L nous a habitués à des titres aussi provocateurs qu’incontestables : l’avant-dernier en date, Le polar de l’été, paru à la Manufacture de Livres, n’avait rien d’un « page turner » et tout d’un roman quasi-noir, aussi mélancolique qu’intelligent. Un petit chef-d’œuvre de littérature vient de paraître chez Marest éditeur, et là encore, Luc Chomarat fait œuvre d’humour, de malice et de séduction. Le personnage principal du roman est donc le roman lui-même, héros à part entière d’une drôle d’histoire dans un drôle de monde : le nôtre. De temps à autre, il laisse la parole à son auteur, et aussi, mine de rien, à l’auteur du roman dont nous sommes en train de vous parler.
Un petit chef-d’œuvre… naît sous la plume d’un freluquet, moderne Rastignac qui, à 20 ans, écrivait comme Maupassant. D’ailleurs, hasard ou destin, c’est bien avec Rastignac qu’il parcourt en TGV le trajet qui le sépare de Paris, là où il faut être quand on va pondre un petit chef-d’œuvre. Les deux jeunes gens rencontrent en chemin deux jeunes filles avec lesquelles ils vont faire un bout de chemin… Le petit chef-d’œuvre fait son chemin dans les librairies, dans la presse, et même au cinéma et à la télé. Vu que par les temps qui courent, un roman qui n’est pas adapté en série n’est pas vraiment un succès. D’ailleurs, les Américains en sont à la saison 6. Pas mal pour un roman réputé inadaptable… Un roman inclassable, qui se balade de rayon en rayon dans les librairies, au grand dam des libraires, et en particulier d’un libraire suicidaire qui, décidément, n’en peut plus de fourguer des nuances de gris, et rate son suicide, évidemment.
Un roman « qui disait, par exemple, que l’amour était sans importance. Quelque chose qui ne valait pas la peine qu’on en parle », vous imaginez ? Un roman où l’on suggère qu’on crée dans les librairies un rayon « grosses merdres », en hommage à Alfred Jarry, qu’est-ce que c’est que ça ? Les médias commencent par l’assassiner. Et puis, tout à coup, les ventes s’envolent, on ne sait pas trop pourquoi. La maison d’édition qui l’a publié se fait racheter par un groupe international. L’auteur parcourt monts et vaux, et finit par se retrouver un peu en explorant le pays, les Cévennes comme Stevenson, mais sans âne. C’est lors d’un retour aux sources, et en particulier d’une séance à la bibliothèque de sa ville d’enfance, qu’il se met à côtoyer Voltaire (sale caractère, celui-là), Camus, Nietzsche… Et puis, dans « certains coins (…) mal éclairés, et mal fréquentés », il tombe sur Fredric Brown, André Héléna, Jim Thompson, Richard Matheson. Une occasion sans pareille pour Luc Chomarat de rendre un hommage au roman noir.
On l’aura compris : il est totalement absurde de s’efforcer de résumer Un petit chef-d’œuvre de littérature. Luc Chomarat, à coups de chapitres très courts – voire de demi-pages bien envoyées, dresse un portrait sans pitié du monde littéraire, sans épargner personne : blogueurs analphabètes, critiques littéraires incultes et narcissiques, éditeurs et auteurs cyniques… Tout le monde passe par la moulinette d’un auteur qui réussit le tour de force, en 130 pages à peine, de nous communiquer, malgré les flèches acérées qu’il décoche à chaque ligne, un amour de la littérature salutaire, un regard dépourvu d’amertume mais éclairé par un sens comique ravageur. Le lecteur rebondit de trait d’humour en remarque vacharde et toujours bien vue, et termine le livre tout essoufflé, secoué qu’il est par une littérature telle qu’on en écrit trop peu. Merci Luc Chomarat…
Luc Chomarat, Un petit chef-d’œuvre de littérature
Marest éditeur, nov 2018