[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#381982″]M[/mks_dropcap]onter un Molière en 2016 fait-il encore sens ? Quel intérêt d’une énième production sur un auteur dont on nous rebat les oreilles depuis la tendre enfance ? Cette pièce trouve-t-elle encore un écho dans nos sociétés modernes ? Toutes ces questions, je me les suis posées avant d’assister à une représentation de ce Médecin malgré lui. Et puis comme il y a pire dans la vie, j’évacuai bien vite ces interrogations de bobo parisien gavé de culture et me rendis le cœur en joie sur le chemin de ma jeunesse, me souvenant du plaisir que m’avait procuré Les fourberies de Scapin, tout premier spectacle vivant qu’il me fut donné de voir.
Bien m’en a pris tant les grands auteurs – on le répète à raison – restent intemporels. Certes, bien des productions, trop précautionneuses et craignant d’égratigner le texte ou la sensibilité du public, maintiennent les classiques dans leur jus, le décor couvert d’une poussière irritante. Molière ne se résume de toute façon pas à un verbe ampoulé, scandé par des barons poudrés, une patate chaude enfoncée dans le gosier. Ici cette pièce souvent méprisée parce que moins politique que d’autres œuvres du maître (nous verrons pourquoi un peu plus loin), fait rire grâce à l’énergie et la truculence insufflées par la Compagnie Kapo Komica. Plutôt qu’une critique qui pourrait bien s’avérer ampoulée à son tour, Vents d’Orage part à la rencontre du metteur en scène pour tenter de comprendre quelle recette se cache derrière le carton de cette production qui n’a pas fini d’enchanter le public averti des salles les plus exigeantes comme celui plus néophyte -mais plus ouvert et spontané dans sa réception- des théâtres municipaux de nos belles régions. Frais, pêchu, un rien burlesque, un rien grivois… j’arrête là puisque Mikael Fasulo nous parle du plaisir qu’il prend à mettre en scène des textes qui suscitent le plaisir.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#381982″]V[/mks_dropcap]ents d’Orage : Pourquoi ce choix pour un jeune metteur en scène ?
Mikael Fasulo : Très honnêtement, deux raisons à cela. La première est économique car pour une jeune compagnie, la prise de risque est moindre. D’autant que nous ne cachons pas notre envie de partager notre travail avec un public populaire et familial. La seconde découle de la première car lorsqu’on s’adresse à des théâtres municipaux ou à des salles peu spécialisées, Molière constitue aujourd’hui encore une valeur sûre, un sésame. Un auteur qui rassure et attire toujours et encore un large public. En outre je porte un amour sans borne pour le répertoire classique, surtout quand il porte en lui une dimension sociale comme c’est le cas chez Molière.
Cette pièce est pourtant moins engagée et peut-être un peu moins souvent montée que d’autres pièces de Molière. Même si le poids de l’image et de la caste restent présents chez le personnage central.
S’il est vrai que « Le médecin malgré lui » fut écrit après l’échec du « Misanthrope », donc pour permettre à Molière de gagner de l’argent par le biais d’une farce accessible à un large public, dans une logique de remplir sa salle, le personnage de Sganarelle reste une victime qui se heurte au plafond de verre. Il ne vient pas du bon milieu et ne porte pas l’habit adéquat pour devenir médecin. Cela motive mon choix de traiter le sujet de manière décalée, sur le ton d’une farce qui se moque de l’habit qui fait trop souvent le moine. Molière reste moderne en ce sens que la question de l’injustice sociale, de l’image reste criante d’actualité. Un auteur génial de par sa capacité à écrire des comédies intelligentes et populaires au sens le plus noble du terme.
L’énergie des comédiens contribuent beaucoup à la réussite du projet. On devine une influence Commedia Dell’Arte…
Je viens de là, même si je m’en éloigne. L’influence se fait par petites touches. Les comédiens ne portent pas de masques mais nous recourons à certains codes de la Commedia. D’autres choses sont venues nourrir le spectacle.
Oui, du burlesque par exemple. On pense aux Monty Python, aux Robins des Bois…
Je suis un metteur en scène plutôt instinctif et mes inspirations restent assez inconscientes. Ceux que tu cites mais aussi la comédie américaine à la Jerry Lewis, le Café-Théâtre.
Tout en laissant un certaine liberté de champ aux comédiens mais dans un grand respect du jeu.
Quelques anachronismes mais nous n’avons pas touché au texte sauf une scène que nous avons ôtée. Le mélange des genres allant jusqu’à de l’improvisation, certes contrôlée, laisse croire aux spectateurs qu’il s’agit d’une adaptation alors que nous sommes bien sur le texte original.
On sent chez eux une capacité de proposer des choses et un grand engagement y compris physiquement…
Effectivement, j’ai cette chance. La troupe se montre très impliquée, soudée avec pourtant des comédiens issus d’univers très différents. Même le Boulevard est représenté avec Sébastien qui s’est parfois vu refuser des rôles à cause de cette étiquette. C’est mépriser l’exigence et la rigueur que requiert la comédie.
Pour finir, un mot sur ce personnage de la toute première scène que l’on voit éjecté au milieu de la pièce ; une symbolique ?
Je voulais que Molière lui-même apparaisse. Il frappe les coups d’ouverture mais se fait bientôt moquer, refouler. Mais en fin de compte, les spectateurs ont pris un vrai plaisir et en cela il se trouve réhabilité, modestement par l’entremise de notre travail, lui qui n’avait d’autre objectif que ce donner du plaisir, précisément. La boucle est bouclée et je suis sûr que notre production continuera à vivre sur les 3 à 5 ans qui viennent.
Le médecin malgré lui
Pour punir son mari Sganarelle des coups qu’il lui porte, Martine le fait promouvoir médecin au chevet de Lucinde, jeune fille aux amours contrariées par son père Géronte. Propulsé dans le costume d’un médecin qu’il n’est pas, ce Sganarelle excellera dans son art contre toute attente…
Molière avait fait sienne la devise “castigat ridendo mores” (“en riant elle châtie les mœurs”) qui ornait les tréteaux italiens à propos de la comédie au XVIIème siècle. Elle se niche, chez Kapo Komica, dans une forme émancipée de la commedia dell’arte où la sincérité et la vérité des cœurs chevauchent la ligne de faille entre le drame éruptif et le rire explosif.
Auteur : Molière
Mise en scène et scénographie : Mikael Fasulo
Avec : Yannick Laubin, Isabelle Loisy, Jérôme Paquatte, Laurent Jacques, Jean-Marc Lallement, Eugénie Ravon, Sébastien Pérez
Calendrier des représentations :
– 30 septembre 2016 » Théâtre de la Garenne »-La-Garenne-Colombes (92)
– 22 novembre 2016 à 10h puis à 14h » Théâtre de Saint-Maur »-Saint-Maur-des-Fossés (94)
– 25 et 26 novembre 2016 » Théâtre municipal de l’Ile d’Yeu »-Ile d’Yeu (85)
– 17 janvier 2017 »Le rollmops théâtre »-Boulogne-sur-mer (62)
– 29 et 30 mars 2017 » Centre culturel Jean Vilar »-Marly-le-Roi (78)
– 8 octobre 2017 » Théâtre le trait d’union » (dates non-définies)-Neufchâteau (88)
et bien d’autres dates à venir !