[dropcap]D[/dropcap]ans Le Monolinguisme de l’autre, Jacques Derrida comparait la langue à une maison : « Je suis monolingue. Mon monolinguisme demeure et je l’appelle ma demeure, et je le ressens comme tel, j’y reste et je l’habite ». Dans Maison tanière, recueil poétique qui vient de paraitre dans la collection l’Iconopop aux éditions L’Iconoclaste, l’autrice Pauline Delabroy-Allard écrit comme on demeure dans une langue.
Construit en deux parties correspondant à deux moments différents passés dans la maison d’amis nommés A.& M., ce livre se fait le journal d’une écriture poétique en devenir. La première partie se déroule durant l’été 2017, alors que son premier roman Ça raconte Sarah aux éditions de Minuit n’a pas encore été publié. La deuxième partie du recueil, ayant lieu durant l’été 2019, se déroule après la parution et la tournée promotionnelle du livre : « un roman mon premier roman/ un roman aux éditions de Minuit / toute la France sillonnée pendant presque un an ».
À nous de lire entre les lignes, de saisir les espaces manquants, les absences du langage, les non-dits. À nous de voir ce qui filtre dans cette lumière estivale d’absence et d’abandon : « la voix de ma mère/ d’abord enjouée puis qui soupire/ je voudrais déjà être à l’été prochain/ je pense à autre chose/ j’arrive à l’écouter/ jase et blabla/ uniquement parce que j’ai le sentiment confus/ pas très bien identifié qu’un jour ça me manquera/ la voix de ma mère dans le téléphone ». Tout est double ici, tout s’articule comme le développement d’une photographie, comme l’ombre et la lumière, comme la vie et la mort, à la manière d’un double album.
Dans la première partie de Maison tanière apparait la pochette d’un vinyle photographié à chaque fois dans un lieu différent, faisant par moments figurer l’autrice elle-même. Chaque poème offre ainsi différentes possibilités d’être lu : avec ou sans musique, avec ou sans la photo, à voix haute ou à voix basse. Et le lecteur traverse avec une joie simple et première toutes ces madeleines poétiques et musicales, autant de façons de retrouver une tanière de sons et de mélodies, à l’instar de ces premiers vers qui ouvrent sur du Nino Ferrer :
nino and radiah / nino ferrer / paresse des langueurs de l’été / caresse des longues heures enfermée / tendresse des ombres alanguies / we call it the south cause time is so long there / c’est la première année que j’aime ça
La deuxième partie de Maison tanière fonctionne presque comme une sorte d’envers puisqu’on y voit la photographie de plafonds. Comme une façon de renverser la figuration en abstraction. Tout fonctionne donc en miroir dans ce recueil où le poème fait écho à la photographie, sachant que dans la première partie, le texte est à gauche et l’image à droite et cela s’inverse dans la deuxième partie.
Chacune des parties répond à l’écriture chronologique du journal, cherchant ainsi à saisir dans ces jours qui se suivent un moment fugace, un temps évanoui à reconquérir dans son évanescence. Il s’agit d’habiter un présent où les sensations priment, où l’on se laisse traverser par la sensualité des éléments et des corps amoureux, cette jubilation des corps qui se parlent.
quand je pense à toi / fort très fort encore plus fort / je ne réponds plus de rien / quand je pense à toi / nue offerte impudique / qui hurles sous mes doigts / on mériterait / des applaudissements / et les cris d’une foule en délire/ tant on fait ça bien / l’amour
Par la présence de ces différents vinyles dans la première partie, le recueil convoque autant la madeleine proustienne que le « Je me souviens » de Perec. Chaque poème se fait la demeure d’un corps musical qui trouve sa forme dans les nombreux genres musicaux convoqués : la musique classique, la chanson française, le jazz ou le punk.
Les poèmes se font ainsi le dédale d’un corps-maison qui trace des lignes de désir où la question du début et de la fin se pose : « il fallait bien commencer par quelque chose/voilà/ un vrai dimanche/ il faudrait faire ça/ oui/ commencer par quelque chose ». Les vers de Pauline Delabroy-Allard exprime le désir d’un corps qui cherche à habiter une langue, un autre corps ainsi que ses propres souvenirs.
La maison est ce corps physique et sexuel en quête de cet autre qui fera son apparition à la fin de la première partie :
il n’y a que toi pour faire ça/ entrer dans une maison endormie où personne ne t’attend/ à six heures du matin/ et glisser nue contre moi nue .
La maison devient ainsi un corps poétique mental, symbole de notre part d’ombre, dont les plafonds de la deuxième partie en deviennent l’incarnation : « un jour sur deux / je descends dans le boyau de ma tanière/ même si on a tous n’est-ce pas/ au fond de nos entrailles/ des gouffres sombres et cachés ».
Au lecteur d’habiter ces lieux d’écriture, de lire les photographies, de regarder le texte, de saisir la sensibilité, la délicatesse, la fragilité qui émane de ce recueil. D’habiter avec ces mots des corps qui passent et du désir qui reste entre les silences, entre les instants photographiés, les plafonds fissurés et les notes prolongées.
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Pauline Delabroy-Allard, Maison tanière
L’Iconopop, avril 2021
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