« [mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]u vois, le Funeral Doom se divise en deux catégories : Skepticism, Esoteric et les autres. Toi, tu fais parti des autres. »
Je sais, la citation n’est pas complètement authentique mais il n’empêche que le fond de ce constat est d’une rare objectivité. En effet, depuis trente ans, ce genre, guilleret et primesautier, est dominé de main de maître par deux formations : les Anglais d’Esoteric (1992) et les Finlandais de Skepticism (1991). La particularité de ces deux groupes est de publier à chaque nouveau disque, au mieux un chef-d’œuvre qui éclipsera le précédent, au pire un excellent album qui prouvera sa domination sur tous les autres groupes du genre. En 2019, après un hiatus de 8 ans, Esoteric balançait A Pyrrhic Existence, soit une heure et demie d’un Funeral/Death aussi intense qu’indispensable pour les aficionados.
Cette année, après un silence de 13 ans (oui, c’est une spécialité chez les groupes de Funeral : sortir un disque de façon encore plus lente que leurs compositions), Skepticism s’apprête à sortir Companion, suite directe d’Alloy. Bien sûr, si vous suivez un peu Addict depuis sept ans, vous vous direz que Skepticism a déjà fait l’objet d’une chronique. Alors, gaga le Jism ? Pas complètement, celle-ci portait sur Ordeal, disque au format un peu bâtard, mélangeant nouvelles compositions et réinterprétations le tout en prise de son live, fonctionnant plus comme une performance qu’un véritable nouvel album. Companion quant à lui est le prolongement d’ Alloy et voit Skepticism continuer sa lente, très lente mue entamée en 2008.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]i vous vous souvenez, au moment d’Ordeal, j’évoquais en quelques mots la carrière de Skepticism : création en 1991, recrutement d’un nouveau chanteur en 1993, inventeur (en ayant l’idée de ralentir à l’extrême le rythme de leurs compositions et les étirer sur plus de 10 mns, leur conférant ainsi une noirceur et une désespérance absolues) du Funeral Doom lors de la sortie de Stormcrowfleet en 1995. Depuis, sans changer de membres, le groupe n’a eu cesse de se renouveler, poussant le concept, la folie malsaine toujours plus loin, expérimentant jusqu’à en devenir abscons (Farmakon), puis évoluant vers une forme de grâce, de majesté tout en conservant leur personnalité unique.
Mais qu’est ce qui fait la spécificité de Skepticism me demanderez-vous ? Alors, outre la lenteur et la puissance de leurs compositions, leur identité est directement liée à l’usage de l’orgue dont ils usent (et abusent serait-on tenté de dire) sur tous leurs morceaux. Ce qui pourrait sembler ridicule chez n’importe quelle formation devient chez eux une arme de construction massive, servant à renforcer un climat terrifiant, oppressant ou bien à gagner en clarté, en puissance sur certains morceaux (Oars In The Dark sur Alloy).
Maintenant, une fois ces considérations faites, où se situe Companion dans leur discographie ? Pas au sommet, clairement, mais il n’en reste pas moins excellent. Et passionnant. Comme je le disais plus haut, Companion s’inscrit dans une logique débutée lors d’Alloy, celle d’entrouvrir très légèrement la porte pour laisser passer un rai de lumière. Sur Alloy, la base était toujours la même, une musique lente, en vase clos, anxiogène au possible, mais animée par une pulsion de vie inédite. Cela se traduisait par des arrangements grandioses (l’impressionnant Oarks), une démesure étonnante, une accélération du pouls ou encore l’apparition de sentiments autres que l’angoisse ou la claustration (par exemple la mélancolie sur Pendulum). Companion poursuit plus loin encore cette démarche. Il restera des traces de l’ancien moi, The March Of The Fourqui aurait pu être sur Lead & Aether, mais l’évolution se fait plus franche, l’ouverture plus affirmée, incluant une diversité instrumentale plus riche (orgue moins présent au profit des synthés sur Calla, arrivée inopinée d’un piano désaccordé sur The Intertwined, les guitares acoustiques en intro et outro sur The Inevitable), les arrangements se font plus théâtraux, grandiloquents si ce n’est extravagants voire baroques (les orgues de Passage), et on notera même une incursion dans une sorte de Funeral Death lors de l’intro de Passage.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our autant, avec de tels arguments, Companion pourrait très bien se présenter comme une sorte de K2 du groupe. Mais non. La cause en est relativement simple : l’album souffre d’un déséquilibre notable entre désir de revisiter sa discographie et celui d’aller de l’avant. La première face semble consacrée à cette sorte d’introspection, où les Finlandais tentent de nous rassurer, nous montrer que treize ans ou un an chez eux, c’est du pareil au même. Rien ne change ou si peu : Calla reprend là où se terminait Alloy, entre grandeur et démesure, The Intertwined se permet d’introduire une diversité en la présence d’un piano un peu déglingué et The March Of The Four revisite leur Funeral Doom de façon plutôt classique. Solide, mais peu surprenant.
En revanche la seconde face fait preuve d’une audace qui interpelle. Déjà, sur Passage et The Inevitable, les Finlandais sortent des sentiers battus pour s’orienter vers un Funeral Doom sous haute influence Black voire Death pour la longue intro spectrale de Passage. Ensuite, certains moments surprennent : les passages acoustiques, le crescendo sur The Inevitable, la grandiloquence assumée des arrangements de Passage. Et surtout, ils terminent Companion par un de leurs meilleurs morceaux : le fabuleux The Swan & The Raven. Là, d’un coup, allez comprendre pourquoi, le groupe passe au niveau supérieur. Les Finlandais redéfinissent le genre avec une grâce, un sens de la dramaturgie qui les place bien au-dessus de n’importe quel autre groupe de Funeral. Alors que nous étions un peu spectateur des cinq autres morceaux, The Swan & The Raven ramène directement l’émotion au cœur du propos : tout y est plus intense, plus cru, juste, appuyé (le jeu du batteur est remarquable), d’une mélancolie exacerbée, prenant littéralement aux tripes.Il clôt ainsi Companion de la plus belle des façons, en frappant directement au cœur et contribue à attiser une sorte de curiosité, à nous donner l’envie d’y revenir peu à peu voir si nous ne serions pas passés à côté de quelque chose.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]ref, Companion n’est certes pas l’album le plus évident des Finlandais (Stormcrowfleet reste leur sommet), ni le plus immédiat (la palme en revient à Alloy) mais il est probablement un des plus passionnants dans ce qu’il offre et les perspectives qu’il ouvre, dans cette capacité qu’ont les Finlandais à se renouveler tout en restant fidèle à leur ligne de conduite. Depuis trente ans, Skepticism règne sur le Funeral Doom et ce n’est pas Companion qui va inverser la tendance. Bien au contraire.
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Companion de Skepticism
Svart Records – 24 Septembre 2021
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Image bandeau : Skepticism / Salla Kolehmainen / 2021