[mks_pullquote align= »left » width= »680″ size= »18″ bg_color= »#e6f3df » txt_color= »#3f3f3f »][mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ans une autre vie, j’ai marché dans les rues de Bam. C’était comme un décor de film, même le bruit de mes chaussures sur le sol poudreux était irréel.
Bam était alors une cité à l’architecture quasiment intacte, mais intégralement vide, une vraie ville fantôme avec à son sommet, comme un gardien de phare, une petite vieille dame drapée dans des tissus bariolés, qui tenait salon de thé dans une cabane rafistolée de partout.
J’ai envie d’en parler, je crois, pas seulement parce que c’était beau, ni simplement parce que j’ai aimé me promener entre ces constructions en terre crue qui avaient tenu bon pendant des siècles et des siècles, alors que j’ai le sentiment que nous sommes entrés dans une ère de « civilisation jetable ».
J’ai envie d’en parler parce que ce que j’ai vu, de mes yeux, vous ne le verrez jamais.
Vieux de plus de 2000 ans, sans cesse envahi, détruit, rebâti, encore partiellement habité jusqu’au début du 20ème siècle et rendu célèbre notamment par le film “Le désert des Tartares”, Arg-e Bam, “le fort de Bam”, accolé à la ville de Bam, dans le désert, en Iran, n’est plus.
Toute la cité a disparu le 26 décembre 2003, avec les dizaines de milliers de victimes d’un séisme de 6,6 sur l’échelle de Richter, une des catastrophes les plus meurtrières dans un pays pourtant habitué à trembler.
Devant l’ampleur des pertes humaines, la communauté scientifique a dû faire son deuil dans la discrétion, mais les magazines spécialisés, les chaînes du service public et les revues de tourisme, après un délai de prescription raisonnable, ont célébré à leur manière l’oraison funèbre de ce joyau du patrimoine mondial en publiant des tonnes de reportages, photos et documentaires, images devenues, pour toujours, “d’archives”.
Ici, on apprend au berceau l’importance de l’Histoire et des richesses culturelles du pays. Je pense que la révolution et la guerre, ont encore renforcé le caractère viscéral de cet attachement. Autant dire que la disparition d’Arg-e Bam reste, dans le cœur de chaque iranien, une plaie ouverte.
Les photos qui dorment dans mes tiroirs, vous trouverez les mêmes sur internet. Cherchez-les, cela vous fera du bien, même si vous n’êtes pas iranien. Ce que vous ne trouverez pas, en revanche, c’est le sirop de sekandjebin de la petite vieille dame , servi dans un verre à thé à la fin d’une longue promenade sous un soleil de plomb.
Le sirop de sekandjebin est une institution en Iran, l’homme qui a inventé l’alcool, Mohammad Zakaiya Al-Razi, philosophe, physicien et alchimiste du 9ème siècle, lui a consacré tout un traité. D’après lui, la boisson a été inventée par les grecs (les iraniens ne sont pas d’accord), et était à l’origine un mélange de miel et de vinaigre. Aujourd’hui il en existe en Iran de nombreuses versions : avec du miel ou du sucre brun, ou avec différentes sortes de graines, selon qu’on le prépare pour ses vertus médicinales ou comme rafraîchissement.
Faites bouillir un litre d’eau à feu vif, ajoutez deux kilos de sucre ou de miel, 50 a 70 cl de vinaigre blanc et quelques feuilles de menthe fraîche, laissez bouillir 15 minutes ( si vous voulez le conserver longtemps, faites bouillir davantage, pour obtenir un sirop plus épais). Avant de servir, diluez le sirop à votre goût dans de l’eau glacée. Certaines personnes ajoutent du concombre râpé, pour un effet encore plus rafraîchissant, d’autres utilisent le sirop non dilué pour tremper des feuilles de laitue. Faites comme vous voulez.
Moi je le verse dans un verre à thé, avec beaucoup de glaçons, pour qu’il reste frais longtemps. Parfois c’est tellement froid que ça me pique les yeux, alors je le bois doucement, en pensant aux murs qui tombent, quand quelque chose fait trembler la terre.[/mks_pullquote]
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Alma Rivière est auteure de Le Chameau Ivre publié aux Éditions Rue des Promenades.
On peut croiser Alma Rivière à Paris, où elle est ancrée, ou bien dans l’avion, où elle monte sans appréhension mais dont elle descend toujours avec enthousiasme. Elle écrit dans plusieurs langues et voudrait pouvoir les lire toutes. Cumulant plusieurs casquettes tout en se revendiquant sans-étiquette, elle se soustrait à toute forme de datation ou de classement pour faire son trou dans la marge, qui a toujours été sa zone de confort.
Merci à elle de nous avoir offert ce texte.
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