Difficile de trouver un livre plus adapté pour inaugurer notre nouvelle rubrique consacrée aux livres de poche ! Parce que c’est un livre que tout le monde peut lire et à tout âge, parce qu’il réjouira les lecteurs exigeants autant que les fans de Page Turners, parce que la traduction de Bernard Hœpffner est désormais une référence et enfin parce qu’une éclairante et nouvelle préface d’Hervé Le Tellier ouvre le volume. Ce livre, ce sont Les Aventures de Tom Sawyer de Mark Twain rééditées ce mois-ci aux Éditions Tristram qui inaugurent avec ce titre leur nouvelle collection Souple Deluxe, et que nous remercions de nous avoir accordé à cette occasion une interview que vous lirez ci-dessous. Alors oui, bien sûr un livre de poche peut aussi être un très bel objet et la couverture légèrement métallisée de celui-ci place ce texte magistral en habits de fête.
« Écoute, Tom, être riche c’est pas aussi bien qu’on le dit. C’est que souci après souci, et transpiration, et transpiration, et on aimerait tout le temps être mort. »
– Mark Twain, Les Aventures de Tom Sawyer
Évidemment on ne présente plus un texte mythique mais en des temps parfois bien sombres pour la planète et ses habitants, il parait essentiel de se remémorer combien ce roman est un véritable bain de jouvence. Suivre Tom est ses comparses c’est retrouver une insouciance qui nous a quittés, c’est partir pieds nus expérimenter la chaleur de la terre et n’avoir de limite à nos rêves que celles de notre imagination. Bien plus, il se pourrait que Twain (auteur de l’inoubliable Cette maudite race humaine) ait également la capacité de revitaliser notre potentiel subversif… En effet, à l’heure où il semble tellement essentiel de travailler jusqu’à en mourir, il nous rappelle avec puissance que la paresse est une délectation et que l’on peut, dans un même corps, héberger l’instinct canaille le plus débridé et les plus belles qualités d’âme possibles.
Alors n’hésitez plus, offrez-vous une grande bouffée d’air frais, oubliez-tout et plongez-vous illico dans les délicieuses eaux du Mississipi. Vous serez surpris par l’inventivité des intrigues, étonné par la modernité d’une écriture que sublime la traduction (notamment ce narrateur tellement moderne et espiègle qui se joue du lecteur) et vous en ressortirez ébouriffé ainsi que tout simplement heureux.
Merci donc aux Éditions Tristram pour cette belle édition et laissons-les nous en dire un peu plus sur leur maison, leur ligne éditoriale et leurs projets !
Une aventure commencée à la fin des années 1980, un nom d’éditeur qui est un bel hommage à un monument de la littérature anglo-saxonne et bientôt deux cents titres au catalogue, pouvez-vous nous dire ce que sont aujourd’hui les éditions Tristram et comment caractériseriez-vous en 2023 votre projet éditorial ?
Le projet de Tristram, depuis plus de trente-cinq ans, n’a pas varié. C’est le contexte au sein duquel nous évoluons qui, lui, se transforme à vitesse grand V, et d’une façon qui n’est pas toujours favorable à la création littéraire telle que nous la concevons et voulons la défendre.
Dès l’origine, nous avons imaginé Tristram comme une maison généraliste, qui publierait indifféremment des auteurs français et étrangers, classiques ou modernes, voire appartenant aux marges de la littérature. Ces œuvres apparemment disparates coexistent dans nos vies de lecteurs, elles communiquent entre elles, s’éclairent mutuellement. Nous voulions que le catalogue de la maison reflète cela. Un seul exemple : le grand critique de rock américain, Lester Bangs (1948-1982), merveilleux styliste et moraliste à sa façon, était un lecteur de notre idole Jack Kerouac, lui-même lecteur de Laurence Sterne et de son Tristram Shandy. Cette filiation inattendue, peut-être intempestive, mais réelle, prend en écharpe la façon dont on considère habituellement l’histoire littéraire, beaucoup trop rigide, compartimentée et sérieuse à notre goût.
Vous inaugurez une nouvelle collection de poche, Souple Deluxe, par une réédition des Aventures de Tom Sawyer de Mark Twain dans la traduction de Bernard Hœpffner, avec une préface d’Hervé Le Tellier. Pourriez-vous nous expliquer le sens de cette collection Souple Deluxe, en quoi elle se distingue de votre autre collection de poche et ce qu’elle est destinée à accueillir ?
L’idée est très simple. Certains titres de notre catalogue sont plus lus que d’autres, et nous les réimprimons donc plus souvent. Jusqu’à présent, nous avions la possibilité, après leur première carrière en grand format, de les rééditer au format économique de la collection Souple. Cela avait été le cas, il y a une dizaine d’années, pour Tom Sawyer et Huckleberry Finn. Depuis, ces extraordinaires traductions par Bernard Hœpffner ont acquis le statut de traductions de référence, conseillées par les libraires, les bibliothécaires, et mêmes reprises sous forme d’extraits dans les manuels scolaires ! Il est vrai qu’elles ont tout changé à la perception de Twain par les lecteurs français. Comme l’écrit Hervé Le Tellier dans sa préface : « Pour accéder à la puissance de Mark Twain, il fallait oser le traduire en faisant autant violence à la langue française que Twain faisait violence à la langue anglaise. C’est, depuis presque quinze ans, grâce à Bernard Hœpffner, chose faite. » L’ajout de cette remarquable préface — qui est autant une préface au roman de Twain, qu’à sa traduction par Hœpffner — est un exemple des enrichissements que nous pourrons apporter aux œuvres dans cette collection Souple Deluxe, au-delà de leurs nouvelles couvertures, du beau papier et d’une fabrication plus luxueuse. Les prochains titres, en mai prochain, seront : De la Boxe de Joyce Carol Oates, La Mer de Corail de Patti Smith, Sauvagerie de J.G. Ballard. Et à l’automne, Huckleberry Finn rejoindra son camarade Tom Sawyer au générique de la collection. À côté de ces titres phares, Souple Deluxe pourra également accueillir, parfois, des inédits. Tout cela en nous efforçant de maintenir des prix de vente raisonnables : de 9,90 à 14,90 euros pour les premiers livres.
Les nouvelles traductions sont nombreuses chez Tristram et vous avez publié en 2022 une très remarquée traduction des Grandes Espérances de Charles Dickens par Jean-Jacques Greif, dont Addict-culture a rendu compte avec enthousiasme. D’où vous viennent cette envie et cette exigence de retraduire des textes mythiques et comment articule-t-on chez Tristram tradition et modernité ?
Ces nouvelles traductions de grands textes ne sont pas si nombreuses que cela chez Tristram, mais toutes, c’est vrai, ont marqué les esprits.
Il y a trente ans, une telle démarche était encore rare. La plupart des éditeurs se contentaient de «toiletter » les traductions existantes. C’est sans doute pourquoi notre Tristram Shandy, retraduit en 1998 par Guy Jouvet, a autant fait événement. Par la suite, pour Tom Sawyer et Huckleberry Finn, plus récemment pour L’Île au trésor et De Grandes Espérances, nous avons toujours été guidés par les mêmes critères : est-ce qu’une nouvelle traduction s’impose ? à quelles caractéristiques devra-t-elle répondre ? qui sera capable de s’en charger ? N’oublions jamais que lorsque nous publions une nouvelle traduction d’un classique vieux de cent ou deux cents ans, c’est en réalité un texte français contemporain que nous publions, à travers lequel renaît l’original. Cet apparent paradoxe renforce notre conviction qu’il n’y a pas vraiment de chronologie en matière d’art. Un personnage, dans le film que Michael Winterbottom a adapté de Tristram Shandy, faisait cette remarque : « Tristram Shandy ? Un roman post-moderne, à une époque où la modernité n’avait même pas encore été inventée ! »
Votre question nous donne l’occasion de noter que la retraduction est devenue un créneau éditorial, au risque là aussi de la surproduction.
L’exemple de Mark Twain est édifiant. Avant notre travail avec Bernard Hœpffner, en 2008, Twain était quantité négligeable en France. Il semblerait que cela ait donné des idées à nos confrères ! Depuis, il y a eu une Pléiade Twain (retraduction par Philippe Jaworski) et Gallmeister annonce sa propre retraduction (par Jacques Mailhos)… Sans doute est-il plus aisé de retraduire Twain, maintenant que Hœpffner a montré la voie.
Chez Addict-culture nous sommes de gros lecteurs et les gros lecteurs adorent savoir non seulement ce qu’ils peuvent déjà lire mais aussi ce qu’ils pourront bientôt lire, alors chez Tristram quels sont les prochains bonheurs de lecture en préparation ?
Le grand projet sur lequel nous travaillons en ce moment est le prochain roman de Nina Allan, Conquest, traduit comme les précédents par Bernard Sigaud. Il paraîtra en août, pour la rentrée littéraire. Cette romancière britannique, qui se joue des genres littéraires, nous surprend et nous enchante à chaque nouveau livre. La Fracture, qui l’a fait connaître il y a quelques années d’un public plus vaste, est d’ailleurs en cours d’adaptation, par un réalisateur français, pour une série.
Les Aventures de Tom Sawyer de Mark Twain
Traduit par Bernard Hœpffner
Souple Deluxe Tristram , mars 2023