[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n cette période particulièrement riche, quantitativement et qualitativement, pour les « musiques actuelles » en français, le nancéien Manuel Etienne vient ajouter sa pierre à l’édifice avec un troisième album solo remarquable, intitulé de manière énigmatique Ni Pluies Ni Riens. Pour la première fois, tous les titres sont chantés (quand ils le sont, puisque l’instrumental Béziers, qui oscille entre metal freak et ligne claire, s’immisce en plage 5) en français.
Sur ce disque, Manuel et les trois autres musiciens qui composent son groupe parviennent à transcender la trame voix-guitare-basse-batterie en variant les atmosphères et les climats, et en instaurant des ruptures de rythme et de ton à l’intérieur d’un même morceau (voir l’accélération fulgurante sur la fin du morceau d’ouverture Arcane 99). La voix du chanteur convoque Dominique A (Du Ciel), l’axe Diabologum-Orly (Arcane 99) ou ces groupes de rock français à chanteur à voix douce des années 90 type Elista ou Luke, mais de manière plus adulte. Le travail du guitariste Tom Rocton est remarquable tout au long de l’album, lui qui est capable de faire réapparaître comme qui rigole les Smiths de This Charming Man (Ni Pluies Ni Riens). Sur La Nuit Remue, c‘est le bassiste Fabien Pilard qui ressucite The Cure. Plus généralement, les arrangements de cuivres, de cordes, d’orgue sont d’une grande richesse, mais utilisés sans prodigalité. Ils arrivent toujours parfaitement à propos pour apporter aux compositions ce petit plus qui les rend toutes mémorables. Le producteur, l’insigne Christian Quermalet (leader de The Married Monk) n’y est pas étranger. Il a su, aussi, laisser à chaque instrument l’espace sonore nécessaire, et ne conserver que l’essentiel de la musique de ses nouveaux protégés.
C’est l’entêtant La Masse de Vide qui conclut Ni Pluies Ni Riens, avec son refrain simple mais terriblement efficace, sa rage et son piano martelé sur deux notes : Manuel Etienne a su en plus garder le meilleur pour la fin.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e 18 novembre dernier, c’était la Release Party de l’album à l’Autre Canal de Nancy. Pendant que Ludwig von 88 réanimait son punk alternativo-gaudriole dans la grande salle contigüe, Manuel et son groupe ont joué dans le Club, comme il se doit, la quasi-totalité des titres de leur dernier disque, sans complètement oublier des morceaux un peu plus anciens. Le quatuor était concentré et déterminé, mais heureux d’être là, le chanteur manifestant sa satisfaction devant le nombre de spectateurs (« Vous êtes beaucoup en fait« ). Mention spéciale au batteur barbu et torse-nu, David L’Huillier, au jeu engagé, précis et très inventif. Et en bonus, Christian Quermalet himself est venu chanter The Prisoner des Saints en premier morceau du rappel, les paroles dans une main. La soirée, à l’image du disque ainsi promu, est passée très vite.
Nous avons retrouvé le svelte Lorrain quelques jours plus tard pour un entretien tranquille, à la terrasse d’un café.
Jean-Baptiste : Peux-tu présenter ton parcours musical jusqu’ici, et le groupe qui t’accompagne, sur disque comme sur scène ?
Manuel Etienne : C’est dur, parce que j’ai fait tellement de choses ! Mais si on recentre sur Manuel Etienne, c’est un projet solo à la base, qui démarre en 2009-2010, avec une première chanson écrite en français qui s’appelle Vague à l’Âme, puis j’enregistre à droite à gauche chez des amis, avec des amis aussi, et je compile toutes mes chansons dans un premier album qui s’appelle Détails, qui est sorti en 2012, qui est complétement autoproduit et qu’on ne trouve plus car il a été tiré à très peu d’exemplaires. Il m’en reste peut-être un chez moi, je crois ! Je faisais partie à l’époque, et encore aujourd’hui, d’autres groupes comme Toxic Kiss ou Lova Mi Amor. Et puis j’ai fait quelques dates tout seul avec ce projet, et ça ne m’a pas plus plu que ça. Je m’ennuyais un peu seul sur scène, c’est pas trop ma culture. Je cherchais des gens pour m’accompagner, David à la batterie qui m’a présenté Fabien le bassiste qui m’a présenté un an plus tard Tom à la guitare et aux arrangements. On a enregistré Vaudemont, le second album, et puis Ni Pluies Ni Riens.
Avec une productivité importante : à une époque où on met beaucoup de temps entre deux disques, tu aimes enchaîner.
Oui, tous les deux ans. J’ai besoin que ça aille vite. Même quand ça va vite pour les gens, c’est pas assez rapide pour moi. J’aimerais bien en sortir un tous les ans, mais financièrement et logistiquement, c’est pas possible. Deux membres du groupe sont sur Nancy, et les deux autres sur Metz.
Comment as-tu rencontré Christian Quermalet ?
C’est une histoire marrante, même si un peu anecdotique. Je jouais à l’époque dans un petit duo avec mon meilleur ami Adrien, qui s’appelait Charly Sun, quand on était tous les deux à Paris, et on avait trouvé quatre ou cinq dates en France, notamment au Kraspek Mysik à Lyon, qui venait d’ouvrir ses portes. Il y avait ce soir-là je pense peut-être dix personnes dans le public, dont Christian. Je crois qu’il connaissait un peu le programmateur. Moi, je le connaissais pas trop, juste de nom. A la fin du concert, il est venu me voir pour me dire qu’il avait trouvé le concert super, les mélodies très belles. On a discuté de Nancy, et il m’a dit qu’il était signé sur le label Ici d’Ailleurs, que je connaissais très bien. Married Monk, je connaissais un petit peu, mais pas bien à l’époque. On s’est longtemps envoyé des mails avec des choses que je faisais et des choses un peu inédites de Married Monk, des concerts qu’on ne trouvait pas sur le net…. Et je savais qu’il produisait un peu. Il a une patte.
Qu’est-ce que tu penses qu’il a apporté à Ni Pluies Ni Riens ?
Déjà, il était présent au studio lors des prises, ce qui est super. Des fois, on fait mixer par quelqu’un qui n’est pas là aux prises. Il a pris plein de notes sur les démos, puis pendant les prises. On a discuté, il a commencé à nous orienter. Sur les démos, il y avait énormément de choses, un peu de surcharge, beaucoup d’éléments. Il a enlevé des charleys de batterie sur des intros, des choses comme ça, il a vachement aéré, même dans le son. Et puis, il a apporté sa touche un peu magique. C’est la première fois qu’on reçoit autant de mixes et qu’il y a aussi peu de demandes de modifications à faire.
Les parties de guitare de Tom apportent beaucoup, je trouve.
Il est exceptionnel. Il va justement bientôt travailler avec Christian Quermalet.
J’ai l’impression que les premiers retours sur Ni Pluies Ni Riens sont très bons, est-ce que tu attends quelque chose de ce disque en termes de visibilité ?
Oui, il y a un très bon retour, mais il nous faudrait encore un peu plus de visibilité pour qu’on puisse jouer plus en dehors de la Lorraine et de l’Alsace. Je reçois chaque jour des messages dithyrambiques sur l’album, mais on est encore tout petits. Les gens qui ont écouté le disque savent bien qu’on fait pas ça pour la reconnaissance, mais on aimerait bien que tout le monde puisse y avoir accès ! Il faut qu’on se fasse remarquer par des gens qui ont pignon sur rue, je ne sais pas. Christian est très respecté et apprécié, mais c’est quelqu’un de très discret. Il ne va pas aller avec Ni Pluies Ni Riens frapper chez les directeurs artistiques !
Cette fois, le disque est complètement en français. La langue influe-t-elle sur la façon dont la chanson évolue musicalement ?
Non. je compose tout en anglais à la base, et après, quand j’ai fait le texte, je choisis. Là, sur les premières chansons, j’avais des choses très précises à dire, notamment sur Ni Pluies Ni Riens ou En Corsaire. Je ne pouvais pas le faire en anglais, je n’avais pas assez de vocabulaire, je ne pouvais pas assez jouer sur les mots et les métaphores. Je ne voulais pas faire n’importe quoi, donc j’ai écrit toutes les premières chansons en français, et puis on a rajouté l’instrumental Béziers, et puis après j’ai pensé que c’était un peu ridicule d’en mettre deux en anglais. Mais j’aime bien faire moitié-moitié, il y aura de nouveau de l’anglais dans le prochain. Mais là, j’avais tellement de choses à dire… en français (rires).
Lors du concert, tu as dédié Béziers à ton pire ennemi. Serait-ce un prénommé Robert ?
Oui, tout à fait. J’en ai plein des pires ennemis, mais lui, il est bien placé.
Sur le disque vinyle, il y a une face Ni Pluies, et une face Ni Riens, mais je n’ai pas noté d’unité particulière de l’une et de l’autre.
Non, ce n’est pas un album concept. Ça nous amusait vu que c’était symétrique. D’ailleurs, la tracklist de l’album s’est décidée peut-être deux semaines avant d’envoyer le tout à l’usine.
On sent aussi une volonté, sur l’album, de varier les ambiances entre les morceaux, et même à l’intérieur des morceaux par des changements de rythmes et d’ambiances.
Oui, ça j’y tiens. Je n’aime pas tout ce qui est clinique et aseptisé, et j’aime bien qu’il y ait des cassures, des accidents comme il peut y avoir des accidents dans la vie. Ça rend les chansons plus vivantes.
Mon titre préféré, c’est le dernier, La Masse de Vide.
Moi aussi (rires). Je mets toujours mon morceau préféré à la fin de l’album. Ça m’oblige à aller jusqu’au bout quand je l’écoute !
En ce qui concerne tes projets, j’ai vu le net qu’il y a un titre, Not To Shine, avec Kenkrieg et Sam Ramon, à paraître le 3 janvier 2017.
En fait, c’est un vieux truc, ça date de 2012-2013. Un copain qui habite à Lyon m’avait envoyé des bandes pour que je chante dessus, et j’avais donné ça à Sam Ramon, un autre copain super doué dans le mixage avec qui j’avais monté Toxic Kiss, et il l’a fait trois ans après (rires).
Depuis le 18 novembre, vous n’avez plus qu’à vous procurez Ni Pluies Ni Riens, paru chez Les Disques de la Face Cachée et Lafolie Records.
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Crédit image bandeau : Les Inrockuptibles