[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e Jeu de Paume s’intéresse actuellement à la carrière photographique du plasticien autrichien Raoul Hausmann. Première rétrospective d’envergure en France, l’exposition Raoul Hausmann – Un regard en mouvement met en lumière le travail photographique méconnu de celui qui fut un cofondateur du groupe Dada-Berlin et qui déploya sa créativité à travers la littérature, la peinture ou le dessin, en passant par les collages ou les photomontages.
Fer de lance de Dada-Berlin, initiateur de la poésie sonore, pionnier du collage et du photomontage, écrivain, directeur de revues, Raoul Hausmann était également photographe mais l’importance de sa production photographique n’a été que récemment découverte. Après avoir agité la scène culturelle berlinoise des années 20 par ses expérimentations en tout genre, l’artiste se lance dans la photographie à partir de 1927. Il produit alors plus de mille tirages durant une décennie. L’exposition présente 130 tirages d’époque.
Hausmann est à Berlin durant les années troubles qui voient monter le national-socialisme en Allemagne. Taxé d »artiste dégénéré » par les nazis, il doit quitter précipitamment l’Allemagne en 1933 et abandonner de nombreux clichés sur la route de son exil. On croyait son travail perdu jusqu’à ce que ne soit presque miraculeusement découvert, entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980, un fonds jusque-là inconnu dans l’appartement de sa fille à Berlin, ce qui a permis de remettre en lumière ses talents de photographe.
Alors que le monde s’assombrit, que l’image se met progressivement au service des idées nationalistes au début des années 30, Hausmann prend le parti de capter des images hors du temps, qui ne dénoncent rien et sont à l’opposé des compositions parfaites de la propagande. À la violence en Europe, le photographe résiste en nous présentant des images sereines et douces, pleines d’imperfections.
Ses premières photographies, il les réalise dans les paysages des mers Baltique et du Nord. Hausmann fuit alors l’atmosphère de Berlin, trop oppressante et séjourne dans des petits villages de bord de mer. Il photographie alors ce qui l’entoure. Les courbes des dunes et les oyats entrent en écho avec les corps nus et alanguis des femmes. À la perfection dans la construction de l’image, Hausmann préfère transmettre l’émotion. Celle d’un flâneur ému par l’anodin et la simplicité, une poésie de l’instant, l’éblouissement de ce qu’il nomme « la beauté sans beauté ».
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Cette poésie de l’anodin se retrouve dans les modestes artefacts solitaires qu’il aime photographier. L’attention de Hausmann se porte aussi sur des râpes à fromage, des chaises cannées, des corbeilles en osier, des objets troués avec lesquels il peut jouer sur les ombres et la lumière qui les traversent. Il nomme ces expérimentations, « mélanographie ».
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Après l’Allemagne, les photographies de Raoul Hausmann le situent à Paris, en Tchécoslovaquie et à Ibiza, suivant sa fuite à travers l’Europe. La rencontre avec l’île est pour l’artiste un véritable coup de foudre. « À l’intérieur de l’île, écrit le photographe, vous allez de surprise en surprise : partout la même perfection plastique, partout la même noblesse dans la forme des maisons. » Hausmann est fasciné par la pureté des lignes des maisons paysannes en forme de cubes blancs. Il décide alors de réaliser l’inventaire photographique de ces « architectures sans architecte » et de soutenir une étude engagée et globale de l’architecture vernaculaire. Ses images paraissent alors dans les meilleurs revues d’architecture moderne jusqu’à ce que la guerre rattrape ce petit bout de paradis. Les franquistes obligent Hausmann à un nouvel exil autrement pénible qui ne lui permettra plus de se consacrer véritablement à la photographie.
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Hausmann est mort dans l’oubli et l’anonymat le plus complet à Limoges en 1971. Pourtant ses clichés n’ont jamais été sans doute autant d’actualité car ils rappellent au visiteur que la première résistance à la violence et à la barbarie peut être dans cet attachement inlassable à la beauté de la vie qui est partout autour de nous, beauté qui jaillit de l’anodin et surtout de la façon d’appréhender le monde. À côté du tumulte incessant de la Place de la Concorde qui charrie des flots de cars de touristes pressés, pousser les portes du Jeu de Paume et plonger dans cette sérénité lumineuse et silencieuse fait du bien.
Raoul Hausmann – Un regard en mouvement – Jusqu’au 20 mai 2018 – Jeu de Paume (Paris). ⇒ Toutes les infos ici