Cette 2e sélection de BD estivales nous ouvre grand les portes du voyage. À commencer par celui effectué par un élégant jeune homme très mélancolique dans Les Tribulations de Félix Mogo (Glénat). Vient ensuite celui que vont faire les étonnants gagnants d’un jeu-concours dans Bon voyage ? (Grand Angle), avant de découvrir celui vécu dans Neuf (Dargaud) par un jeune astronaute talentueux.
Les Tribulations de Félix Mogo de Christian Cailleaux – Glénat – Mai 2024
Cette BD pèse lourd et c’est normal parce qu’elle compte plus de 600 pages dessinées en noir-et-blanc. Seules quelques pages agrégeant des motifs texturés et colorés ponctuent l’ouvrage, séparant physiquement chacune des 4 histoires qui nous sont contées : Les Tribulations de Félix Mogo regroupent pour la première fois quatre récits épuisés depuis longtemps, à savoir Harmattan le vent des fous, Le café du voyageur, Le troisième thé et Tchaï Masala.
Au cœur de ces planches qui s’entrelacent, se nichent des textes empreints de poésie, des moments de grâce et de désespoir, des pans de vie dédiés à la beauté (des femmes), à la fuite en avant et à l’instant d‘après. « Je veux aller sur cette île de l’autre côté de l’Afrique, où tout est doux et facile » s’exclame Félix Mogo dans l’un des récits. Cette phrase symbolise l’état d’esprit dans lequel se situe le personnage.
En quête permanente, nous le retrouvons ainsi sur plusieurs continents et dans plusieurs époques. Du parc Monceau à Central Park, de l’Inde à l’Afrique, d’un cargo au dos d’un éléphant, il n’y a qu’un pas vite franchi. Qu’importe l’objet recherché (un trésor de famille, des objets rares…) ou la personne poursuivie (par exemple, un capitaine ayant quitté son poste de pilotage), tout est prétexte à nous entraîner de découverte en découverte, comme si nous étions nous aussi invités à humer tel parfum exotique, à goûter un succulent thé fait maison ou à se laisser enivrer par l’ambiance d’un bar surpeuplé.
Les rêves et l’amour, tout autant que l’aventure et la nostalgie, habitent avec grâce les pages de cette bande-dessinée où Félix Mogo, double de papier de l’auteur, traîne ses désirs et son spleen. Ses tribulations sont envoûtantes et l’on se laisse facilement bercer par le flow de cette bande-dessinée.
Bon voyage ? de Manini et Chevereau – Grand Angle – Mai 2024
Nous sommes le 7 avril 1948 et voici que le plus grand et le plus luxueux hydravion français jamais construit, le Latécoère, échappe aux radars. À son bord se trouvent les organisateurs du voyage, censé se terminer aux Antilles, ainsi qu’une quarantaine de passagers que la vie, jusque-là, n’a pas réussi à épargner.
Autre point commun à tous ces voyageurs ? Ils ont participé à un jeu-concours pour se retrouver à bord de l’hydravion. Le mystère étant ainsi posé, il reste entier et provoque évidemment notre curiosité. Au fil des pages, le puzzle s’assemble et provoque à la fois notre amusement et notre étonnement.
D’une part, en choisissant le Latécoère comme pièce maîtresse de l’histoire, les auteurs nous offrent de découvrir une énorme machine, « large comme la tour Eiffel, haute comme le Trocadéro » et qui faisait la liaison Paris-New-York en 19 heures ! À la fin de la BD, un cahier documentaire nous rappelle l’incroyable destinée du Latécoère, qui a aussi subi quelques avaries et provoqué la mort de 58 personnes dans un accident.
D’autre part, la lecture de bon voyage croise un scénario original et des hommes et des femmes à la personnalité attachante. On se laisse donc facilement emporter par l’histoire qui ne manque ni de piquant politique ni de rebondissements.
Neuf de Philippe Pelaez et Gwénaël Grabowski – Dargaud – Mai 2024
Avec Neuf, du nom d’une hypothétique planète, le scénariste de Noir horizon et le dessinateur de Nautilus nous embarquent dans aventure interstellaire et un voyage à travers le temps. La BD attire l’œil d’emblée avec une couverture cartonnée d’une grande beauté graphique. On y voit de dos un petit garçon tenant la main d’un adulte vêtu d’un équipement d’astronaute. Tous les deux se dirigent vers un horizon rougeoyant mystérieux.
La suite nous fait rencontrer Johnny C. Hubell, pilote d’une navette spatiale en route vers la planète Neuf. Alors qu’il s’apprête à se poser, son engin est aspiré dans un vertige magnétique et prend feu. Contre toute-attente, Johnny reprend ses esprits au volant d’une voiture, où se trouve sa compagne Astrid, et tous deux échappent de peu à un choc frontal avec un camion. Mais 20 ans plus tôt, le spationaute avait déjà vécu cette scène. Et Astrid n’en n’était pas sortie vivante.
Labyrinthique et complexe, le récit s’appuie sur ce bond temporel pour mettre en scène le destin hors-norme de Johnny, qui va tenter de remettre à sa place les pièces éparpillées du puzzle de sa vie. On se sent parfois perdu à la lecture de certaines pages tant les éléments s’entrecroisent dans une logique difficile à appréhender. Mais l’exercice de style est intéressant et les dessins qui nous projettent dans l’univers exploré par Johnny se révèlent fascinants.
De cette BD de science-fiction, on retiendra surtout le lien fort et unique, riche en émotion, qui relie Johnny et son père. Une filiation à l’épreuve du temps, littéralement extraordinaire.