[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#41819A »]L[/mks_dropcap]e monde est devenu un marasme stérile dans lequel surnagent la peur, la violence et la survie. La bêtise a conduit au cataclysme, et de ce cataclysme seule la bêtise semble resurgir . Catastrophe écologique, humaine, une hécatombe sans précédent s’est abattue sur la Terre sans que personne n’ait pu en comprendre la cause. Comment construire sur ces cicatrices encore béantes ? Certains croient en un nouveau départ – – une table rase sanguinaire – , d’autres tentent de récolter les dernières traces d’humanité, la plupart s’accommodent de la vie qui leur reste comme ils le peuvent.
Avril et son petit frère Kid vivent dans une cabane au haut d’un arbre, comme oubliés de la mort qui les environne. Un peu plus loin les attend un espoir, celui de Sirius, qui viendra les chercher pour les emmener à la montagne dans le chalet de leur enfance, auprès de leurs parents. Un peu plus loin, il y a aussi Madame Mô, la vieille dame malvoyante pour laquelle Avril lit des histoires qu’elle enregistre sur un vieux magnétophone à piles. Tout cela fait comme un petit îlot d’humanité, fragile et précieux, une petite flamme pour maintenir éloignée la barbarie.
Malheureusement, une ombre du passé, Darius, retrouve le chemin d’Avril et c’est un brasier qui pousse les deux enfants sur les routes de l’errance, du froid et de la peur, en un road-movie crépusculaire au travers de la forêt stérile, des ruines et des cendres, l’œil et la volonté rivés sur le lieu d’un nouveau départ : la Montagne.
On avance à l’aveugle, les rencontres sont inquiétantes, la mort est toujours là, sournoise dans ce monde âpre et inhospitalier, tapie dans une ornière ou au détour d’un chemin de forêt, dans les miasmes de l’air ou dans une rencontre de hasard…
Et toujours le passé presse, rattrape et mord les talons d’Avril, qui le fuit, le nie, le gomme et le réécrit… Pourtant, à ses côtés, Kid, enfant sauvage, totalement dévoué à l’instant présent, confondant d’insouciance et de naïveté, avance assurément, tout son être tendu vers l’objectif, la montagne… Est-ce la naïveté de son jeune âge qui le met en mouvement… ou est-il animé par un savoir du fond des âges, oublié des hommes, celui qui semble lui faire tisser des liens invisibles avec les lambeaux de la nature qui l’entoure ?
Dans l’univers de fin du monde de « Sirius », la vie est un feu qui meurt, une braise oubliée qui rougeoie loin du regard des humains. Pourtant quelques être exceptionnels en discernent encore la lueur, sentent encore sa petite chaleur et simplement, presque innocemment, la recueillent et l’emportent au long des chemins pour la mettre à l’abri. Une lueur de vie, certes… mais une lueur d’humanité ? Après tout, c’est l’homme qui a réduit la Terre au cloaque dans lequel il tente de survivre aux dépens de toutes les formes de vie, y compris celle de ses congénères. L’homme perdu, isolé, morcelé, dissocié…
Dans un univers post-apocalyptique à l’humanité autodestructrice, sombre grimace du visage de notre propre monde, Stéphane Servant s’ingénie avec brio, générosité et simplicité à semer des petites graines de vie. Et l’ensemble de ces graines, pourtant apparemment confiées au hasard, semblent dresser une cartographie qu’il faudra apprendre à déceler, celle des liens immémoriaux qui régissent non seulement la vie sur Terre, mais la vie de la Terre.
A l’heure où nous vivons reclus dans un monde pourtant « hyper-connecté », Stéphane Servant nous rappelle pour le meilleur et le pire le double-sens étymologique du verbe « connecter » : établir un lien, mais aussi s’enchaîner. On comprend alors qu’avant d’établir les liens selon nos désirs se pose la question de savoir par quels liens vitaux (et oubliés) nous sommes enchaînés !
« Sirius » est un magnifique roman empli d’essentiel dont la lecture marque et reste. En bon alchimiste, son auteur utilise les cendres du monde pour en tirer l’essence d’un espoir en forme de leçon d’évidence pour nos yeux aveugles. Stéphane Servant, que je ne connaissais que par ses albums-jeunesse, déjà pétris d’intelligence, de sensibilité et de justesse, est décidément un grand auteur.
« Sirius », de Stéphane Servant
Paru aux éditions du Rouergue, août 2017
A partir de 14 ans et pour tous les adultes insatisfaits !
Une très belle découverte ! J’ai adoré la lecture de ce roman. Merci Laurent M d’en avoir parlé (je l’avais mis dans ma liste au moment de ta chronique… presque 2 ans plus, je l’ai enfin lu !)
Merci, je suis bien content que cet article t’ait permis de lire ce roman, il m’avait beaucoup ému !