[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e 26 juillet 1937, la photographe Gerda Taro, compagne de Robert Capa, meurt à Brunete, lors des combats de Madrid. Robert Capa, un des premiers reporters de guerre, co-fondateur de l’agence Magnum, publie en 1938, avant même la fin de la guerre d’Espagne, Death in the Making, un hommage à Gerda Taro. C’est sans doute la découverte de ce livre qui a donné à Pierre-François Moreau l’idée de ce roman, Après Gerda, dans lequel il se glisse dans la peau de Robert Capa et raconte l’aventure photographique, politique et amoureuse d’un couple de légende. Lorsqu’ils se rencontrent à Paris en 1934, le jeune Hongrois Endre Erno Friedmann, alias Robert Capa, a 21 ans et Gerta Pohorylle, alias Gerda Taro, en a 24.
Une des forces de Après Gerda est la multiplicité de ses approches : géographique (Paris, New York, l’Espagne), humaine (de Hemingway à Hans Namuth en passant par André Kertesz), politique (nous sommes en pleine guerre d’Espagne, et la Deuxième Guerre Mondiale approche à grands pas) et finalement amoureuse. Robert Capa et Gerda Taro sont deux exilés : Robert arrive de Berlin où il s’est réfugié pour fuir Budapest et les menaces de l’amiral Horthy, Berlin qu’il quittera très vite. Il est juif… il s’installe à Paris. Gerda, elle, fuit Leipzig en 1933. Elle est juive, Hitler est au pouvoir. Les deux jeunes gens se rencontrent à Paris, où ils commencent à travailler ensemble. C’est dès le début de la guerre d’Espagne qu’ils décident que leur place est là-bas et que leur engagement politique les y appelle.
Tout au long du roman, Pierre-François Moreau, plus que l’histoire de Robert Capa ou de Gerda Taro, raconte l’histoire d’une relation entre un homme et une femme dans un contexte international tourmenté, menaçant. Les tranches de vie qu’il choisit de recréer pour son lecteur refusent de créer un récit linéaire : retours en arrière, retrouvailles et séparations, Paris, New York, l’Espagne : l’histoire tout entière est un mouvement incessant, mouvement des corps, mouvement des sentiments. Entre Robert et Gerda, rien n’est simple : ils s’aiment, certainement, mais ne se font pas confiance, du moins pas comme on l’entend. Jamais ils ne s’appartiennent vraiment : lorsque Gerda choisit de rejoindre son ancien fiancé George en Italie, Robert est ailleurs, il travaille, il cherche, il souffre… Mais ils s’inventent une liberté, aussi. Robert Capa est fier de Gerda, elle est une des premières femmes à se lancer dans l’aventure du reportage photographique de guerre. Gerda Taro est fière de Robert Capa, dont elle « inventera » d’ailleurs le nom, et c’est ce sentiment réciproque qui finira par triompher, jusqu’à ce funeste 26 juillet 1937.
Après Gerda est l’histoire d’un métier qui est en train de naître et de se construire, celui de reporter de guerre. Après Gerda est la reconstruction sensible d’une histoire d’amour, d’une histoire de guerre et de mort, d’une histoire de manque et de douleur, d’une histoire de rendez-vous trop court entre deux êtres très jeunes, exilés, amoureux de liberté et assoiffés d’images.