Petit livre d’à peine cent pages « F » de Luis Seabra se dévore, se lirait presque d’une traite si l’on n’était pas dans l’obligation de faire une pause, de revenir en arrière et de réfléchir un moment pour comprendre où l’on se trouve dans le récit.
L’auteur agrémente son texte de trouvailles puissantes : des « exercices de lectures contraintes » dont on ne sait finalement pas ce qu’elles sont, jusqu’au ministère des Libertés et des Privations publiques, sur lesquelles on s’arrête, se rendant compte qu’il s’agit d’un texte particulier.
Tout ou presque se passe dans une prison. Une étrange prison. Le but de cette prison (paradoxale) finir par faire croire aux prisonniers (pensionnaires) que leur place se trouve là et que sortir n’en vaut pas la peine.
Ainsi Linz, un des prisonniers, subit-il son sort sans trop de souffrance. Il se laisse aller, répond aux exigences de l’administration. Il est envoûté, trépané, cerveau anesthésié.
Y aura-t-il ici un parallèle à faire avec le lecteur ? Car Seabra se joue de nous dans son texte, nous trimbale de faux semblants en révélations, vraies ou pas ?
L’influence de Kafka se fait sentir. Rien que dans le titre bien sûr. On est dans l’absurde bureaucratie et on tourne en rond autant que les personnages. Seabra s’amuse à nous perdre.
Le récit se découpe en trois chapitres et un épilogue. Trois voix différentes et des personnages qui se croisent, révélant chacun une part de sa vérité, qui n’est pas forcément celle des autres.
« La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes », la citation de Borgès placée par Seabra avant même le début de son récit, et sur laquelle on revient une fois le livre fini en se rendant compte qu’elle pouvait se lire comme un avertissement.
Tout n’est pas écrit ici. Au lecteur de se faire son histoire et son interprétation. Et donc de lire et relire ce formidable premier roman.