Marguerite avait a priori tout pour me déplaire, appartenant à cette catégorie de films français qui n’est pas la mienne, à la fois ambitieux dans leur volonté d’imiter les biopics à l’américaine (reconstitution plantureuse, rôle à césar…) et fleurant bon la France dans sa supposée subtilité de propos.
Mais je me suis retrouvé tel Ulysse face aux sirènes à la lecture de la presse qui chante unanimement les louanges de ce film. Reste à savoir si elle chantait juste.
Marguerite était un sujet en or pour Xavier Giannoli, qui dès A l’origine puis dans Superstar questionne sans relâche le sujet de l’imposture et du rapport plus ou moins consenti au mensonge. Le monde qu’il décrit, celui d’une aristocratie qui supporte servilement les délires de la riche baronne, est d’une causticité efficace, et prend une ampleur intéressante lorsque la jeunesse s’empare du phénomène, du journaliste aux dadaïstes, avec une cruauté curieuse et insistante. Tout est supercherie, quel que soit le milieu dans lequel on s’exhibe : du faux accent de l’anarchiste aux applaudissements commandés, du respect à l’amour qu’on cache, le faste et l’audace se déploient sous les dorures du factice. Et le public en redemande.
Marguerite, un rôle taillé sur mesure pour Catherine Frot qui n’aura presque jamais cessé d’être l’originale au milieu des convenances mortifères, est la seule qui incarne la vérité, et elle se trompe. Cette tragique dynamique, ce rapport passionnel à un art, le chant lyrique, qui l’épanouit intimement sans qu’elle puisse le partager avec ses auditeurs, avait tout pour être un sujet sublime. Sur le fil, le récit tient un équilibre assez subtil entre le pathétique et le comique, et distribue une galerie assez profuse de seconds rôles qui ne déméritent pas pour donner le change à la grande fantasque ; le travail sur la photographie, superbe, ajoute à la fascination pour ce monde du paraître, qui occasionne de nombreuses références à la mise en scène par le motif récurrent de la photographie et du regard caché, sortes de compensations à une ouïe déficiente.
Mais force est de reconnaître que Giannoli n’est ni Mankiewicz, ni Wilder, et que cet opus souffre des mêmes faiblesses que ses précédents : son incapacité à limiter son propos et à le canaliser. De causticité, il n’est pas question très longtemps, et de façon à ce que l’illusion puisse se pérenniser, tout l’entourage de Marguerite devient une sorte de bande d’abord vénale, puis dans une empathie bien peu crédible, pour finir, comme dans les séries américaines, comme une petite troupe attendant avec angoisse à l’hôpital. Tout cela se noie vite dans les bons sentiments, l’amour ou son manque étant la quête ultime et éculée, accentué par une course scénaristique à la surenchère totalement dispensable. Bien trop long, le récit se perd dans des méandres permettant à Marguerite de déployer son délire en roue libre, l’émotion réelle de certaines séquences s’étiolant au profit d’une véritable circonspection.
Cette dépendance au romanesque et au pathos empêche le film de se révéler entièrement, et c’est là sa grande limite : comme son personnage, il reste prisonnier d’une image, de cette illusion de la nécessité d’une écriture emphatique pour pouvoir atteindre le plus grand nombre. Si seulement il avait su décaper tous ces artifices et modulations inutiles, il aurait su trouver pleinement sa voix.