[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]arce que pour ma première chronique littéraire, je savais déjà qu’il allait être difficile de dissocier mes souvenirs d’enfance du nouveau roman de Sigolène Vinson, Maritima, paru le 06 mars dernier aux Editions de L’Observatoire.
Première rencontre avec l’auteure, Les Jouisseurs en 2017, que j’ai dévoré en quelques jours, et l’opportunité de l’écouter parler de son œuvre à la Fête du Livre à Saint-Etienne cette même année, autour de la thématique « Laissez passer les poètes ». Je perçois alors une femme en quête de soi, cherchant une forme de thérapie pour retrouver l’acte d’écrire, et je me suis perdue dans le désert marocain happée dans une brume poétique où la beauté des mots transcende le texte.
Alors quand j’ai reçu le service de presse du nouveau livre de Sigolène Vinson, j’ai tout de suite été intrigué par le titre, Maritima, qui m’a rappelé le nom d’une radio locale de Martigues dont je suis originaire. A la lecture de la quatrième de couverture, des images me reviennent en mémoire, je connais ces lieux, j’y suis née, j’y ai passé mon enfance, ma famille vit encore là-bas, et je perçois Les flammes des torchères de l’industrie pétrochimique (qui) brûlent dans les ciels immenses aux couleurs des peintres, les ocres de la Sainte-Victoire (qui) se distinguent au lointain.
C’est la première fois que je lis un roman qui m’évoque autant de souvenirs et dès l’incipit : Aucune statue du musée Morales n’a jamais tué personne. ; je revois la côte de la Grand’Colle où se trouve ce musée, menant chez mes grands-parents, là aussi où travaillait mon père dans la sidérurgie.
Ce musée atypique, des statues gigantesques forgées dans le métal par le sculpteur Raymond Morales, dérangeantes, grotesques, sorte de bestiaire humain métallique, une Comédie humaine à ciel ouvert, métaphore des lieux, ses habitants vivant entre beauté sauvage et oppression chimique, métallique, celle des usines. Le point de départ du roman, à travers le destin de Jessica que l’on rencontre dès les premières pages, jeune femme hantée par la disparition de son compagnon Frankie, écrasé sous une statue du musée Morales, comme une ironie, mère d’un petit Sébastien de cinq ans, un téléphone portable toujours vissé entre ses mains, forme de rejet de cette trop jeune mère.
Mais autour de Jessica, c’est toute une galerie de personnages qui se révèle au fil des pages, dans un autre lieu, le calen – désignant des filets traversant le canal, qui capture au passage le muge quittant l’étang de Berre pour aller frayer en mer, on récupère les œufs des femelles, deux poches que l’on fait sécher pour faire de la poutargue, le caviar de Martigues, ma madeleine à moi… !
Là un autre monde se dessine, celui de Joseph et Émile, les deux vieux pêcheurs, le premier étant le grand-père de Jessica, le second celui d’Antoine et Dylan. Deux jeunes orphelins, qui ont perdu leurs parents dans un accident de la route, deux gamins attachants à la recherche de leurs origines, qui seront aussi au cœur d’un drame, avec la complicité de Jessica, la mort accidentelle du petit Sébastien, maquillée en crime par omission, qui changera à jamais leur façon d’être, les rapprochera dans leur recherche de vérité et de pardon.
Ce qui est frappant à la lecture de ce roman c’est la force de l’écriture de Vinson, la profondeur de ses personnages, avec leurs vécus, leurs doutes, j’ai parfois l’impression de les connaître, de les avoir croisé, ils sont vivants, entiers, sans clichés, comme dans une fresque naturaliste, reflétant un certain déterminisme social, à la manière d’un Zola ou encore Balzac. Je pense par exemple aux personnages d’Ahmed et Romain, Ahmed, petit ami de Jessica, ingénieur à l’usine, Romain tourneur de vannes, et pourtant c’est le premier qui sera atteint de leucémie, car les gaz de la pétrochimie ne choisissent pas leur victime en fonction de leur statut social.
Une fresque sociale dans laquelle personne n’échappe à son destin, où la laideur côtoie la beauté, la tristesse, la joie, où la vie malgré tout se fraye un chemin, un mélange de répulsion et d’attraction, entre l’infini de la mer et la menace quotidienne des usines.
Avec une grande humanité, Sigolène Vinson pose sa plume avec justesse et poésie sur ce petit monde enclavé entre tradition et modernité, oscillant en permanence entre le clair et l’obscur, faisant appel à de nombreuses références classiques, aux émotions, aux sensations… et pour ma part un voyage au creux de mon enfance, Port-de-Bouc, Martigues, Ponteau, la plage du Jaï, l’étang de Berre… où j’ai aussi un peu retrouvé les miens. Un grand roman assurément, un futur classique à ranger aux côtés des grands noms du genre !