yeux et me suis laissée glisser contre lui dans cet état d’esprit. Ses doigts et surtout le parfum de sa chair ont eu tôt fait de réveiller mon volcan. Je me voyais déjà criant, m’agitant, vidant mon trop-plein de désir pour lui. Même pas, mon gars. Un tout petit orgasme que je suis allée chercher dans un de mes recoins secrets (heureusement que j’ai encore quelques recours), et tof, terminé, over, « désolé Louna, je suis pas en forme ».
Ouais.
Comme ça, c’est fait.
Fulgurants désirs qui meurent en pipi de chat. Ainsi (aussi) va le sexe.
Rectificatif : Carole ne s’en va pas, elle quitte le moribond Glitter pour un poste de directrice de la rédaction – on n’en sait pas plus pour l’instant. Ce que je sais, moi, c’est qu’une photo dans Voici au bras d’une VIP (Dixie) assure à quiconque (je veux dire, jusqu’à la dernière des connasses) un pont d’or dans l’univers du « qui fréquente qui » qu’est Method. Je ne veux en rien diminuer les capacités professionnelles de Carole (les chiffres le font bien mieux que moi), juste pointer du doigt les mécanismes du premier groupe de presse hexagonal.
Good bye Lenin avec Béa. La première heure passe à peu près, mais les signaux ne tardent pas à émettre leur cri : attention, film culte. La photo devient exaspérante de djeunisme. C’est là que je décroche.
Le Pep’s retardé. Coup de fil (cependant sympa) de Géraldine, l’assistante de Lucie Pierre. Le numéro zéro se fera non plus en février mais en mars. A ce rythme-là, et connaissant les problèmes d’un lancement, on n’en verra pas la couleur avant la fin du printemps (pour un lancement à la rentrée prochaine, probablement). Bizarrement – peut-être m’y attendais-je, je m’en fous. Géraldine me propose des collaborations sur des dossiers pour d’autres titres, du type : shopping nocturne à petits prix, les bons plans pro pour se faire belle en musique (Dixie doit bien avoir quelques collègues qui traquent le comédon sur de la funky music et prennent la carte jeune), etc.
A Method, je ne sais toujours pas à quelle sauce je vais être mangée. La docu et l’icono de Glitter quittent la maison les poches pleines et le cœur léger.
Vague conversation avec Papa, en fait, le minimum pour ne pas couper les ponts. On verra ça plus tard.
Jeudi
Laure, ma très chère, comme je suis impatiente de pouvoir t’en dire plus. Tu avais raison, fillette. Prosternation, total respect.
J’en ai fait tomber mon téléphone dans le caniveau. Un message de Rob. Il aurait préféré me parler en direct (moi aussi, j’ai pensé). Il a un air distant au début mais finalement, il raccroche en me disant : « Je serai content de te voir. »
Demain, si tout va bien, je planerais dans le top de la vie Cosmo, te bénissant, ma chère Laure, les doigts dans la tignasse de Rob.
Ted : Here comes the sun king.
Bill : I want you so bad.
Vendredi, 20h45
Jupe longue cintrée Copain-Copine, le haut Biche de Berre que m’a offert Laure, pas de bijoux voyants, un maquillage léger. Discrétion. Pas les pieds dans le plat comme d’habitude.
(23h22)
Plus 50 points pour moi. Je ne sais pas comment ça m’a pris. On avait bu un verre et un deuxième, tout tranquilles, à se tourner autour gentiment. J’étais à ça de le supplier de rester avec moi (il avait un set à l’autre bout de Paris), j’ai pourtant pris un air décontracté, tranquille. « J’ai eu une semaine tuante », j’ai dit en consultant négligemment mon portable. Il pouvait aussi bien croire que je me foutais pas mal de ses histoires, ou que j’allais, dès qu’il aurait levé le camp, téléphoner tous azimuts pour le remplacer. Je me suis levée. Et là : « Je t’appelle », il a dit plus qu’il n’a demandé. Et mieux : il s’est levé, il m’a embrassé sur la joue.
Un baiser qui m’a fait frémir.
Samedi
Douce attente. Ce matin, je cleane chez moi, avec Babylon by Bus. Dans le miroir de l’entrée, découvert et brillant de propreté, je souris. Je ne sais pas depuis combien de temps je n’ai pas souri ainsi.
Je plane à deux mille.
Dimanche
23h15
Rob dit : Je ne veux plus te quitter, je veux être ton ombre.
Il me caresse les seins. Nous avons joui ensemble.
Je ne dis rien, je profite de ses lèvres qui se posent sur mon épaule.
Je suis heureuse.
Jeudi
Oui, ça va un peu vite, on a du mal à se lâcher. Il vient me chercher à Method, je le retrouve dans un bar, on traîne, on s’aime. Je ne dis toujours rien à ses mots doux. Comme la glace qu’on avait mangée chez Bertillon avant la soirée catastrophe, je déguste mon bonheur avec un sourire bouclier.
Décommandé la soirée de Natacha « Hot, before winter. » Avec soulagement.
Un mail de Chloé qui s’intéresse (sujet apparent) à mon devenir – comprendre, en sujet réel, les mouvements en interne à Method sur le mode « savoir ce qui se trame chez l’adversaire ». « Il faut qu’on déjeune » et « bisous, bisous, je t’appelle. » Ce qui me laisse de la marge.
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est un texte de l’écrivaine et journaliste Agnès Peureu écrit en 2005.
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