[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#127a8e »]P[/mks_dropcap]réparez-vous à voyager vers un ailleurs temporel et géographique. Préparez-vous à découvrir un pays et des personnages volcaniques. Préparez-vous à succomber au nouveau roman de Auđur Ava Ólafsdóttir.
Elle c’est Hekla. Une jeune femme au prénom de volcan. Une jeune femme silencieuse dont la vie n’a de sens que lorsqu’elle écrit. Elle quitte la ferme familiale et son père passionné par sa terre pour s’installer à Reykjavík et écrire, écrire et être publiée dans un monde dominé par l’homme. Mais le mieux qu’on lui propose, voyant sa beauté, c’est de se présenter pour le concours de Miss Islande.
Lui, c’est Jón John, son meilleur ami, son premier amant. Si fragile. Jón John bercé par le mal-être d’être « différent ». Stigmatisé. Résigné à la solitude. Victime de cette « injustice » : être gay.
Elle, c’est Ísey, l’amie de toujours. Celle qui ne parvient pas à s’«accorder aux saisons». Si mélancolique et bouleversante. Enfermée dans un rôle de mère choisie autant que subie. Elle qui aimerait écrire, qui « gribouille » dans le dos de son mari et rêve souvent. Des rêves qu’elle décortique, analyse. Des rêves comme des prémonitions.
Eau, vent et lave, voici qui sont ces trois personnages. Celle qui se noie, celui qui s’envole dans d’autres schémas que ceux dictés par la société. Et celle, qui comme les volcans, entre en éruption sous les coups de sa machine à écrire et un temps sous les doigts de Starkadur, un poète qui se cherche et vit mal le talent de sa bien-aimée. Dans cette société des années 60, chacun tente de s’affranchir, d’une jeunesse, des mœurs d’une terre encore très isolée, du sexisme ambiant. Tous trois trop modernes pour une époque trop étriquée. Que deviendront-ils ? Quels choix fera Hekla ?
Une nuit, je me relève pour écrire.
Je m’assieds. Dans le lit, un corps chaud se tourne vers le mur en se pelotonnant dans la couette. Sa respiration est profonde et régulière. Le chat dort dans le renfoncement sous la lucarne. Le réveil indique cinq heure du matin, mon père est en route vers la bergerie pour nourrir les moutons.
La vitre s’est embuée pendant la nuit, le cadre est couvert d’une pellicule blanche. J’enfile le chandail du dormeur, je vais à la cuisine chercher un torchon pour éponger. Le givre fondu coule sur la vitre, je le suis du bout de l’index. En dehors des cris des mouettes, il règne sur Skólavördustígur un silence digne des hautes terres.
J’attrape la machine à écrire sous le lit, j’ouvre la porte de la cuisine, je pose la machine sur la table et je place une feuille sur le cylindre.
C’est moi qui ai la baguette de chef d’orchestre.
J’ai le pouvoir d’allumer une étoile sur le noir de la voûte céleste.
Et celui de l’éteindre.
Derrière son apparente simplicité, Miss Islande se mue en roman d’émancipation à travers des êtres qui souhaitent se sentir et devenir libres dans une époque encore conservatrice. Il devient un roman de combat. Pour la liberté, d’être, de créer, d’écrire en tant que femme. D’écrire tout court. L’écriture et la poésie sont d’ailleurs au centre de tout dans ce roman. Elles nous enveloppent, nous transportent sur cette terre aride, froide et volcanique.
Dans ces jeux d’amour, de désirs et parfois de persécutions, il y souffle un vent de résistance. Contre la société patriarcale, contre l’homophobie et le sexisme. Miss Islande est la photographie d’une époque que l’on compare inévitablement à la nôtre, et ce même si les choses ont évolué.
Incontestablement, on retrouve dans Miss Islande la beauté et la délicatesse des romans nordiques dont les détails et la pudeur nous envoûtent. Un roman dans lequel les paysages sont aussi importants que les personnages. Où l’on ressent les moindres variations météorologiques et la puissance de l’amour pour une terre aussi lumineuse que brumeuse. Un roman où l’atmosphère mélancolique, dans laquelle nous avons au premier abord la sensation qu’il ne se passe rien, nous amène à prendre conscience que tout est intérieur. Plus en profondeur. Toutes ces sensations que l’on retrouve peu ailleurs que dans cette littérature-là. Des sensations de flottement, bercé par des mots simples mais qui résonnent en nous. Des sensations du cœur. D’un cœur qui par la langue délicate et poétique d’Auđur Ava Ólafsdóttir entre en éruption.