[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]À[/mks_dropcap] la fin des années 70, le Watergate est passé par là, le Vietnam n’en finit plus de dévorer la jeunesse, les hippies sont légion, le Fils de Sam et Charles Manson préfigurent la monstruosité autant pour la population que pour les policiers… l’heure est à la remise en question, les forces de police étant de plus en plus débordées par la démultiplication des meurtres violents qui restent sans réponse.
Des fous, des monstres, et une kyrielle de pourquoi qui laissent tant de zones d’ombre frustrer les plus engagés des enquêteurs.
Dans un FBI perclus de manies administratives, un jeune agent essaye de comprendre, de pousser les lignes, de tordre ses propres idées reçues. Holden Ford (Jonathan Groff) est soucieux de précision, à la fois coincé et avide d’ouverture, fougueux et pourtant tout en retenue.
Compris par Bill Tench (Holt McCallany), un agent plus aguerri en sciences comportementales au sein du même FBI, il est intégré à l’équipe itinérante de formation des techniques du « Bureau » aux services de police. Ce duo s’anime sur les affaires qu’ils rencontrent tout au long de leur quotidien de commis voyageurs policiers… Des affaires compliquées que les autorités locales ont du mal à comprendre, dont les tentatives de réponses ne sont pas toujours évidentes à accepter.
Ce qu’ils réussissent à mettre péniblement en route, contre l’avis de leurs supérieurs, est ce qui deviendra la base de travail de n’importe quel profiler aujourd’hui. Une méthode, une terminologie (comme la naissance du terme de « tueur en série ») qui permet l’étude psychologique des meurtres et des meurtriers, pour trouver leur logique d’exécution, les raisons qui les ont poussé à agir, et qu’est-ce qui peut aider à les découvrir avant le passage à l’acte.
En gardant évidemment cette question en tête : naît-on mauvais ou le devient-on ?
Holden décide alors d’entrer en contact avec ceux qui ont été incarcérés, pour mener des entretiens explicatifs éclairant leurs motivations. Chose inenvisageable à cette époque. Un homme en prison était considéré comme une affaire classée, plus personne ne se souciant du pourquoi ni du comment.
En réussissant à approcher Ed Kemper (Cameron Britton) en prison, un homme condamné pour dix meurtres dont celui de sa mère, ils prennent conscience de l’importance et de la richesse de ces échanges avec ceux qui jouent dans les ténèbres.
Le psychopathe volubile, peu avare en description d’actes sordides et sans le moindre remords, est le point de départ de l’œuvre de ces deux agents qui ont existé en réalité.
Robert Ressler et John Douglas ont rassemblé 36 entretiens avec des criminels sexuels et tueurs en série, en deux ouvrages qui sont devenus des références pour les profilers du monde entier.
Mindhunter s’est largement inspiré de leur parcours. Cette aventure de défricheurs, ces frôlements dangereux avec les esprits les plus retors et perdus est l’adaptation de « Mindhunter, Dans la tête d’un profileur« , un des livres de John Douglas.
Assurant une production exécutive et la réalisation des deux premiers et deux derniers épisodes, la signature de David Fincher a eu l’effet escompté.
La série brille par son intégrité.
Par la volonté de David Fincher et Joe Penhall (à l’adaptation) de ne pas se contenter de la réalité de l’horreur, mais aussi de faire face aux lacunes liées à cette époque transitionnelle, aborder la vérité de ces hommes qui ont osé se confronter à l’inertie, aux superstitions, à la peur seule, tout en tendant une oreille humaine à ceux qui risquent pourtant de réveiller un écho dans la part d’ombre que chacun porte en lui.
Ici, beaucoup de dialogues, beaucoup de narration dans la narration, beaucoup de recherche à voix haute et d’explications, mais pas de bavardage. Évidemment, peu de place est laissée à l’interprétation, tout est délivré par la parole stricto sensu, ou en filigrane. L’espace le moins sujet à explication, est celui du personnage que l’on suit sans en avoir l’air, tout au long des épisodes, petit à petit, pendant sa phase de préparation du pire.
Quand la série épate par la qualité de sa photo (comme toujours chez Fincher), elle impressionne par son surprenant casting. Le choix de ces deux compères est une trouvaille. Jonathan Groff (Glee) sort particulièrement de son registre de beau gosse qui gigote en chantant dans des comédies musicales… un contre-emploi absolu dans le rôle de cet agent acharné.
Son partenaire, Holt McCallany, est lui aussi très bien dirigé, et réussit enfin à sortir de son carcan de brute massive. Ici, il distille une palette toute en sensibilité d’un homme opiniâtre, marqué, frustré dans son rôle de père, et en permanence tiraillé entre l’envie de faire plus et celle de stagner dans un confort reconnu.
La véritable révélation de cette distribution est l’inconnu qui incarne le terrible Edmund Kemper, Cameron Britton. Non seulement il en a la carrure réelle, mais son interprétation est grandiose. La composition qu’il propose (phrasé, déplacement, gestuelle) entre dans nos tripes et restera longtemps dans les mémoires, à la façon d’un Hopkins et son Hannibal Lecter.
Malgré la réalisation de seulement quatre épisodes sur dix, la patte de David Fincher est indéniable. Voilà une série qui risque de faire date, et dont la saison deux est d’ores et déjà très impatiemment attendue.
Mindhunter de Joe Penhall
depuis le 13 octobre sur Netflix
https://youtu.be/y2Qb8l7NoQ4