Lucky et le Petit sont en fuite. D’Italie en passant par Marseille, de petits braquages de voitures en petits vols dans les supermarchés, les voici arrivés en Bretagne.
Lucky s’entiche d’une fille : la Fille, que le Petit voit d’un mauvais oeil. Elle lui dérobe plus ou moins son camarade de route. Mais lui aussi la désire, donc il se tait et attend.
La Bretagne, la mer. Une idée : voler un bateau et rejoindre le paradis de l’Angleterre où tout est plus facile. S’inventer un avenir, loin, fuir.
Voici les trois lascars sur l’eau. Le huis clos peut commencer. Angoissant et tempêtueux.
Comment manipuler un voilier quand on n’a aucune expérience, que la tempête menace et même si on sait lire des cartes marines ? Comment éviter les paquebots, la nuit ? Que manger quand on a prévu de la nourriture et de l’eau seulement pour deux jours et qu’on se trouve déjà à trois jours de navigation?
Sylvain Coher n’aborde pas de front toutes ces questions. Habilement, il les laisse venir de manière sous-jacente.
Ses personnages ne sont pas seulement enfermés sur un bateau mais enfermés en eux-mêmes. Ils ne savent réellement s’exprimer qu’à travers des insultes et de la mauvaise humeur. Jeunes hommes de peu de mots, Lucky et le Petit ne se parlent pas, ne communiquent pas vraiment, n’échangent pas. Ils cohabitent en silence ou en cris. Les angoisses sont tues la plupart du temps, elles restent tapies en chacun et chacun tente de vivre-survivre avec. Les souvenirs communs de Lucky et du Petit ne créent qu’une béance. Ils ne les oublient pas ; ils les tuent à petit feu. La Fille, la seule à réussir à maintenir un lien entre eux tous, est peut-être la plus courageuse mais la plus désespérée aussi. Elle les mènera aussi loin que possible avant de s’effacer.
Un huis clos, un enfermement terrible. Le goût du sel et du vent, une sensation physique de malaise et de peur. L’empathie que l’on ressent pour ces trois anti-héros est réelle. Pourtant, il n’y en a que peu, entre eux. Même les drames ne les unissent pas. Au contraire, la solidarité n’est que de façade. Une métaphore pour parler de notre société ? Tous ensemble mais séparément ?
Sylvain Coher nous fait partager tout cela avec une terrible acuité. On ne ressort pas indemne de cette lecture.
Les dernières pages font retomber la tension, oubliant les personnages pour se concentrer sur le bateau, comme s’il était lui-même le vrai héros de ce roman. Héros oublié et laissé pour compte. Là aussi, la métaphore est terrible. On se sert bien, on utilise jusqu’au bout et on abandonne sans reconnaissance.
Nord nord ouest, Sylvain Coher, Editions Actes sud, janvier 2015