Malaterre est le nouveau roman graphique de Pierre-Henry Gomont (Pereira prétend, Sarbacane). Superbement mis en image, il trace le portrait sans fard d’un homme sans concession. Gabriel Lesaffre est le propriétaire d’un domaine en pleine forêt équatoriale. Fumeur invétéré, adepte des fonds de bouteille et doté d’un tempérament volcanique, il se met en tête de faire venir ses enfants en Afrique. Une entreprise hasardeuse. Mais ce père fantasque, qui vit à toute berzingue, n’est pas à ça près !
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a couverture fait apparaître Gabriel au premier plan, dont l’ombre rougeoyante détonne dans la végétation foisonnante et luxuriante qui l’entoure. Trois spectateurs figurent dans l’image : Martin, Mathilde et Simon, ses trois enfants. Attentifs et dubitatifs, ils fixent leur père, se demandant visiblement quelle sera sa prochaine réaction épidermique. Nous aussi sommes intrigués par ce tableau familial, où les couleurs s’entremêlent et s’opposent, où les contraires s’observent. L’on pressent bien que le tableau n’est pas parfait et que le calme de la situation, seulement troublée par les volutes d’une fumée de cigarette, n’est là qu’apparent.
De fait, les pages qui suivent donnent le ton. Le premier chapitre s’ouvre ainsi brutalement sur « la fin » de Gabriel, sorte de roi tragique dont les vociférations à l’encontre de son avocat de seconde zone, ne suffiront pas à le sauver d’une attaque cardiaque. De quoi nous déstabiliser, nous qui commencions à peine à faire connaissance avec ce drôle d’hurluberlu !
Le procédé narratif mis en place par Pierre-Henri Gomont va néanmoins nous permettre de remonter le temps et de découvrir la vie de ce personnage pour le moins entier, épris de liberté, manipulateur, fêtard et roublard. Un type donc qui ne saurait laisser indifférent. Et c’est là l’astuce du scénario, qui suscite de notre part autant d’amusement que de curiosité.
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Posons les choses. Gabriel Lesaffre s’est fixé deux objectifs dans la vie : redonner son lustre d’antan au domaine dont il est propriétaire en Afrique et faire en sorte qu’à son décès, ses enfants prennent la succession. Pour cela, il suit une trajectoire échevelée, s’efforce de passer entre les gouttes, se donne du courage en fumant clope sur clope et boit plus que de raison. Et puis un jour, à force de belles paroles et de fausses promesses, il obtient la garde de ses des deux aînés, Mathilde et Simon, les subtilisant à leur mère désespérée et les embarquant à 5 000 km de chez eux.
D’abord émerveillés d’être lâchés ainsi dans la nature, si grande, si belle et sauvage, les deux ados déchanteront un peu plus tard en constatant être livrés à eux-mêmes. Mais à leur âge, devoir se débrouiller seuls et faire l’apprentissage d’une vie éloignée du confort bourgeois, présente aussi quelques avantages… Mathilde et Simon s’accommoderont ainsi pleinement de ce sentiment de liberté, avant un retour à la case départ forcément synonyme de grisaille et d’ennui. Ils oscilleront en permanence entre le rejet de ce père égoïste, très souvent absent et pris à la gorge par ses vieux démons, et l’admiration portée à sa folie et à son envie de s’affranchir des règles toutes tracées.
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Avec cet ouvrage, vous l’aurez compris, Pierre-Henry Gomont nous convie à une épopée exotique, bien écrite, dont le trait de dessin vivant et magnifié par une impression des couleurs sur papier mat, donne une vraie saveur à l’exercice de lecture. Mené tambour battant, l’album ne manquera pas de réveiller en vous l’enfance sage ou trépidante qui a bercé vos premiers pas dans la vie.
Malaterre de Pierre-Henry Gomont
Dargaud, septembre 2018
Ça fait envie