[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#39a2bf »]D[/mks_dropcap]epuis 2011, le québécois mais définitivement français d’adoption, Peter Roy alias Peter Peter égrène au fil de ses albums une palette de variations sur le thème de la solitude.
Noir Éden prolonge magnifiquement la thématique dans une perspective oscillant cette fois entre onirisme et délire, alors que musicalement l’album termine le virage électronique et pop opéré dans son précédent effort, Une Version Améliorée De La Tristesse.
À l’acmé du deuxième album, le titre MDMA balance ces quelques mots aussi percutants que glacials.
Sur les trottoirs où la ville est à genoux
Au fond de nos regards, notre nom est personne
Regarde-moi, tu ne verras personne.
Personne
Venu volontairement se perdre, s’isoler, n’être Personne à Paris pour écrire son troisième album, l’exilé québécois ne pensait pas être confronté, peu de temps après son arrivée, à des événements qui marqueraient profondément la France, le monde et donc, nécessairement, son écriture.
Pas plus qu’il n’imaginait d’ailleurs devenir producteur, ou finir par enregistrer seul dans son appartement certaines pistes. Une expérience qui l’a transformé donc, apportant la maturité, comme ils disent, tant attendue dans un troisième LP.
Sur la pochette de Noir Éden, Peter pose avec son chat sur le dos. Le regard fixant l’objectif comme s’il se regardait dans un miroir. Une pochette résumant ces mois passés seul en compagnie de son chat, dans les 35m² parisiens qu’il a fini par trouver après des semaines d’errance, accueilli en SDF chez divers(e)s ami(e)s.
Une image, seule, sans mot, sans titre, sans nom d’artiste. Crue mais pudique.
Une pochette à l’image des paroles de Peter Peter, intimistes, dévoilant toujours un peu plus de nos sentiments, de nos doutes, de nos espoirs, mais avec délicatesse et distance.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#39a2bf »]A[/mks_dropcap]lors que les premiers beats de Bien Réel entament l’album, la voix suspendue et légèrement empruntée de Peter nous embarque directement dans un monde contrastant avec le titre affiché.
Ses images oniriques nous plongent dans un monde où tout devient possible, tous les désirs et tous les délires. Un monde où l’on rêve de s’enfuir et de se laisser enfermer.
Mais lorsqu’il devient clair que l’auteur décrit son appartement et la chambre où il s’est enfermé volontairement pour écrire ses nouvelles chansons, l’angoisse n’est pas de mise, au contraire. Ce qui devient bien réel, c’est que l’ouverture qu’il pressent est à trouver en lui, entre sa musique et le silence.
La musique, elle, s’élève progressivement pendant tout le titre, pour partir, lorsque le chant disparaît, dans une spirale électronique invitant au lâcher prise, à la danse. Ouvrir un album sur un titre de 6 minutes 40 secondes, clairement électronique et dansant, alors que le reste de l’album ne l’est pas, en tout cas pas aussi radicalement, c’est osé et culotté.
Pourtant c’est une introduction parfaite pour illustrer le contraste entre les paroles souvent sombres, soutenues par une voix toujours tintée d’une certaine mélancolie, et l’ambiance musicale du disque qui oscille entre variété, mâtinée à la sauce 80’s, et pop électronique.
Et l’album se poursuit, n’alignant que des titres sans faute, pour ne pas dire parfaits, jusqu’à la dernière seconde.
Je ne m’attarderai que sur quelques-uns d’entre eux.
Nosferatu et ses sirènes/fantômes de la nuit, attirant les vampires assoiffés d’amour et de chair que nous sommes tous. Peter semble porter un regard aussi tendre que caustique sur ces relations éphémères et finalement solitaires proposées par les applications de rencontre.
Fantôme de la nuit, mon cœur ne bat plus mais je vis
J’ai soif d’amour quand tombe la nuit
Comme je vous le disais, Peter Roy, fraîchement arrivé à Paris, a été confronté, comme nous tous, aux événements qui ont frappé Paris en janvier 2015. C’est à travers les yeux de son chat, Venus, qu’il choisit d’évoquer notre incrédulité face aux atrocités vues, entendues et lues. Pourtant le flegme du chat qui reste impassible derrière sa fenêtre, observant le chaos du monde, offre une leçon de sagesse.
Dis-moi comment tu fais, tu ne sembles pas t’en faire
Tu t’endors doucement quand la vérité ment
Noir Éden, qui donne son titre à l’album, est un hymne à la solitude de l’artiste dans le processus créatif, en proie aux doutes et au désespoir. Mais tout est décrit avec suffisamment de délicatesse et de distance pour que chacun puisse y projeter ses propres tourments, son propre isolement. Je ne sais pas pour vous, mais moi ces quelques mots me parlent.
C’est un film noir oui j’en suis sûr
J’espère au moins que quelqu’un regarde et connaît la fin
J’ai des questions, des milliers de questions, une de plus à chaque seconde
Allégresse commence par une voix de femme enregistrée dans le métro parisien. Elle annonce le retour du Christ et de ses enfants. La vision crypto-apocalyptique du titre est à l’image de son intro, inquiétante, brutale et désespérée.
No Man’s Land clôt le cycle des titres mélancoliques de l’album, les claviers dissonants et la voix du chanteur qui semblent sombrer dans l’abîme en font l’un des titres les plus addictifs de Noir Éden.
Orchidée et Pâle Cristal Bleu ferment somptueusement le disque dans une vision poétique et presque hallucinée de l’amour, entre défonce et fuite/refuge dans l’imaginaire.
Je sens s’illuminer en moi le pâle cristal bleu
Vas-y scintille comme autrefois toi mon joyau céleste
Non s’il te plaît ne t’éteins pas, reste encore un peu
Fracasse-moi fatalement de tes rayons
Embrase-moi éternellement de tes rayons
Pâle Cristal Bleu se termine dans la répétition d’un son mystérieux et envoûtant, invitant à poursuivre l’errance dans la solitude de la nuit.
Noir Éden a été composé en grande partie sur l’instrument fétiche de l’artiste, un mini-synthé, l’OP-1 de Teenage Engineering. Certains enregistrements effectués avec cet instrument se sont d’ailleurs retrouvés tels quels sur le disque.
Peter Roy auteur, compositeur, interprète et producteur, force l’admiration avec sa simplicité et son audace.
Se décrivant lui-même comme un auteur de variété maudite, il crée avec cet album un renouveau dans la variété française.
Je le vois en héritier de Christophe pour les paroles, la voix si particulière et les instrumentations. Je le vois également en digne épigone de Michel Berger pour l’importance de la mélodie. Peter se paye d’ailleurs avec le titre de ce troisième opus un joli clin d’œil au Paradis Blanc de Berger, une chanson qu’il avoue avoir découvert tardivement et adorer au point de la reprendre parfois en concert.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#39a2bf »]T[/mks_dropcap]otalement adopté par la France, Peter Peter possède un charme indéniable. Pour le moment installé à Paris, il poursuit sa tournée en France jusqu’à l’été, après un court passage dans son pays natal.
Il est lumineux en concert, avec, en prime, une très belle surprise : sa voix.
Une voix ferme mais douce, aiguë et profonde, légère et virile à la fois. Accueillante comme un nuage de coton, elle berce autant qu’elle transperce. Une voix si particulière qu’on la croirait très travaillée en studio. Mais il n’en est rien, elle sonne et résonne sur scène aussi limpide et ensorcelante que sur piste. Épatant.
La présentation de l’album en live au Café de la Danse le 28 Février m’a rendu encore plus dépendant à Noir Éden.
Un album dont il me semble que je ne finirai jamais d’explorer les contours ouatés, acidulés, risqués, délirants, hallucinés, rêvés, fantasmés, naïfs, torturés, angoissés, éthérés, romantiques, ouatés, acidulés, risqués, délirants, hallucinés, rêvés, fantasmés, naïfs, torturés, angoissés, éthérés, romantiques, ouatés, acidulés, risqués, délirants, hallucinés, rêvés, fantasmés, naïfs, torturés, angoissés, éthérés, romantiques ad lib.
Noir Éden est sorti chez Audiogram le 24 Février 2017.