Nous connaissons tous plus ou moins le parcours de Slowdive, groupe d’obédience dite shoegaze et signé par Alan McGee pour le compte de Creation Records. Nous savons que la formation a traversé en un éclair la première moitié des années 90 avec trois albums : Just for A Day pour un acte de naissance aussi bouillonnant que nonchalant, Souvlaki pour une consécration d’estime grâce à ses accents « Cocteau Twinsiens » à la fois planants et résolument électriques. C’est finalement le désir de novation qui aura la peau de cette première époque. Si l’audacieux Pygmalion est bien évidemment une merveille de pop électro-aérienne, la réception fut boudée par le public de 1995, déboussolé sans doute par trop de radicalité placide. Conséquence malheureuse, le label ne souhaita plus poursuivre l’aventure. Clap de fin donc… ou presque.
Les rescapés Neil Halstead, Rachel Goswell et Ian McCutcheon prennent un nouveau cap en se réfugiant chez 4AD. Changement de nom et de style. Mojave 3 devient alors plus qu’une bouée de sauvetage. L’humeur est bien plus folk et Slowdive un lointain souvenir classé au rang des photographies qui jaunissent avec le temps. Pourtant, en 2014, nos amis réapparaissent, comme par magie, pour le plaisir de quelques concerts. Il faudra attendre le tout début de l’année 2017 pour entendre les premiers riffs de Star Roving, chanson diffusée à titre de promesse.
Le 5 mai 2017, un nouvel album est dévoilé. L’attente fut longue pour ne pas dire totalement inespérée. Pour ma part, j’avoue que je m’attendais avec inquiétude à un énième come-back de vieilles légendes revenues aux affaires pour de mauvaises raisons. J’ai finalement été scotché par cette œuvre homonyme qui certes, joue allégrement avec la nostalgie d’une « dream pop » revenue à la mode, mais surtout s’extirpe de son hibernation de manière bien plus radieuse, tout en jouant avec une vive expérience acquise au fil des années.
A l’occasion d’une chronique consacrée à cet épatant retour, je concluais celle-ci par ces mots «Espérons, pour le prochain épisode, une attente moins interminable. » En fait, il aura fallu patienter un peu plus de six ans. A vrai dire, pas de quoi ergoter car la récompense résonne avec un réel brio en ce premier jour de septembre 2023.
Everything Is Alive s’engage d’emblée sur une enveloppe toujours aussi émotionnelle. Les étirements de Shanty sont vaporeux, teintés d’une mélancolie confrontée au réalisme du temps présent. La production exclusivement façonnée par Neil Halstead est tout simplement magistrale ! De manière globale, l’album défile à la faveur de formes savamment électronisées. Le résultat suscite un ressenti immédiatement attachant. Quant à la sagesse de cantonner la délivrance à huit titres, c’est évidemment l’excellence de la juste mesure parfaitement assumée. La place accordée aux plages instrumentales ou à peine murmurées par des chants lointains dénote également de ce soin accordé à l’équilibre finement calibré.
Avec Alive, les arpèges nappés d’éternels effets soyeux renversent les codes pour une sensation d’élévation étrangement charnelle. Le titre (ainsi que celui choisi pour le nom de l’album lui-même) sera l’hommage vibrant à la mémoire des proches récemment disparus.
Le quintette ondule sur un tempo captivant (Andalucia Plays) puis redouble d’efficacité avec Kisses, jaugé tel un hit aux parfums bien plus entrainants… Slowdive rebondit encore et toujours grâce à sa manière si singulière de suggérer le trouble, la matière trempée dans l’éther sans que la parure ne se froisse. Il y a inlassablement un souffle élégiaque et des obsessions cadencées. Cette fois-ci, la partie s’achève avec The Slab, pièce qui n’est pas sans rappeler la trame épique de The Kiss, morceau de bravoure goupillé en 1987 par The Cure. Il y a par contre pour le cas d’espèce une prétention synthétique bien plus marquée. C’est ce qui rend à mon sens Everything Is Alive terriblement stimulant.
Neil Halstead en est le génial concepteur, grandement aidé par ses acolytes pour une preuve supplémentaire de l’intérêt toujours pro-actif que suscite Slowdive et sa musique dont les strates lancinantes inspirées du minimaliste d’antan (celui justement puisé au cœur de Pygmalion) se voient ici injectées par la juste dose d’attractivité ébauchée jadis à la lumière de premiers disques devenus cultes. Au final, la légende poursuit son chemin avec un talent fou qui assimile en son fil conducteur une logique implacable. Ce constat saisissant s’ébruite alors bien plus qu’au titre d’une simple revanche. Slowdive s’émancipe à force de forger une idée plus que jamais vivante !
Slowdive · Everything Is Alive
Dead Oceans – 1er/09/2023