[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ab0707″]F[/mks_dropcap]aisons la courte et passons les présentations d’usage (Sunn O))) / duo américain / Vulgarisateur du Drone Metal) pour entrer dans le vif du sujet : dire que ce Kannon était attendu au tournant serait un doux euphémisme. Premier véritable album sous leur nom depuis le monumental Monoliths & Dimensions de 2009 (je ne compte pas les collaborations et les disques aux tirages confidentiels comme La Reh 012 ou Solstitium Fulminate), le résultat, pour ma pomme, se devait d’être à la hauteur de l’attente. J’irai droit au but : c’est mitigé, très mitigé. En premier lieu.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ab0707″]C[/mks_dropcap]ommençons par la forme : attendre six ans pour avoir une trentaine de minutes de musique, rien à redire, c’est très punk dans l’attitude, beau doigt d’honneur à tous ceux qui espéraient peut-être un peu plus qu’un Ep à peine déguisé. Pour le design en revanche, là aussi, rien à redire, c’est, comme à l’habitude chez eux, très beau et excellent. Pour l’aspect commercial de la chose, idem, rien à redire : avec toutes les différentes versions sorties sur le marché (vinyle blanc, bleu, noir avec ou sans Ep), Kannon devrait rapidement voir sa cote en bourse grimper au-delà du raisonnable.
Musicalement, qu’en est-il ? Kannon était annoncé à grand coup de communication comme un retour aux sources du black metal, un nouveau Black One pour résumer ; autant le dire, il n’en a ni la puissance de frappe, ni la beauté dévastée. Il n’a pas non plus l’audace de s’aventurer hors des territoires balisés comme pouvait le faire de façon remarquable Monoliths & Dimensions, au contraire. Est-il mauvais pour autant ? Non bien-sûr, juste déconcertant. Dans le sens où le groupe opère un retour aux sources, resserre ses morceaux, dégraisse, vire l’Ambient pour se recentrer sur le Drone. Où, à la première écoute, j’en viens à me demander si O’Malley et Anderson se foutraient pas un peu de notre gueule tant le groupe donne l’impression de tourner en rond, de n’avoir plus rien à dire. Mais ça, comme disait l’autre, c’était la première écoute.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#000000″ txt_color= »#ab0707″]P[/mks_dropcap]arce qu’en prenant le temps, en l’écoutant plusieurs fois, il s’en dégage une toute autre impression : celle de découvrir un album privilégiant la spiritualité. Bon, ok, ça s’entend pas au premier abord, ni au second d’ailleurs, ces vrombissements droniques plus proche de la centrale nucléaire en fusion qu’autre chose vous explosent le diaphragme puis les conduits auditifs mais si on y prête vraiment attention, pas mal d’éléments y conduisent.
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »20″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ab0707″]Ces vrombissements droniques plus proche de la centrale nucléaire en fusion qu’autre chose vous explosent le diaphragme puis les conduits auditifs.[/mks_pullquote]
Dans sa construction d’abord : trois morceaux, sans titres véritables, conçus comme des mouvements. Dans la musique également : le premier morceau résonne d’emblée comme un mantra (dans la mesure où il répète ad libitum le même riff sur douze minutes), et se termine comme un raga dans les dernières secondes. Entre deux, une fois le casque chaussé et le volume à fond, toute la subtilité des arrangements d’Ambarchi et Dunn se fait entendre : le duo s’emploie à saboter ce mantra en y ajoutant des sinuosités, des anfractuosités, brisant cet aspect monolithique et inintéressant. Le morceau alors vrille et s’enfonce dans des tréfonds qu’on n’a pas forcément envie d’explorer seul, dévie doucement vers une certaine intensité et, pour le coup, en devient passionnant.
Bon, après, les deux autres mouvements, musicalement c’est pas qu’on s’en fout, ils sont très biens mais plus conformes à ce que le fan de base attend du groupe, à savoir du bruit, de la dissonance, des infrabasses, des larsens (rien de plus beau que des tonnes de larsen pour terminer un disque par ailleurs) et… du mouvement. A pas lent mais du mouvement. Néanmoins, c’est surtout dans l’évolution des voix que la spiritualité se fait jour : de celle presque chétive sur le premier titre, grinçante comme un gond de porte grippé, jusqu’aux chœurs finaux, magistraux, la participation vocale de Csihar permet à Kannon d’évoluer vers d’autres sphères, spirituelles, sataniques et presque grandioses. Ajoutez à cela une utilisation plus que judicieuse des synthés, soulignant d’un trait bien appuyé cet aspect spiritualo-sataniste et vous vous retrouvez avec un album bien plus sournois, plus consistant qu’on ne pouvait le penser au premier abord.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ab0707″]E[/mks_dropcap]n somme, et pour résumer, en trois morceaux, Kannon vous fait d’abord voyager en avion, aux premières loges, côté turbo réacteur, puis en Inde (le raga en conclusion du second Kannon y fait largement penser) et vous largue au beau milieu des terres de Satan en pleine Messe Noire, entouré d’individus encagoulés tenant moult lames aiguisées et invoquant le Malin. Mais ça, vous ne le découvrirez qu’après plusieurs écoutes après avoir dépassé le stade de la déception initiale, car Kannon est au final, sous des atours simples, probablement l’album le moins accessible que Sunn O))) ait réalisé jusque là. Un disque déroutant car Sunn O))), vous l’avez compris, ne cherche plus à innover et opère une sorte de repli sur soi très étonnant de la part d’un groupe qui a toujours cherché à avancer, à vulgariser le Drone en l’ouvrant à d’autres courants. Après les diverses collaborations effectuées ces dernières années (Scott Walker, Ulver), ce besoin de retour aux fondamentaux peut aussi se comprendre. Mais bon, pour qui connaît le parcours des Américains, c’est à peine étonnant.
Le groupe, après la progression phénoménale des trois premiers albums, a toujours avancé en pas de deux : un quasi chef-d’œuvre (Black One, Monoliths & Dimensions, White 1), un album mineur (White 2, Domkirke). Kannon, vous vous en doutez, fait « logiquement » (et malheureusement pour lui parce qu’arrivé après Monoliths) parti des albums mineurs, de ceux qui nous feront dire : « tu te souviens du truc qu’ils ont sorti après Monoliths ?… euh non, c’était quoi déjà ? Mais siiiiiii souviens-toi, c’était pas terrible d’ailleurs ». Pourtant, comme je l’ai expliqué au dessus, il serait dommage de ne pas s’y attarder car parmi les albums mineurs qu’ils ont pu sortir, Kannon, s’il ne révolutionne rien, mérite clairement qu’on passe du temps avec lui. Parce qu’au-delà de sa brièveté, de cette sensation de surplace voire de pas en arrière du groupe, Kannon a suffisamment à offrir pour clairement figurer dans la partie haute du panier, pas loin de l’excellence d’un Flight Of The Behemoth.
Sorti le 04 décembre dernier chez Southern Lord dans toutes les éditions possibles et imaginables ainsi que tous les disquaires proches d’un aéroport en activité.