[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n une petite quinzaine d’années, le duo Scratch Massive aura imprimé une marque singulière sur la musique électronique française, entrant en cohérence avec les modes successives tout en restant suffisamment à leur marge pour garantir la pérennité de sa pertinence essentielle. Des fulgurances techno-rock du bouillant Enemy And Lovers à la new wave enjôleuse et cinématique de l’hypnotique Nuit De Rêve, en passant par les saveurs opiacées de Time, qui croisait la noirceur de l’électro-clash avec la torpeur de la techno minimale la plus obsédante, Sébastien Chenut et Maud Geffray auront, aussi discrètement que sûrement, donné des lettres de noblesse à leur approche fusionnelle, distillant les plus beaux vestiges de l’esprit initial des rave parties dans leur musique aussi accrocheuse et efficace qu’accidentée et intrigante.
Mais depuis quelques temps maintenant, les travaux communs de cette paire magique s’espacent dans le temps, et chacun des deux acolytes, en ordre dispersé, nous propose désormais sa vision musicale propre. Toute la spécificité fringante de la techno volatile de Scratch Massive provenant de leur alliage souterrain, conjuguant la mélancolie contagieuse de mélodies évidentes à la rugosité sombre de rythmiques enivrantes, la perspective de suivre les aventures en solo de chacun des membres du duo avait de quoi laisser craindre une baisse globale de l’intérêt de leurs régimes respectifs.
Davantage qu’une dispersion qualitative ou un cruel partage des talents, c’est plutôt un malin pas de côté qu’esquissera Maud Geffray en dégainant la première, début 2015, un lancinant morceau de dix minutes : le puissant et léthargique 1994, bande-son d’un fascinant court-métrage, collage d’images d’archives d’une rave donnée en Bretagne vingt ans auparavant, sonne comme un glaçant monument aux morts, hommage au communautarisme salvateur d’une époque révolue, qui ignorait encore tout des réseaux sociaux à venir. Dans la foulée d’un second maxi sec comme un coup de trique, le plus classique Bleu Pétrole, Maud Geffray s’attellera à la confection de son premier véritable album, dont la gestation durera plus d’un an. Au vu du résultat, l’attente en valait la peine : avec ses onze titres (plus une version alternative) aux teintes bariolées et aux humeurs polychromes, Polaar nous plonge dans un kaléidoscopique voyage des sens.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]u langoureux morceau-titre, ouverture idéale en forme d’invitation au rêve d’un temps suspendu, à la déflagration du rêche High Side, planqué en fin de parcours comme une ultime épreuve expiatoire, en passant par l’entraînante complainte Goodbye Yesterday ou les cimes du merveilleux Forever Blind, tout en variations synthétiques épurées, le disque dévoile l’affirmation franche et décomplexée d’une personnalité devenue autonome, par la force des événements comme de son intime conviction. Qu’on se le dise : si Maud Geffray a depuis longtemps trouvé l’évidence de sa voiE, elle découvre ici le pouvoir inédit de sa voiX, ouvrant tout un nouveau champ de possibles émotionnels par son chant à la fois fragile, attachant et pénétrant, qui culmine en beauté vertigineuse sur l’incroyable In Your Eyes, saisissante bombinette pop exécutée en duo avec le décidément incontournable Flavien Berger, l’un de ses camarades de jeu au sein du label Pan European Recording. Même si l’on attend avec impatience le quatrième album de Scratch Massive, qui devrait être achevé cet été à Los Angeles, force est de reconnaître que la jeune femme nous offre ici bien plus qu’une parenthèse enchantée : Polaar est une véritable oeuvre à part entière, pensée et généreuse, aux orchestrations subtiles et envoûtantes, qui laisse sourdre une chaleur incandescente à travers la glace de sa puissance formelle.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C'[/mks_dropcap]est par une pluvieuse après-midi parisienne que j’ai eu l’opportunité de rencontrer cette artiste complète, toute aussi attachée à l’extension visuelle de son travail qu’à sa stricte dimension sonore, et qui, après des années passées à travailler au corps une précieuse alchimie avec son alter ego musical, a trouvé un autre partenaire avec qui nouer un dialogue fructueux et vivifiant : elle-même.
L’inspiration de Polaar, votre premier véritable album solo après deux maxis publiés en 2015 et 2016, s’inscrit dans le prolongement d’un film musical nommé Kaamos, que vous avez coproduit avec le vidéaste Jamie Harley. Pouvez-vous nous en expliquer le concept ?
Maud Geffray – La genèse de ce projet s’est enclenchée avec la proposition qui m’a été faite par les responsables du Musée du Louvre, à l’occasion des Journées Internationales du Film sur l’Art en janvier (2016, ndlr). Je crois qu’ils avaient été intéressés par la démarche de 1994, notamment le montage effectué sur des images d’époque, et m’ont invitée à réaliser une création à partir de leurs archives. J’avais carte blanche pour prendre ce que je voulais, comme par exemple des films d’artistes ou des images de fouilles archéologiques prises au début du XXème siècle, mais je ne trouvais pas ça légitime par rapport à mon travail, je ne voyais pas bien ce que je pouvais y amener. Je leur ai alors proposé de faire une création totalement originale, y compris sur le plan visuel. Malgré des problèmes de budget au départ, on a vite réussi à tout mettre en place avec Jamie Harley, qui avait déjà réalisé des vidéos pour certains artistes du label Pan European Recording (comme Koudlam ou Flavien Berger, ndlr). C’est un type brillant que j’aime beaucoup, et je lui ai donc demandé de plancher avec moi sur l’idée. On avait envie de travailler autour du monde adolescent, et de faire un voyage par la même occasion (rires). Jamie a fait des recherches de son côté et a trouvé cette ville très au Nord, en Laponie, et où il fait nuit vingt-deux heures sur vingt-quatre en hiver. On s’est ensuite mis dans cette situation de huis-clos pour essayer d’imaginer comment les gens pouvaient vivre ainsi, dans une petite ville où il n’y a pas forcément beaucoup d’occupations possibles, avec cette particularité d’être dans le noir quasiment toute la journée. Le point de départ a donc été la création musicale autour de cet environnement-là, à travers notre propre expérience de ce phénomène.
Comment vous est venue l’idée d’en faire un album à part entière ?
MG – J’avais composé énormément de thèmes, car la musique était quasi-omniprésente sur les quarante minutes de la durée du film. Arthur Peschaud (boss du label Pan European Recording, ndlr) m’a fait part de son souhait de sortir ces morceaux tels quels, en tant que bande originale, et je lui ai répondu que j’aurais bien aimé en faire quelque chose de plus pop, de plus structuré et cadré. J’ai donc composé de nouveaux titres dans cette optique, et à l’arrivée, il ne reste sur le disque que quatre des thèmes originaux de Kaamos, que j’ai complètement retravaillés. Comme le duo avec Flavien Berger, par exemple, qui était à l’origine un instrumental sur lequel je lui ai demandé de chanter, avant de le restructurer à partir de ce qu’il avait fait. Sur les onze morceaux que compte l’album, sept sont totalement inédits et ne figuraient donc pas dans Kaamos.
Qu’est-ce que vous a décidée à produire de la musique sous votre nom seul ?
MG – C’est le départ de Séb (Chenut, son partenaire au sein de Scratch Massive, ndlr) pour Los Angeles, il y a trois ans maintenant, qui a déclenché ça. Je me suis demandé comment j’allais pouvoir rebondir sur cet éloignement géographique, même s’il ne s’agissait pas d’une séparation effective de Scratch Massive, à proprement parler. Comme un sursaut presque obligatoire, ça m’a poussé à le faire et c’est très bien comme ça : je trouve ça finalement très équilibrant de pouvoir faire des choses un peu plus personnelles de mon côté, tout en continuant Scratch Massive dans le même temps, parallèlement.
vous ne citez pas les crédits photos…
Bonjour Nathalie,
Merci pour votre remarque très judicieuse. Les crédits photo ont été ajoutés en fin d’article, je vous prie de m’excuser pour la gêne occasionnée. Très cordialement, FG.